Ces deux événements se réaliseront-ils au double bénéfice des sociétés de concession autoroutière – trois géants du BTP – qui encaisseront d’un côté les bénéfices générés par le trafic, tout en attribuant les chantiers à leurs propres filiales de travaux ? Tout indique que les recettes tirées des autoroutes constituent une rente particulièrement rémunératrice pour les sociétés autoroutières… et pour leurs actionnaires.
En 2005, la privatisation d’une rente publique
Le réseau autoroutier français – 9 053 km à ce jour [1] – a été construit par sept sociétés concessionnaires, dans lesquelles l’État est resté actionnaire majoritaire jusqu’en 2005. Comme leur nom l’indique, ces sociétés sont liées à l’État par des contrats de concession, sous la forme d’une délégation de service public. Elles entretiennent le réseau, et se rémunèrent avec les péages.
En 2005, le gouvernement dirigé par Dominique de Villepin décide de vendre les actions détenues par l’État dans ces sociétés : les autoroutes françaises sont alors privatisées. Vinci achète les Autoroutes du sud de la France (ASF), Escota et Cofiroute, et devient propriétaire de la moitié du réseau français. Eiffage récupère les Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et Autoroutes Rhône-Alpes (AREA). Enfin, la SANEF (autoroutes du nord et de l’est) et la SAPN (Paris-Normandie) tombent dans le giron de l’entreprise espagnole Abertis. Trois groupes de bâtiment et travaux publics. L’État encaisse 14,8 milliards d’euros, mais se prive définitivement des recettes de ces sociétés globalement très bénéficiaires. Il reste simplement propriétaire des infrastructures.
Des hausses de tarifs régulières
Les contrats de concession passés entre l’État et ces sociétés désormais privées prévoient une augmentation annuelle des tarifs des péages basée sur l’inflation. Les investissements à réaliser sur le réseau sont également pris en compte. ASF répercute ainsi un chantier majeur sur les péages de son réseau : le dédoublement de l’A9 en périphérie de Montpellier. Depuis la signature par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, d’un accord avec ces sociétés en avril 2015, les modifications du niveau d’imposition sont également répercutées sur les péages.
De même, quand l’État augmente le « loyer » que lui paient les sociétés concessionnaires pour faire entrer de l’argent dans ses caisses, c’est désormais l’usager des autoroutes qui paie la différence. Un trajet Deauville-Paris coûtait ainsi 9,40 euros pour une voiture en 2006, et 11,80 euros en 2016. Soit une augmentation de 25 % en dix ans, supérieure à l’inflation sur cette période. Dans le même temps, le trajet Lyon-Valence Sud passait de 7,10 euros à 8 euros. Des hausses qui alimentent tous les ans le débat sur une rentabilité excessive des sociétés d’autoroutes.
Un plan de relance autoroutier pour créer « 10 000 emplois » ?
C’est d’ailleurs pour clore la polémique, en 2015, qu’Emmanuel Macron demande aux sociétés concessionnaires d’investir, en fonds propres, 3,27 milliards d’euros sur le réseau, en échange d’un allongement des durées de leurs concessions – les contrats courant jusqu’en 2032 en moyenne. Pour le gouvernement, les travaux créeront 10 000 emplois. A l’époque Emmanuel Macron assure qu’ils seront réalisés dans les trois ans. Deux ans plus tard, aucun chantier n’a débuté.
En juin 2014, la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) alerte les pouvoirs publics sur le risque de perdre 60 000 emplois dans le secteur du BTP. Interrogée en avril 2015, la fédération indique que le plan de relance autoroutier permettrait, non pas de « créer », mais de « sauvegarder » 10 000 emplois. Quoi qu’il en soit, l’impact reste difficilement quantifiable tant que les travaux n’ont pas débuté.
Les chantiers autoroutiers peuvent employer de 30 à 300 ouvriers selon les phases. « Il n’y a pas de travailleurs détachés sur ces travaux », précise Frédéric Mau, secrétaire national de la CGT-Construction pour l’industrie routière. Des ouvriers présents sur les chantiers pendant plusieurs semaines, sont payés 1300 à 1400 euros nets par mois, hors primes de déplacement ou de nuit.
Des chantiers subventionnés par les collectivités locales
Au vu de ce maigre bilan en terme d’emplois comparé aux sommes consacrés, ce type de plan d’investissement est-il vraiment prioritaire ? Ce n’est pas sur les autoroutes que l’avenir des entreprises de travaux routiers se joue mais sur les routes départementales et communales qui se déploient sur un million de km. « Notre activité a chuté de 35 % depuis 2009 avec le manque d’investissements des communes et des départements », estime Pierre de Thé, directeur de la communication de l’Union syndicale de l’industrie routière de France. Un point de vue largement partagé par la CGT-Construction : « C’est un plan de relance sur le réseau secondaire que l’on attend », assure Frédéric Mau.
D’où l’incompréhension face à l’annonce par le ministre des Transports Alain Vidalies, du deuxième plan d’investissement autoroutier fin janvier, qui plus est financé en partie par les collectivités territoriales. Ces dernières n’arrivent plus à investir dans les routes, et l’État leur demande de mettre de l’argent sur les autoroutes. La communication passerait-elle avant toute autre considération ? Le nouveau plan est annoncé cinq jours avant la hausse des péages – 0,76% en moyenne – intervenant ce 1er février 2017. Le ministère annonce la création de « 5000 emplois », grâce à « 57 chantiers pour un montant de 800 millions d’euros ».
Une source au ministère tente une explication : « Il s’agit d’aider à la réalisation de projets locaux, en faisant appel au financement des péages pour aider les collectivités. » Concrètement, si votre communauté de communes, département ou région décide de mettre de l’argent sur la table pour financer la création d’un nouvel échangeur, vous, contribuables, paierez via les impôts locaux. Et si vous êtes usager des autoroutes, vous paierez une deuxième fois, parce que la société concessionnaire qui aura financé le chantier répercutera son investissement sur les péages.
Le beurre et l’argent du beurre