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Investissements autoroutiers : de maigres créations d’emplois, un gros enrichissement des actionnaires

Auteur : Isabelle Jarjaille | Editeur : Walt | Mardi, 07 Févr. 2017 - 14h29

Le 26 janvier 2017, le ministère des Transports a confirmé un plan d’investissement autoroutier de 800 millions d’euros portant sur une cinquantaine d’opérations. Elles s’ajoutent à la vingtaine de chantier déjà annoncés durant l’année 2015 par Emmanuel Macron. Ces grands travaux profiteront-ils à l’emploi et aux utilisateurs des autoroutes ? Ou en premier lieu aux sociétés autoroutières, grandes bénéficiaires des privatisations de 2005 ? L’État se révèle en tous cas incapable de défendre les intérêts des citoyens, qui financent d’un côté les travaux comme contribuables, et assurent les dividendes exorbitants des actionnaires de Vinci ou d’Eiffage lorsqu’ils passent à la caisse du péage.

À défaut d’enrayer l’augmentation régulière des tarifs des péages, l’État semble apprécier d’investir dans les travaux autoroutiers. Après une vingtaine de chantiers annoncés en 2015, le gouvernement vient d’enclencher, ce 26 janvier, un nouveau plan d’investissement de 800 millions d’euros portant sur une cinquantaine d’opérations supplémentaires. La « création » de nombreux emplois est mise en avant. Cette annonce intervient quelques jours à peine avant l’entrée en vigueur, le 1er février, d’une nouvelle hausse du prix des péages.

Ces deux événements se réaliseront-ils au double bénéfice des sociétés de concession autoroutière – trois géants du BTP – qui encaisseront d’un côté les bénéfices générés par le trafic, tout en attribuant les chantiers à leurs propres filiales de travaux ? Tout indique que les recettes tirées des autoroutes constituent une rente particulièrement rémunératrice pour les sociétés autoroutières… et pour leurs actionnaires.

En 2005, la privatisation d’une rente publique

Le réseau autoroutier français – 9 053 km à ce jour [1] – a été construit par sept sociétés concessionnaires, dans lesquelles l’État est resté actionnaire majoritaire jusqu’en 2005. Comme leur nom l’indique, ces sociétés sont liées à l’État par des contrats de concession, sous la forme d’une délégation de service public. Elles entretiennent le réseau, et se rémunèrent avec les péages.

En 2005, le gouvernement dirigé par Dominique de Villepin décide de vendre les actions détenues par l’État dans ces sociétés : les autoroutes françaises sont alors privatisées. Vinci achète les Autoroutes du sud de la France (ASF), Escota et Cofiroute, et devient propriétaire de la moitié du réseau français. Eiffage récupère les Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et Autoroutes Rhône-Alpes (AREA). Enfin, la SANEF (autoroutes du nord et de l’est) et la SAPN (Paris-Normandie) tombent dans le giron de l’entreprise espagnole Abertis. Trois groupes de bâtiment et travaux publics. L’État encaisse 14,8 milliards d’euros, mais se prive définitivement des recettes de ces sociétés globalement très bénéficiaires. Il reste simplement propriétaire des infrastructures.

Des hausses de tarifs régulières

Les contrats de concession passés entre l’État et ces sociétés désormais privées prévoient une augmentation annuelle des tarifs des péages basée sur l’inflation. Les investissements à réaliser sur le réseau sont également pris en compte. ASF répercute ainsi un chantier majeur sur les péages de son réseau : le dédoublement de l’A9 en périphérie de Montpellier. Depuis la signature par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, d’un accord avec ces sociétés en avril 2015, les modifications du niveau d’imposition sont également répercutées sur les péages.

De même, quand l’État augmente le « loyer » que lui paient les sociétés concessionnaires pour faire entrer de l’argent dans ses caisses, c’est désormais l’usager des autoroutes qui paie la différence. Un trajet Deauville-Paris coûtait ainsi 9,40 euros pour une voiture en 2006, et 11,80 euros en 2016. Soit une augmentation de 25 % en dix ans, supérieure à l’inflation sur cette période. Dans le même temps, le trajet Lyon-Valence Sud passait de 7,10 euros à 8 euros. Des hausses qui alimentent tous les ans le débat sur une rentabilité excessive des sociétés d’autoroutes.

Un plan de relance autoroutier pour créer « 10 000 emplois » ?

C’est d’ailleurs pour clore la polémique, en 2015, qu’Emmanuel Macron demande aux sociétés concessionnaires d’investir, en fonds propres, 3,27 milliards d’euros sur le réseau, en échange d’un allongement des durées de leurs concessions – les contrats courant jusqu’en 2032 en moyenne. Pour le gouvernement, les travaux créeront 10 000 emplois. A l’époque Emmanuel Macron assure qu’ils seront réalisés dans les trois ans. Deux ans plus tard, aucun chantier n’a débuté.

En juin 2014, la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) alerte les pouvoirs publics sur le risque de perdre 60 000 emplois dans le secteur du BTP. Interrogée en avril 2015, la fédération indique que le plan de relance autoroutier permettrait, non pas de « créer », mais de « sauvegarder » 10 000 emplois. Quoi qu’il en soit, l’impact reste difficilement quantifiable tant que les travaux n’ont pas débuté.

Les chantiers autoroutiers peuvent employer de 30 à 300 ouvriers selon les phases. « Il n’y a pas de travailleurs détachés sur ces travaux », précise Frédéric Mau, secrétaire national de la CGT-Construction pour l’industrie routière. Des ouvriers présents sur les chantiers pendant plusieurs semaines, sont payés 1300 à 1400 euros nets par mois, hors primes de déplacement ou de nuit.

Des chantiers subventionnés par les collectivités locales

Au vu de ce maigre bilan en terme d’emplois comparé aux sommes consacrés, ce type de plan d’investissement est-il vraiment prioritaire ? Ce n’est pas sur les autoroutes que l’avenir des entreprises de travaux routiers se joue mais sur les routes départementales et communales qui se déploient sur un million de km. « Notre activité a chuté de 35 % depuis 2009 avec le manque d’investissements des communes et des départements », estime Pierre de Thé, directeur de la communication de l’Union syndicale de l’industrie routière de France. Un point de vue largement partagé par la CGT-Construction : « C’est un plan de relance sur le réseau secondaire que l’on attend », assure Frédéric Mau.

D’où l’incompréhension face à l’annonce par le ministre des Transports Alain Vidalies, du deuxième plan d’investissement autoroutier fin janvier, qui plus est financé en partie par les collectivités territoriales. Ces dernières n’arrivent plus à investir dans les routes, et l’État leur demande de mettre de l’argent sur les autoroutes. La communication passerait-elle avant toute autre considération ? Le nouveau plan est annoncé cinq jours avant la hausse des péages – 0,76% en moyenne – intervenant ce 1er février 2017. Le ministère annonce la création de « 5000 emplois », grâce à « 57 chantiers pour un montant de 800 millions d’euros ».

Une source au ministère tente une explication : « Il s’agit d’aider à la réalisation de projets locaux, en faisant appel au financement des péages pour aider les collectivités. » Concrètement, si votre communauté de communes, département ou région décide de mettre de l’argent sur la table pour financer la création d’un nouvel échangeur, vous, contribuables, paierez via les impôts locaux. Et si vous êtes usager des autoroutes, vous paierez une deuxième fois, parce que la société concessionnaire qui aura financé le chantier répercutera son investissement sur les péages.

Le beurre et l’argent du beurre

Si on additionne le plan de relance de 2015, et celui de 2017, ce seront donc plus de 70 chantiers qui doivent débuter. Toutes les entreprises vont-elles en bénéficier ? Apparemment pas. En 2014, l’Autorité de la concurrence dénonçait le fait qu’une part importante des chantiers autoroutiers était attribuée... à des entreprises elles-mêmes filiales des groupes propriétaires des sociétés exploitant les autoroutes : Vinci, Eiffage, et Abertis.

En avril 2015, les sociétés se sont engagées, sur l’honneur (sic), à réserver la moitié des travaux à des entreprises qui ne leur sont pas liées. Les marchés n’ayant pas encore été attribués, c’est à ce jour invérifiable. Pour bien faire, en septembre 2015, l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (ASFA) et la FNTP ont créé un Observatoire des marchés passés par les concessionnaires d’autoroutes. Depuis, le silence radio règne concernant le travail de cet organisme.

La loi Macron a cependant créé une Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (l’Arafer). « Avec son premier rapport sur l’économie des sociétés concessionnaires, l’Arafer a démontré qu’elle faisait son travail, » estime Laurent Hecquet, président du think tank Automobilités et Avenir. Cette analyse des comptes indique qu’en 2015, « les dividendes versés […] ont fortement augmentés pour atteindre 3,3 milliards d’euros (+127,5%) » Sur la même année, les effectifs à temps plein chutent de 3,1% en moyenne sur les sept sociétés historiques. Bref, les propriétaires des opérateurs autoroutiers se sont considérablement enrichis. Usagers et contribuables apprécieront.

Incompétence ou connivence ?

Alors qu’est-ce qui fait rouler nos ministres pour les autoroutes ? « L’État n’a pas les moyens de financer les infrastructures de transports, juge Jean-Paul Chanteguet, député PS et rapporteur de la mission d’information parlementaire sur la place des autoroutes. Ce qui n’est pas le cas des grands groupes. » Encore faut-il que leurs bénéfices soient consacrés à l’investissement... Cela permet également au gouvernement de communiquer sur la création de 15 000 emplois sans en assumer directement le financement. Mais, au final, c’est bien l’usager autoroutier, voire l’ensemble des contribuables, qu’ils utilisent ou non les autoroutes, qui paie la note. Pour Alain Fayard, retraité du ministère des Transports, c’est le fonctionnement de l’administration française en tant que telle qui est en cause, sans vision « au-delà de six mois ».

En 2013, la Cour des comptes estimait que l’État ne défendait pas suffisamment ses intérêts et ceux des usagers. « L’administration française n’a rien compris au système de la concession ! C’est de l’incompétence, » estime Alain Fayard. Le rapport de force serait inégal avec « des concessionnaires qui connaissent bien mieux le système que le concédant. ». Pourtant, les passerelles entre la puissance publique et les sociétés concessionnaires existent. Loïc Rocard (fils de Michel Rocard) s’occupe du pôle transport au sein du cabinet du Premier ministre, après avoir été directeur d’exploitation de Cofiroute (Vinci) depuis 2014. Alain Fayard lui-même, dans les années 70, a fait une parenthèse dans sa carrière de haut fonctionnaire en passant par ASF, alors entreprise publique. Ces passerelles favoriseraient-elles des convergences de point de vue, voire des connivences entre acteurs publics et privés, au détriments des administrés ?

Quoi qu’il en soit, si ce n’est pas l’usager, c’est le contribuable qui paie. Même lorsque le gouvernement envisage de mieux encadrer les hausses de péages ! Lorsque Ségolène Royal, ministre de tutelle des transports déclare, en octobre 2014 sur RTL, qu’elle est « favorable à la gratuité des autoroutes le week-end », elle déclenche une polémique qui se termine en 2015 par l’annonce du gel des tarifs par Manuel Valls, alors Premier ministre, dont Loïc Rocard était déjà le conseiller transport. Une décision qui entraîne un effet secondaire, résultant des contrats qui lient l’État aux sociétés privées : une compensation sur les années suivantes, répercutés sur les tarifs de péages, qui coûtera 500 millions d’euros supplémentaires aux usagers autoroutiers. Incompétence ou connivence ?

Note:

[1] Source : « État des routes 2016 », Union des syndicats de l’industrie routière


- Source : Basta!

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