Les fabricants d’antibiotiques favorisent la prolifération de "super-bactéries" résistantes !
Une association anglaise de protection des consommateurs dénonce les rejets des usines pharmaceutiques chinoises et indiennes qui favorisent l’émergence partout dans le monde de bactéries super-résistantes.
OPAQUE. On dirait le "bal des vampires" où ceux qui sont chargés de mener la lutte contre un fléau favorisent en réalité sa diffusion dans le monde entier. C’est la réflexion qui vient à la lecture du rapport de l’association anglaise de protection des consommateurs "SumOfUs" sous-titré "Comment l’industrie pharmaceutique contribue à la diffusion globale de super-bactéries résistantes aux antibiotiques". La cible ? Le circuit opaque de fabrication et de diffusion d’antibiotiques génériques à bas coût en Chine et en Inde.
En moins de deux décennies, l’élaboration de 90% des principes actifs des principaux antibiotiques (pénicilline, tetracycline, methicilline, streptomycine, etc.) a migré vers la Chine. Entre 1980 et 1999, le nombre de firmes pharmaceutiques chinoises est passé de 680 à 6.357 ! La raison du succès est simple : le pouvoir chinois a décidé de subventionner fortement ce secteur, lequel a profité de ses faibles coûts de production pour rafler un marché qui dégage trop peu de bénéfices pour les sociétés occidentales. Si la fabrication a été déléguée à la Chine, le conditionnement, lui, est une affaire indienne. Les distributeurs, enfin, sont américains ou européens avec Pfizer en tête, suivi de Merck et GlaxoSmithKline. La consommation est mondiale et représente un marché global d’environ 45 milliards d’euros.
Des résidus d'antibiotiques détectés jusqu'en Mer de Chine !
Ce que dénonce "SumOfUs", ce sont les rejets massifs d’effluents des usines dans l’environnement tant en Chine qu’en Inde. Des résidus d’antibiotiques se retrouvent dans tous les fleuves chinois et ces molécules sont détectées jusqu’en Mer de Chine. Dès 2007, le chercheur suédois Joakim Larsson avait publié une série d’études montrant que les effluents sortant d’une station d’épuration des eaux de 90 usines pharmaceutiques de Patancheru, près d’Hyderabad en Inde avaient des concentrations d’antibiotiques supérieures à celle du sang d’un patient sous traitement !
C’est cette pollution massive qui est en train de créer des superbactéries. Dans le sol ou les eaux à des teneurs de principes actifs si élevés, la plupart des bactéries meurent, sauf les plus résistantes. Sont ainsi sélectionnés des microbes où 86% des souches retrouvées sont résistantes à plus de 20 antibiotiques. Les scientifiques estiment qu’il existe aujourd’hui 4 à 5 espèces de super-bactéries. Sans concurrence, elles se multiplient, passent chez les végétaux, puis chez les animaux. Arrivées chez les hommes, elles voyagent par bateau ou par avion sur toute la planète. Ainsi, La "New Delhi Metallo-BetaLactamase" (NDM1) provenant d’Inde comme son nom l’indique, est entrée en Europe dans le corps d’un touriste suédois et a depuis été découverte en France, au Japon et aux Etats-Unis. Aucun antibiotique n’est efficace contre NDM1.
Une ère post antibiotique
Les autorités chinoises ont élaboré un cadre réglementaire strict autour de l’activité pharmaceutique dès la fin des années 90. Mais il n’est pas respecté. Les installations anti-pollution coûtent cher et les faibles bénéfices tirés de cette activité incitent à contourner les obligations, notamment par la corruption. L’Agence française de sécurité du médicament (ANSM) a ainsi pu constater lors de visites d’inspection – la dernière en 2014 – que ces usines ne respectaient pas les normes européennes de fabrication. Le rapport rappelle par ailleurs l'histoire de Zheng Xiaoyu, premier directeur de l’administration d’état pour la nourriture et les médicaments créée en 1998 et qui fut condamné et exécuté en 2007 pour corruption.
L’utilisation irraisonnée des antibiotiques tant en santé humaine qu’animale sont les raisons généralement avancées pour expliquer la baisse d’efficacité de ce type de médicaments. Il faut donc aussi y ajouter la pollution issue de l’activité pharmaceutique. Actuellement, 700.000 personnes dans le Monde meurent du fait de bactéries ayant résisté à tous les traitements, dont 23.000 Américains, 25.000 Européens, 80.000 Chinois. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) en a fait l’une des menaces majeures pour l’humanité, prédisant 10 millions de morts par an dès 2050. "Le monde risque de sombrer dans une ère post-antibiotique" a prévenu le sous-directeur général de l’OMS Keiji Fukuda, le 27 mai dernier. Et les entreprises du médicament y auront bien aidé.
- Source : Loïc Chauveau