Quand Samuel Laurent des Décodeurs du Monde ment comme un arracheur de dents
Vous connaissez le slogan des arracheurs de dents ? « ça ne vous fera pas mal ». Vous connaissez Les Décodeurs que nous avons analysés fin 2014 ici et en vidéo mi 2017 là. Ils sont comme les arracheurs de dents qui vous emportent la moitié de la mâchoire sous prétexte d’un début de carie. Un exemple de gencive abimée dans Le Monde du 7 décembre 2018 sous la signature de Samuel Laurent sur le « Pacte migratoire de l’ONU ; itinéraire d’une intox ». On désosse avec précaution.
Précisions méthodologiques
Il ne viendra jamais à un esprit sensé de croire la totalité de ce qui se peut s’écrire ou se représenter sur internet. Depuis la présence des reptiliens parmi nous, l’existence de l’amant caché du pape ou l’influence des infox des lapons sur le Brexit. Il va de soi que sur le pacte migratoire voulu par l’ONU, de nombreuses inexactitudes ont été avancées sur les réseaux sociaux. Non, Emmanuel Macron – qui a déjà bien des soucis – ne démissionnera pas le lendemain de la signature du pacte pour laisser les pleins pouvoirs à l’ONU. Non, l’ONU « ne prévoit pas l’arrivée de 480 millions de migrants pour détruire l’Europe », elle se contente d’en préparer les conditions morales et symboliques ainsi que de proposer les cadres nécessaires pour éliminer moralement et politiquement ceux et celles qui auraient l’idée odieuse de ne pas envisager cette perspective avec ravissement. Mais rentrons dans le vif du sujet.
Théorie conspirationniste
Vous pensez autrement que Les Décodeurs ? Malheureux, vous tombez dans la conspiration comme l’annonce le sous-titre de l’article « Le pacte mondial pour des migrations sûres est à la base d’une théorie conspirationniste très populaire chez les gilets jaunes ». Fichtre !
Précisons que le pacte n’est pas un traité, il a été « adopté » les 10 et 11 décembre lors d’une grand messe onusienne à Marrakech à laquelle Emmanuel Macron et Édouard philippe se sont bien gardés de se rendre, y dépêchant le très obscur Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères Jean-Baptiste Lemoyne. Le texte sera sans doute voté définitivement et sans de nombreux pays (le dernier réfractaire étant le Brésil) le 19 décembre 2018 à New-York, siège de l’ONU. Mais que contient ce fameux pacte ?
Commençons par son intitulé « Le pacte mondial des Nations-Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ». Le doux Samuel précise « une déclaration de portée symbolique, réaffirmant un certain nombre de standards, mais ne comportant aucune obligation en matière d’accueil ». Reprenons le titre et le dernier adjectif, régulières. Régulier dit notre Littré (édition 1874) « conforme aux règles naturelles, conforme aux règles naturelles, conforme aux règles de la morale ». Régulier dans le sens commun c’est aussi ce qui revient régulièrement, ce qui est habituel, ce qui est inéluctable. Gentil Samuel souligne le caractère non contraignant sur le plan juridique mais ajoute tout de suite que le texte « ajoute quelques déclarations de principe affirmant que les migrations sont un phénomène inévitable et qui a des aspects positifs ». Inévitable, le mot est lancé. Cela ne vous rappelle rien ? Margaret Thatcher TINA There is no alternative (il n’y a pas d’alternative – au néo libéralisme thatchérien - voulait-elle dire). Une portée « symbolique » qui devient en raison pratique normative. Les Européens sont condamnés aux migrations comme le forçat était condamné au bagne de Cayenne.
Reprenons le mot « standard » et le Robert d’Alain Rey, dictionnaire historique de la langue française (édition de 1992) « Standard… par analogie a pris le sens de rendre conforme à un modèle social standard ». Il s’agit bien de rendre conformes les nations subissant l’invasion migratoire, de les standardiser. Reprenons aussi le mot « principe » et notre Littré, « principe… origine, cause première… ce qui opère comme un principe, proposition que l’esprit admet comme un point de départ, règle de conduite ». Même origine que princeps, prince, ce qui vient en premier. Ces principes sont donc un point de départ, des règles, qui doivent déterminer la conduite pratique des signataires et être suivis d’effet.
Les principes et les standards contre la liberté d’expression
L’ami Samuel constate que certains aspects du pacte sont mis en avant par les « détracteurs du document, souvent déformés, et décontextualisés, caricaturant ce pacte … (qui inclurait) l’obligation pour les médias de dire du bien de l’immigration etc ». Lisons l’avis de l’historien du droit Jean-Louis Harouel (Le Figaro du 11 décembre 2018) :
Le pacte considère que le débat public doit nécessairement « amener le public à considérer les effets positifs qu’ont des migrations sûres, ordonnées et régulières »… Par conséquent, le débat public auquel le pacte se dit attaché n’est pas libre. D’ailleurs ce document préconise aux Etats de couper les subventions aux médias diffusant des discours jugés xénophobes et intolérants. Or, un journal qui publierait des faits contredisant le dogme du caractère nécessairement bienfaisant des phénomènes migratoires serait aussitôt accusé d’être xénophobe et intolérant. Le pacte contribue donc à restreindre la liberté d’expression et de pensée, déjà menacée dans les pays occidentaux. Il veut instaurer une vérité officielle. (les mots soulignés sont de la rédaction).
Ce que le camarade Samuel appelle « encourager une couverture médiatique objective de ces questions », c’est la censure sous toutes ses formes, financière incluse. Anastasie aux longs ciseaux, l’opprobre moral suivi de la condamnation par les tribunaux, et enfin la sanction économique. Resteraient en lice les médias officiels subventionnés par vos impôts (aide directe au Monde en 2016 : plus de 5M€) ou par le secteur privé (le Decodex a été financé par Google). Samuel Laurent sait tout cela, nous lui accordons bien volontiers les bénéfices de l’intelligence et des sources d’information. C’est pourquoi nous pouvons affirmer sa parenté avec nos anciens arracheurs de dents.
Le pacte agira par effet de cliquet, voyons comment. Comme le signale un peu plus loin dans son entretien Jean-Louis Harouel, les recommandations du pacte vont constituer un moyen de pression sur les politiques gouvernementales, des militants favorables à l’immigration vont s’en emparer, des avocats se réclameront du texte auprès des tribunaux. Ajoutons que certains journalistes bien intentionnés (ceux qui sont financés par Google ?) dénonceront leurs confrères, alerteront les réseaux sociaux sur les contrevenants, demanderont l’asphyxie financière de leurs adversaires. Au nom des bonnes intentions, en se référant à un texte international : ce n’est pas moi qui le demande Monsieur le Juge, c’est le pacte de l’ONU, un principe moral et mondial. Le tout comme l’écrit (sans rire) le pacte en soulignant son attachement à la liberté d’expression.
Complotisme, censure, autocensure
Tordons le cou à quelques canards hivernaux : non, l’ONU n’a pas téléphoné à Samuel Laurent pour lui commander son article. Non, Xavier Niel ou Mathieu Pigasse ne lui ont pas envoyé un courriel pour lui en indiquer le ton. Ce serait ridicule de le penser et surtout ces démarches sont parfaitement inutiles, Samuel Laurent n’a besoin de personne pour mentir. Il le fait de lui-même, spontanément. Il connaît les « valeurs » et la sociologie du Monde et de ses propriétaires : la mondialisation heureuse, le charmant monde libéral libertaire, l’entre soi culturel, économique et social. L’immigration « cool » dans les beaux quartiers et les immigrés pour les gilets jaunes. Il y adhère sans doute sincèrement, il y trouve un intérêt moral comme professionnel. Irait-il à l’encontre, il risquerait la déconsidération des ses pairs et peut-être plus.
Ajoutons que Samuel Laurent ou Les Décodeurs ne mentent pas tout le temps, pour une simple raison d’efficacité. La pratique du mensonge exige de la mesure, des précautions, du doigté, pour vendre le pacte pour les migrations par exemple. Le mensonge pour produire un effet doit se trouver noyé dans d’autres nouvelles, celles là vérifiées. Dans la société du spectacle le vrai devient un moment du faux, disait le regretté Guy Debord. Amen.
- Source : Observatoire du Journalisme