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Samedi, 30 Nov. 2024

Violation de la Constitution par ceux-là mêmes qui sont censés la protéger

Auteur : Thierry Benne | Editeur : Walt | Dimanche, 03 Avr. 2022 - 11h51

L’étonnante voracité des sages : 2310 violations de la Constitution en 21 ans.

Un vrai jeu de massacre dans les allées de la république !

« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. » (Albert Einstein)

Ils devaient veiller au respect de la Constitution, en être les gardiens attitrés, vigilants, rigoureux et incorruptibles. Ils avaient solennellement prêté serment devant le président de la République de bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution. Or voilà qu’au cours de l’été 2019 on s’est aperçu que depuis le 1er janvier 2001 et jusqu’en ces premiers mois de 2022, le Conseil constitutionnel a concentré et – semble-t-il – concentre toujours dans ses murs, dans ses silences et dans ses secrets, dans les personnes de ses présidents et de celles de tous ses membres successifs, l’immense majorité des violations constitutionnelles commises en France au cours de ces vingt dernières années.

En effet, au fil du temps, la plupart des présidents et des membres du Conseil constitutionnel sont devenus de trop fins juristes, des constitutionnalistes trop avertis pour ne pas s’apercevoir que le marché fort attractif que vient de leur proposer Madame Florence Parly (alors secrétaire d’État au Budget auprès de Laurent Fabius, ministre des Finances, de l’Économie et de l’Industrie) en ce début de l’année 2001 est hautement suspect. Il s’agit rien moins que de troquer l’ancien abattement fiscal de 50% dont ils bénéficiaient illicitement depuis 1960 contre une augmentation substantielle et immédiate de leurs rémunérations (+57% quand même). Au-delà de l’appât du gain, cette brusque revalorisation pose en effet quelques questions tant au regard de la déontologie du juge, que de son éthique personnelle, alors même qu’aucune contrepartie explicite ne vient gager (« causer » diraient les juristes) cette aguichante proposition. C’est d’ailleurs pour apaiser les derniers scrupules des Sages que, probablement en relation avec son ministre de Rattachement, la jeune secrétaire d’État avait choisi le 16 mars 2001 le canal discret d’une simple lettre ministérielle non publiée, qui notifiait les augmentations allouées, sans toutefois rien dévoiler à quiconque de leurs éventuelles contreparties. En dépit de toutes ces précautions, les rallonges proposées n’en demeuraient pas moins incompatibles avec l’article 63 de la Constitution qui réserve à un texte organique le soin de fixer la rémunération du président et des membres du Conseil. Ces derniers ne pouvaient donc ignorer le caractère doublement illégal de la situation,  puisqu’en la forme l’augmentation allouée n’avait pas emprunté la voie obligatoire d’une loi  organique et au fond elle bafouait l’article 6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 à valeur organique qui plafonnait la rémunération du président au traitement du vice-président du Conseil d’État (lettre G) et celle des autres membres au traitement d’un président de section au Conseil d’État (lettre F) et donc à des sommes nettement inférieures à la notification Parly. Le calcul ci-dessous ne laisse aucune place au doute.

Un calcul simple et accessible

Point n’est besoin d’être inspecteur des Finances, conseiller-maître à la Cour des comptes ou plus modestement expert-comptable pour le comprendre. Il s’agit le plus simplement du monde de rapprocher deux sources, puis de vérifier leur concordance pour s’assurer que les limites fixées par la Constitution sont bien respectées :

  1. le montant annuel – tel que fixé par la Constitution – du traitement du président et de celui des membres du Conseil constitutionnel,
  2. les documents budgétaires préparés par le Conseil constitutionnel à l’intention du  Gouvernement et votés ensuite par le Parlement au titre des lois de finances initiales et de règlement ;

Pour la Constitution

L’article 6 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 prise en application de l’article 63 de la Constitution prévoit que : le président et les membres du Conseil constitutionnel reçoivent respectivement une indemnité égale aux traitements afférents aux deux catégories supérieures des emplois de l’État classés hors échelle. Ces deux traitements correspondent en réalité :

  • pour le président du Conseil constitutionnel à celui du vice-président du Conseil d’État, soit l’échelle-lettre G qui, au 1er janvier 2022, indique un montant brut annuel de 84 911 € ;
  • pour les membres du Conseil à celui d’un vice-président de section au Conseil d’État, soit l’échelle – lettre F, qui indique un montant brut annuel de 77 488 €.

On observe donc un écart de (84 911 /77 488 – 1,00) = 9,58% entre les deux niveaux hiérarchiques. Il est important de préciser dès maintenant que l’ordonnance précitée prévoit expressément que l’indemnité en cause est égale aux traitements considérés.

Pour les documents budgétaires

On se cantonnera au document le plus récent : le projet de loi de finances initiale pour 2022, tel qu’arrêté et voté par le Parlement à la fin du mois de décembre 2021. C’est dans l’annexe du projet, consacrée aux pouvoirs publics, que se trouve consigné le montant total des rémunérations du président et des membres du Conseil constitutionnel. Cette annexe mentionne 1 637 300 € au titre de la rémunération brute et hors charges de l’ensemble des Sages (étant précisé qu’en l’absence de tout ancien président de la République, ils ne sont plus que 9). On a vu plus haut qu’en fonction des échelles indiciaires, on peut estimer à 9,58% la majoration dont jouit le président du Conseil, par rapport à ses collègues. On obtient ainsi aisément le montant moyen de la rémunération brute annuelle d’un conseiller en opérant la division : 1 637 300 € /9,0958 € = 180 006 € arrondi par défaut et par commodité de calcul à 180 000 €, montant porté à (180 000 x 1,0958) pour le président soit 197 244 €. Il est à noter que ce montant annuel de 180 000 €, qui correspond peu ou prou à celui que perçoit le Président de la République, lui-même, rejoint très précisément la déclaration de Madame Belloubet à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, lorsqu’en juin 2017 elle a quitté le Conseil constitutionnel pour accéder au poste de Garde des Sceaux.

Le défaut patent de concordance

La confrontation des deux sources est sans appel puisque pour 2022 le Président du Conseil constitutionnel perçoit une somme annuelle brute de 197 244 €, alors que les textes constitutionnels plafonnent cette rémunération à 84 911 €, soit une « surprime » illégale de 112 333 €, correspondant à une majoration indue de… 132% de la rémunération autorisée.

En répliquant le même calcul pour les autres membres du Conseil constitutionnel, on obtient face à une rémunération annuelle brute budgétaire de 180 000 € une rémunération constitutionnellement autorisée de 77 488 €, soit une « surprime » de 180 000 – 77 488 = 102 512 €, majorant indument du même pourcentage de 132% le plafond légal.

L’argument selon lequel les rémunérations actuellement versées aux Sages correspondraient à celles respectivement perçues par le vice-président du Conseil d’État et un président de section de ladite juridiction est absolument sans valeur, parce que les textes constitutionnels se référent expressément au seuls « traitements » des fonctionnaires concernés, à l’exclusion de tout accessoire de rémunération (primes, suppléments et indemnités notamment) venant en sus.

Le lecteur peut ainsi se rendre aisément compte par lui-même de la simplicité relative du calcul présenté ci-dessus qui, tenant  en guère plus d’une page, limité à quelques opérations des plus simples et ne comportant  aucune équation de quelque degré que ce soit, a victorieusement rebuté pendant plus de 20 ans la fine fleur de notre haute fonction publique, a tenu vaillamment en échec ses corps de contrôle les plus prestigieux avant de défier victorieusement la perspicacité des plus aguerris de nos Parlementaires, visiblement guère à l’aise avec les mathématiques les plus rudimentaires. À quand donc un classement Pisa des Gouvernements, des corps de contrôle publics et des Parlements en place ?

Les acteurs

Le Conseil constitutionnel

Quoi qu’il en soit, en acceptant la proposition Parly (dont on peine à croire qu’elle n’ait pas été sollicitée), le président et les membres du Conseil constitutionnel de 2001 savaient qu’ils avaient mis le doigt dans un engrenage sulfureux, puisque les sommes perçues en surplus des traitements visés par l’ordonnance précitée encouraient le double grief de dissimuler des enrichissements personnels illicites et de constituer autant de violations de la Constitution. Et le secret a été si bien gardé par la suite qu’on a beaucoup de mal à imaginer que les consignes adéquates de discrétion aient pu ne pas être transmises aux nouveaux présidents et aux nouveaux membres du Conseil, au fur et à mesure du renouvellement du Conseil. C’était en effet la condition indispensable pour que le secret de l’affaire – un véritable secret d’État – ne « fuite » pas et il a été si bien protégé qu’aujourd’hui encore, le Conseil continue à s’abstenir de toute communication sur le sujet et que c’est bien malgré lui que le scandale est finalement tombé dans le domaine public. Il n’en reste pas moins qu’en maintenant obstinément cette position quoi qu’il en coûte (surtout au Trésor public), le Conseil constitutionnel a accumulé un nombre sidérant de violations constitutionnelles, puisque chaque versement individuel emportait et emporte encore, on vient de le voir, une infraction constitutionnelle. Dès lors, en excluant pour ne pas encombrer inutilement notre propos le cas particulier des anciens présidents de la République, les choses sont simples : pendant 21 ans, 9 présidents ou conseillers ont chaque mois perçu des sommes importantes en violation de la Constitution ; Ce qui détermine en bloquant le compteur au 31 décembre 2021 un total sidérant de :

21 ans x 12 mois x 9 parties prenantes = 2268 manquements à la Constitution.

Il faut y ajouter en sus et pour chacune des 21 années précitées deux manquements supplémentaires, cette fois au niveau de l’institution, caractérisés par la présentation d’un budget insincère, puis d’un compte de règlement intégrant en pleine connaissance de cause les violations précédentes, soit :

21 ans x 2 manquements = 42 violations supplémentaires

et donc un total hallucinant de 2268 + 42 = 2310 violations des textes constitutionnels commises en quelque 21 années (soit 110 violations par an = 2310/21 pour l’ensemble du Conseil, se déclinant pour chaque mandat complet en 126 violations, soit 9 (12+2) = 126, par président et 108, soit 9 x 12 = 108, violations par membre par ceux-là mêmes qui auraient dû être les gardiens du temple.

Rappelons en outre que l’extrême diversité des bénéficiaires : présidents de la République, Premiers ministres, ministres de Finances, garde des Sceaux, autres ministres d’État, parlementaires, présidents de l’Assemblée nationale, diplomates, inspecteurs des finances, hauts magistrats tant dans l’ordre judicaire que dans l’ordre administratif, universitaires de haut rang, avocats et bien d’autres encore, montre que le mal a été profond et que cela fait déjà un certain temps que les valeurs de la République battent piteusement de l’aile.

Il sera d’ailleurs intéressant de voir si les trois nouveaux juges qui viennent d’être nommés (non sans force polémiques…) vont se glisser sans mot dire dans le très profitable système de rémunération perpétué par leurs collègues ou si leur éthique personnelle va les obliger à dénoncer publiquement un système qui les compromettrait irréversiblement : rendez-vous au plus tard lors de la prochaine loi de finances pour 2023 à l’annexe 31 qui permettra de savoir à quelle catégorie de conseillers on a à faire.

Par ailleurs, dans la perspective des prochaines élections présidentielles, il y a plus qu’un paradoxe à confier le soin d’approuver, de réformer ou de rejeter les comptes de campagne des candidats, à un Conseil constitutionnel, dont chacun des juges se trouve (ou pour les nouveaux, risque de se trouver) à raison d’enrichissements personnels indus perçus avec l’accord implicite et subversif  d’un seul des candidats, en délicatesse tant avec la Constitution, qu’avec rien moins que le droit budgétaire, la déontologie constitutionnelle et enfin la probité républicaine. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi, dans un domaine aussi grave, personne ne doit pouvoir soupçonner ni le juge, ni l’auditeur, mais dans notre République faisandée cela ne gêne personne, fors quelques juristes grincheux qui s’obstinent à s’accrocher  encore au droit qu’on leur a appris. Et pourtant, il est peu probable à regarder le passé qu’un seul de ces magistrats ait le réflexe de se récuser, car la récusation n’a jusqu’ici visiblement pas fait partie des pratiques de la maison.

Le Gouvernement

Mais, ce qu’on peut appeler pudiquement ces « malversations » n’aurait pas été possible sans la complicité active de deux autres institutions au cœur des pouvoirs publics : le Gouvernement d’abord et le Parlement ensuite. Le Gouvernement :

  • en tant qu’auteur chaque année à la fois du projet de budget pour l’année suivante et du projet de loi de règlement pour l’année précédente ;
  • comme détenteur officiel d’une copie au moins de la lettre Parly par son ministre en charge du Budget,

ne pouvait évidemment ignorer que les chiffres inscrits au titre des pouvoirs publics dans les projets de budget et dans les projets de loi de règlement du Conseil constitutionnel au titre des traitements des membres de ce Conseil étaient intrinsèquement faux, qu’ils l’étaient de beaucoup et que, circonstance aggravante, ils violaient ouvertement la Constitution. D’ailleurs les services auraient-ils perdu la trace de la lettre Parly, que – comme on l’a vu – un simple rapprochement entre les chiffres inscrits dans les documents budgétaires et les traitements fixés par la Constitution révélait immédiatement un énorme écart, qui aboutit à ce qu’aujourd’hui les rémunérations budgétées font plus que doubler les montants constitutionnellement autorisés. S’y ajoute bien entendu toute la machinerie budgétaire pour faire taire les réticences des comptables publics les plus avisés.

En outre, l’indemnité prétendument complémentaire versée, alors que financièrement elle constitue la rémunération principale des Sages, pose trois autres redoutables problèmes :

  • celui d’une gestion de fait pour l’Exécutif, puisque l’argent versé clandestinement et frauduleusement versé échappe au circuit budgétaire légal ;
  • celui d’un emploi clandestin pour les Sages, puisque cette indemnité est complètement étrangère aux conditions d’exercice du mandat de juge constitutionnel, dont elle vient heurter les exigences d’impartialité, d’exclusivité et d’indépendance et qu’elle se rattache donc à une fonction innommée et distincte de celle prévue par la loi ;
  • et enfin celui qui risque fort de s’apparenter à une tentative de corruption en l’absence de cause légitime et avouable au profit d’un juge encaissant de douteuses « épices » en provenance du défendeur qu’est l’État, sans que le requérant en soit informé, ni qu’il puisse faire de même pour tenter de restaurer un semblant d’équilibre dans un procès devenu rien moins qu’équitable ;

qui devraient normalement alimenter une chronique juridictionnelle fournie, pour peu que cesse la loi du silence actuellement en vigueur.

Le Parlement

Bien sûr le même grief de défaut de vigilance existe à l’encontre du Parlement qui, sans connaitre l’existence de la lettre Parly, avait lui aussi dès l’origine les moyens, en confrontant le total des rémunérations budgétées au total des rémunérations autorisées par la Constitution, de détecter tout de suite l’existence d’une grave anomalie. Comme on l’a vu, le rapprochement était l’affaire d’un quart d’heure, d’une demi-heure tout au plus. Mais qu’importe, à l’Assemblée nationale, en répudiant leur devoir de contrôle, les majorités successives ont comme à l’habitude voté l’ensemble de ces lois de finances à l’unisson, sans se poser la moindre question et évitant servilement toutes celles qui fâchent. C’est d’ailleurs sans doute pourquoi les alertes expresses que nous avons personnellement adressées au début de l’été 2021 aux divers présidents de groupe, ainsi qu’à Madame Le Pen sont restées vaines et n’ont eu aucune incidence sur le vote en fin d’année de la loi de finances pour 2022 reconduisant intégralement et en parfaite connaissance de cause les dévoiements signalés. On ne peut pas dire non plus que le Sénat, pourtant armé de la même faculté de calcul et de bon sens, ait joué à cette occasion son rôle de contre-pouvoir, bien qu’il eût été intéressant de voir comment aurait réagi le Conseil constitutionnel à des injonctions imposant sur le champ un strict retour à la Constitution. Nous en terminons ainsi avec les principaux acteurs directement ou indirectement impliqués dans la fraude intervenue. Reste à considérer la longue liste de ceux qui, alors qu’ils étaient payés pour « empêcher » ces dérives ou y mettre fin diligemment, les ont regardé filer au grand dam du Trésor public et de tous ceux qui le financent.

Les « observateurs »

On n’insistera pas sur le caractère volontiers frondeur de cette appellation. Elle couvre pourtant des institutions très sérieuses, dont la clairvoyance et la vigilance n’ont assurément pas été les vertus premières. On commencera par la Cour des comptes, on continuera par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie publique et on n’aura garde d’oublier l’Inspection des Finances, la Cour de cassation et le Conseil d’État ou encore l’Université, dont plusieurs membres ont, par le passé, fait eux-mêmes partie de ces Sages « voraces », cependant que les autres se sont astreints sans ciller à une discrétion de connivence. Impossible enfin d’écarter le président de la République, chargé pourtant de veiller à l’exacte application de la Constitution et au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. On en arrivera enfin à envisager, suite à toutes les défections enregistrées, le signalement au Parquet national financier.

La Cour des comptes

Nous avons en son temps directement saisi Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, qui a eu l’obligeance de nous répondre et en plus avec diligence. Mais notre déception a été à la mesure de nos attentes : le Conseil constitutionnel échappe à la compétence de la Cour, les sommes en cause n’atteignent pas le seuil d’importance exigé pour que la Cour s’en préoccupe et de toute manière elle s’interdit tout contrôle d’opportunité sur les rémunérations des Sages. On reste quelque peu ébahi lorsqu’on confronte cette triple fin de non-recevoir à la devise officielle de la Cour qui prétend : s’assurer du bon emploi de l’argent public, en informer les citoyens., tout en oubliant de mentionner la restriction importante du Conseil constitutionnel, puisque la rue Montpensier n’ouvre pas sa porte à sa voisine, la rue Cambon.

Le président de la République

L’article 5 de la Constitution ne lui laisse aucune marge de manœuvre, puisqu’il édicte : Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Mais cette obligation expresse ne semble pas jusqu’à présent l’émouvoir outre mesure dans notre affaire, puisqu’à ce jour et quatre mois après la réception de l’avis attestant de l’enregistrement de ma lettre opérant signalement auprès des services de l’Élysée, je n’ai toujours pas reçu la moindre réponse ou le moindre élément de réponse, sans avoir davantage connaissance d’éventuelles  mesures d’urgence qui auraient été prises pour mettre un terme à la situation actuelle. Ce contretemps m’a d’ailleurs obligé à interroger la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie publique sur sa propre compétence face à une telle affaire. Sa réponse négative contraint à poser ces prochains jours la même question au Parquet national financier (déjà saisi d’une plainte en concussion par Maître Delsol, président de l’IREF) dont la remarquable célérité lors de l’affaire Fillon laisse espérer que ce dossier, qui pose des questions infiniment plus graves pour la République avec des enjeux financiers nettement plus coûteux pour le Trésor, bénéficiera des priorités et des diligences qu’il mérite.

Quelques autres encore

On a fourni plus haut une première liste des personnes, dont on a du mal à justifier le silence, alors même qu’elles n’étaient nullement ignorantes de ce qui se passait. On doit y ajouter le secrétaire général du Conseil constitutionnel, sans nul doute douloureusement écartelé dans un redoutable conflit personnel de loyauté entre la défense de l’intérêt de l’institution et celle des intérêts pécuniaires de ses juges. Ce qui veut dire au final que nombre de membres éminents de la haute fonction publique française ont personnellement bénéficié ou ont pu avoir connaissance des abus rapportés plus haut et qu’aucun desdits membres n’a eu le réflexe de s’en désengager ou d’opérer le signalement nécessaire pour stopper au plus tôt l’hémorragie financière en cours.

Au terme de cette étude, la liste des acteurs directement ou indirectement impliqués dans les versements effectués ou les encaissements perçus, comme celle des institutions et des personnes qui semblent avoir failli dans leur devoir de contrôle, de surveillance, d’alerte ou tout simplement de loyauté républicaine, est proprement hallucinante. On est assurément à cent lieues de la République exemplaire que nous avait promis un jeune président au soir de son élection. Parce qu’ils en ont vu d’autres, les Français avaient évidemment reçu cette promesse avec quelque circonspection, mais ils ne se doutaient pas que quelques années plus tard, on découvrirait un tel scandale au cœur même d’une des institutions les plus puissantes et les plus importantes de la République. Certes, cela fait déjà un certain temps – notamment depuis l’affaire Cahuzac, suivie de quelques autres – que les Français ne se font plus guère d’illusions sur l’intégrité absolue revendiquée par notre République. Mais maintenant qu’ils considèrent la désinvolture, pour ne pas dire plus, des uns et des autres, ils s’interrogent ouvertement sur le degré exact de décomposition de ses institutions, sur le niveau réel de corruption qui y règne et sur les responsabilités personnelles des élites qui les dirigent en regardant passivement se déliter l’État de droit, au lieu de s’honorer à le servir et à le faire respecter.

Quoi qu’il en soit, il est probable que, maintenant, la plupart de nos concitoyens attendent de pied ferme que le Trésor exige sans état d’âme le remboursement des enrichissements personnels indus, en réagissant vigoureusement contre toute attitude qui consisterait à laisser pourrir la créance publique ou, pire, à l’éteindre par une amnistie aussi ravageuse que scélérate. Viendra ensuite la question de l’avènement d’un nouveau Conseil constitutionnel, suffisamment renouvelé, suffisamment réformé pour que les Français puissent à nouveau et progressivement réinvestir leur confiance dans un nouveau Juge suprême, désormais affranchi de tout conflit d’intérêts et préservé d’influences politiques par trop directes ou par trop voyantes. Un juge vraiment indépendant, à la hauteur des enjeux, à la fois plus respectueux de la Constitution et plus attentif à tous ceux, dont il se doit de garantir efficacement les droits, notamment en matière d’égalité, de sécurité, de liberté et de propriété. Il faut qu’en cessant d’ajouter ou de retrancher arbitrairement à la loi, le juge constitutionnel retourne aux principes de clarté, de logique, d’équité et de lisibilité, hors desquels le citoyen le ressent comme un instrument supplémentaire d’oppression du pouvoir, au lieu d’y voir le défenseur avisé et vigilant de ses droits.


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