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Scandale autoroutier : l’Etat sommé d’en finir avec les profits abusifs des concessionnaires

Auteur : Marie Astier | Editeur : Walt | Vendredi, 19 Déc. 2014 - 16h37

Depuis leur privatisation, les autoroutes génèrent des profits énormes pour les groupes privés qui les possèdent. Le système est pervers, mais le gouvernement hésite à revenir en arrière. Le compromis pourrait se trouver dans un plan de relance autoroutière. Un choix dénoncé par le député PS Jean-Paul Chanteguet, dans un rapport incisif.

15 milliards d’euros, c’est le montant des dividendes encaissés par les actionnaires des sociétés d’autoroutes depuis leur privatisation en 2006. Le chiffre est publié dans un rapport d’information parlementaire paru mercredi 17 décembre, qui dénonce un « niveau de profitabilité hors norme de ces sociétés », ne pouvant « être accepté au regard de la faiblesse des moyens budgétaires à la disposition de l’État. »

« Il s’agit d’une véritable rente autoroutière dans le cadre de monopoles privés » ajoute le rapporteur de ce document, le député socialiste Jean-Paul Chanteguet.

Pour lui, c’en est trop. Et la solution est simple : renationaliser les autoroutes. Ou, en termes moins connotés, dénoncer les contrats qui lient l’État aux sociétés d’autoroutes, pour que cette manne revienne à l’État et aux citoyens plutôt qu’au privé.

Mais le temps presse. L’État doit dénoncer ces contrats avant le 31 décembre. Le gouvernement n’a donc que deux semaines pour clarifier son projet pour les autoroutes françaises.

Rentabilité exceptionnelle

Car ce rapport arrive en plein débat sur l’avenir des autoroutes. Le gouvernement travaille actuellement à un plan de relance autoroutière, négocié avec les sociétés concessionnaires : en échange de quelques années de concession supplémentaires (les contrats se terminent normalement entre 2027 et 2030), elles s’engagent à investir 3,2 milliards d’euros dans des infrastructures autoroutières.

Un scénario que Jean-Paul Chanteguet veut à tout prix éviter car « on irait vers des concessions perpétuelles ». Autrement dit, les autoroutes seraient définitivement privatisées. Son rapport reprend également les arguments de l’Autorité de la concurrence, qui dans un avis du 17 septembre dernier estimait que la rentabilité des autoroutes atteignait plus de 20 %, un niveau exceptionnel, alors que leurs tarifs augmentent plus vite que l’inflation.

C’est pourquoi du côté des associations environnementales, on espère un abandon de ce plan de relance autoroutier. Chez France Nature Environnement, Michel Dubromel soupçonne l’intention de donner de l’activité au secteur du Bâtiments et travaux publics afin de créer quelques emplois. « C’est ce que l’on appelle un travail de shadock, estime-t-il. On creuse un trou pour en boucher un autre. En pratique, on construit des routes - mesure conjoncturelle - pour ne pas voir que l’on a un nombre important de chômeurs - problème structurel. Ce n’est pas avec ces méthodes que l’on prépare la transition énergétique », déplore-t-il.

« Leur mission c’est de bétonner »

Le projet inquiète aussi fortement Stephen Kerckhove, d’Agir pour l’environnement : « Il n’y a pas d’approche écologique du gouvernement dans ce dossier. A chaque fois que l’on rencontre le ministère des Transports sur la question des autoroutes, ils ne savent même pas quoi nous dire. Ce sont des ingénieurs des Ponts et Chaussées, leur mission c’est de bétonner. »

La liste des projets d’autoroutes, publiée pour la première fois dans ce rapport parlementaire, semble confirmer leurs impressions : la majorité des projets consistent à élargir et aménager des voies déjà existantes, avec quelques « aménagements écologiques » pour agrémenter.

« On va à l’envers de l’histoire, commente Michel Dubromel. D’un côté le gouvernement dit qu’il veut relancer le fret ferroviaire mais qu’il n’a pas de financements pour cela, et en parallèle il se donne les moyens d’un plan de relance autoroutier. C’est une politique incohérente ! »

En face, les concessionnaires d’autoroutes piaffent d’impatience : « Nous sommes prêts à démarrer », déclarait fin novembre le patron d’Eiffage Pierre Bergé à BFM Business.

Une impatience d’autant plus forte que pour ces entreprises, le bénéfice serait double : Vinci et Eiffage sont à la fois actionnaires des sociétés d’autoroutes et des groupes de BTP susceptibles d’effectuer les travaux de ce plan de relance. « Les marchés seraient certainement gagnés en bonne partie par les deux grands groupes de BTP actionnaires de sociétés concessionnaires d’autoroutes », relève le rapport parlementaire.

Remettre les autoroutes en gestion publique

Solution proposée par le rapport Chanteguet : gérer les autoroutes françaises à travers un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial), qui remettrait donc ces infrastructures dans le giron du service public.

Cela aurait deux avantages, détaille Michel Dubromel. D’abord, l’État récupérerait la maîtrise des tarifs et des taxes appliqués aux péages autoroutiers. « Il pourrait mettre en place une fiscalité écologique », explique le référent transports de France Nature Environnement. Une idée inenvisageable actuellement, car les contrats passés avec les sociétés autoroutières encadrent très strictement les tarifs aux péages.

Ensuite, une gestion publique permettrait d’intégrer les autoroutes dans une politique plus globale des transports en France. Les profits dégagés pourraient servir à financer les transports collectifs ou le fret ferroviaire… Plutôt que de rémunérer des actionnaires. Cela permettrait même de compenser le manque à gagner dû à la suppression de l’écotaxe.

Mais qu’en pense le gouvernement ? Manuel Valls comme Ségolène Royal affirment n’écarter aucune piste, même celle de la résiliation des contrats avec les sociétés d’autoroutes. Mais la priorité semble surtout de geler les tarifs des péages l’année prochaine, ce que ne permettent pas les contrats actuels.

« On soutient la démarche de M. Chanteguet, mais je crains qu’au sein de cette grande majorité socialiste, il ne soit pas majoritaire face à Royal », déplore Stephen Kerkchove.

En tout cas, l’avenir des autoroutes est liée au plan de relance : « Si le gouvernement le signe, ce sera trop tard, il ne pourra plus revenir sur les contrats », avertit Jean-Paul Chanteguet.


- Source : Marie Astier

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