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pression, Pression, PRESSION : pourquoi tu nous tiens

Auteur : Emmanuel Cauvin via Etherciel | Editeur : Stanislas | Vendredi, 07 Juin 2013 - 15h30

Pression : pour ceux (ils sont de moins en moins nombreux) qui ont un travail, c'est devenu un refrain quotidien. D'où vient ce sentiment d'un nouveau mode de vie ("sous pression") ? Comment expliquer ce phénomène ?

Par la pression des octets. Immergés dans l'écosystème numérique, nous en subissons les propriétés fondamentales. Parmi celles-ci, la prévalence du temps, corollaire de l'écrasement de l'espace. Les octets se fichent de la géographie. Il n'y a plus de distance à parcourir, il n'y a que des temps de réponse. La connexion nous plonge dans un espace-temps recomposé.

Les "moyens de communication" avaient pour but affiché de vaincre les distances, pour permettre aux individus de "communiquer", malgré l’éloignement. Ce que personne n’avait imaginé c’est que le temps allait occuper la place laissée vacante par l’espace. Passer d'une situation à une autre n'implique pas un déplacement, mais un temps d'attente. Les mouvements se délimitent bien entre un point de départ et un point d'arrivée. Mais entre les deux, la "distance" se mesure en temps de parcours, pas en centimètres ou en kilomètres.

Être "en ligne" c'est être sur la ligne du temps.

Au moment de débarquer dans l'écosystème électronique, "Actualiser" est toujours la première chose à faire avant de commencer quoi que ce soit. L'entrée dans la matière est une synchronisation : se tenir au courant de l'actualité, installer la nouvelle version de logiciel, charger les derniers messages. La course à la dernière version de tel ou tel document est le sport favori, ou en tout cas quotidien, de tous les habitants de ces terres sans horizon. Il faut coller au temps présent. Un environnement exclusivement temporel porte le présent au pinacle. Une sorte de culte. La maintenance, maintenant, à chaque instant. L'immobilité, c'et la mort.

L'environnement, accueillant, vivant, trépidant même, impose ses propriétés physiques à ceux qui viennent s'y installer. L’espace n’est plus là pour nous protéger, les kilomètres sont morts, finis, oubliés ; il n'y a plus que le temps, le temps réel, écrasant, jamais fatigué (lui).

Rappel de notions de base : le présent est ce par quoi le temps se manifeste, s'impose même, avec sa densité inégalable. Le présent représente le versant actif du temps. Par opposition au présent, le passé et le futur sont "absents" (souvenirs, espoirs et craintes…). C'est dans le présent que nous agissons, le présent qui ne cesse jamais d'être là. Sa principale caractéristique est qu'il n'est pas statique, immobile, le présent est la poussée qui avale le futur pour en faire du passé, et c'est sur la pointe avancée de cette poussée inexorable que se situe la ligne, la ligne en laquelle nous sommes. Voilà pourquoi nous ressentons cette pression, qui est la pression du temps, le temps à l'état pur, débarrassé de l'espace autour de nous. Nous habitons cette poussée continuelle, inexorable, sans le support stable et rassurant de l'espace environnant. Le repos est interdit.

Notre espace-temps naturel, celui que nous traversons pour prendre le RER, passer de la chambre à la cuisine, ou faire une balade en forêt instaure un équilibre entre ses deux composants qui représentent l'un, la permanence, l'autre, le changement. Il y a l'histoire et il y a la géographie. Où et quand ? La vie se déroule à la fois dans l'espace environnant et sur le fil du temps, en équilibre sur ces deux piliers. Les courses errantes et infiniment variées de nos vies individuelles à travers le temps se déroulent à l'intérieur d'un espace donné une fois pour toutes. L'individu se situe à leur point de rencontre.

Derrière l'écran, dans ce lieu de vie, cet environnement numérique que j'appelle l'Etherciel, qu'il s'agisse de travailler ou de se distraire, cet équilibre disparaît, nous nous retrouvons dans une tension sans obstacle, impitoyable. Quand l'espace disparaît, le temps, en perpétuel renouvellement, déboule en force et écrase tout sur son passage.

Première conséquence : une fois une situation validée, il n'est pas possible de revenir complètement en arrière, de faire comme si cela ne s'était pas passé, car si on recule dans l'espace, on ne remonte pas dans le temps (la flèche du temps est toujours orientée dans la même direction irréversible), et l'Etherciel est gouverné par la seule variable t. Ce qui est fait est fait. La mémoire garde tout, avale tout. Traverser deux fois le même espace est chose possible, partir puis revenir, retrouver le lieu que nous avons quitté, alors que traverser deux fois le même instant est inconcevable. Tout est découpé entre l'instant "T" et l'instant "T+1".

Autre conséquence : priorité est donnée par le Nouveau Monde à "ce qui vient de sortir". Le souci de ce qui se trouve autour de nous disparaît. Seul compte "ce qui vient de sortir", "ce qui va sortir". C'est là-dessus que nous nous appuyons, plutôt que sur une chaise, une table, un plancher. La nouveauté nous subjugue, elle suscite un consentement universel. D'un monde à l'autre, le temps a acquis ce que l'espace a perdu, le temps, qui ne fait qu'une chose : digérer les nouveautés au fur et à mesure qu'elles surviennent.

Il faut suivre les évolutions, c'est obligatoire, on ne peut pas faire autrement, l'environnement ne le permet pas. Du coup rien n'est jamais achevé. Dominées par le temps, les réalisations sont temporaires. S'arrêter ? Pas question ! Il y a toujours un "après". Le temps ne s'arrête jamais. Donc le Nouveau Monde lui non plus ne s'arrête jamais. Le temps impose sa loi, l'Etherciel avance, tout avance tout le temps, rien ne peut atteindre un état stable, simple et permanent, rien n'y garde une forme constante et arrêtée.

Troisième conséquence : toute attente est pénible, très pénible. Attirés, aspirés, captivés par la fuite vertigineuse des minutes et des secondes, nous tenons grâce à une atmosphère en mutation permanente. Et s'il ne se passe rien ? La moindre attente est une épreuve, difficile à supporter, car en l'absence d'espace, et sans événement particulier, tous nos repères soudain disparaissent, nous plongeant dans le vide. Pas moyen de se raccrocher à ce qui se passe autour, quand "autour" n'existe pas.

Emportés dans la précipitation du Nouveau Monde, nous sommes les esclaves du temps. Plus rien pour se reposer, plus rien pour se poser. La seule perspective n’est ni devant, ni derrière, ni en haut, ni à droite ni à gauche, la seule perspective devant nos yeux est après. La pression s'autoalimente et résulte aussi de notre propre engloutissement dans cet environnement, ce nouveau lieu, ce nouveau terrain d'action, l'Etherciel.

Nous avons créé un Nouveau Monde,

totalement différent de notre environnement habituel, fait d'air, d'eau, de terre, et de quelques autres éléments.

Ce Nouveau Monde se base sur un espace-temps recomposé, au détriment de l'espace, qui n'est plus qu'un lointain souvenir. Ne reste que le temps, le temps qui presse...


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