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Lundi, 25 Nov. 2024

Euro : le débat interdit

Auteur : jean-jacques rousseau | Editeur : Stan | Dimanche, 14 Avr. 2013 - 13h49

L'objet de cet article sera de tenter d'exposer avec le plus d’acuité possible les termes et les perspectives de ce débat trop longtemps censuré mais qui peut se révéler utile et constructif, indispensable à toute société démocratique et éclairée.

Oserons-nous ouvrir ce sujet tabou et poser ces questions qui fâchent tellement ? Qu'est ce que la monnaie unique européenne ? Peut-on et comment changer l'Euro ? Sinon faut-il sortir de la zone euro et en rétablissant la souveraineté monétaire comment restaurer les conditions de la prospérité économique et du plein emploi ?

En janvier 2007 François Fillon participant à la campagne présidentielle avait osé pointer la responsabilité du taux de change élevé de l'euro dans la faiblesse des exportations et le déficit commercial de la France [1]. La réaction de la chancelière allemande Angela Merkel ne s'est pas faite attendre. "Franchement, ce débat mené en France sur l'euro m'inquiète assez" [...] "Laisser à la banque centrale son indépendance, c'est la position allemande très ferme" déclare-t-elle dans un entretien au quotidien Le Monde. [2] Pour elle l'Allemagne a pu se redresser économiquement "malgré" la monnaie unique, l'euro est un garant de la paix et ne doit pas être mis "en danger". Rien de moins !

Le même François Fillon, en visite en Corse pour la première fois depuis son arrivée à Matignon, persiste et affirme "être à la tête d'un Etat qui est en situation de faillite" [3]. La chancelière allemande réplique aussitôt : « l'ensemble du gouvernement et moi-même sommes attachés à l'indépendance de la BCE, et la défendrons contre des tentatives de remises en cause » [4]. Le premier ministre français devra se rétracter dans les heures suivantes et prétendre qu'il ne s'agissait que d'une figure de rhétorique.

Depuis ce bombardement, rares sont les politiciens français qui oseront s'aventurer sur ce terrain. Au contraire ! La plupart se coulent admirablement dans le moule et imités par les médias, reprennent en coeur les arguments des financiers de Frankfort. Tel notre Moscovici qui a finalement su gagner dans l’exercice le poste d'actuel ministre de l'économie et des finances du gouvernement Ayrault [5].

Désormais les rédacteurs et autres officines s'appliquent à décourager les moindres velléités de critique, à étouffer la moindre tentative de débat sous les pires anathèmes. On veille à marginaliser la question pour l'abandonner à une minorité facilement désignée comme extrémiste ou populiste.

Or la peur n'évite pas le danger. Les faits sont têtus et la réalité de la crise monétaire dans la zone euro se glisse difficilement sous le tapis. Le discours hégémonique allemand sur la gestion monétaire de la zone euro [6] pose un vrai problème que ne cesse de rappeler l'actualité au sujet de la Grèce, de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal et maintenant de Chypre.

En France le ministre du Travail M. Sapin vient de déclarer que la France était "un Etat totalement en faillite" puis réplique à l'opposition, se drapant de conformisme, avoir voulu faire de l'humour [7]. Ces gamineries dissimulent à peine le déni de réalité et l'angoisse d'ouvrir ce débat sur la politique économique et monétaire. C'est que la conclusion d'un tel débat risque de déranger en désignant la politique d'austérité - imposée par les mesures drastiques de réduction du déficit et les critères de convergence de Maastricht - comme responsable d'une spirale déflationniste entraînant le pays vers l’abîme.

Qu'est ce que la monnaie unique ?

L’euro (€) est la monnaie de l’union économique et monétaire formée au sein de l’Union européenne ; elle est commune à dix-sept États membres de l’Union européenne qui forment ainsi la zone euro [8].

En tant que moyen de paiement, l'euro est l'aboutissement d'un projet inspiré par plusieurs doctrines, il dispose de ses propres institutions (traité de Maastricht, Banque centrale européenne, etc.) et il est sensé atteindre plusieurs objectifs. Cependant les effets obtenus semblent diverger des effets attendus et la situation résultante indique que les avantages se révèlent moindres que les inconvénients provoqués par ce dispositif.

Les doctrines : bonnes ou mauvaises fées de l'Euro ?

Si on se penche sur l'origine de la monnaie unique on constate que le concept est construit comme une poupée russe avec une combinaison de doctrines. La thèse monétariste de Milton Friedman occupe une bonne place dans ce corpus avec une forte influence de l'idéologie ultralibérale contenue dans le "consensus de Washington". On remarque aussi un fondement plus ancien d'inspiration kantienne qui poursuit un vieux rêve de paix perpétuelle en Europe. La notion de zone économique se retrouve dans le projet d'union allemande par le "Zollverein" de Bismarck. Projet soutenu par les théoriciens de l'école de Berlin d'un espace économique ou "Lebensraum".

La paix perpétuelle est un décret [9] du Saint Empire (1495) qui prononce la suspension définitive et permanente du droit de se rendre justice soi-même car les conflits devaient être réglés par la justice. C'est un principe d'ordre public : l’État ne reconnaît le recours à la violence que pour certaines circonstances comme la légitime défense. Emmanuel Kant reprend la notion dans un ouvrage "Vers la paix perpétuelle" publié en 1795 [10]. Il y fait la proposition d'une Europe post-nationale où les pays ne se mesureront les uns aux autres que par la guerre commerciale...

La renaissance de l'Empire germanique (1871) voulue par Bismarck coïncide avec l'émergence d'une école de Geopolitik [11] qui cherche à donner une légitimité territoriale et renforcer la puissance germanique. De là s'expriment à la fois l'idéologie pangermanique [12] et les moyens techniques d'assurer l'unité nationale. Or le pangermanisme peut se voir de deux façons différentes : comme la volonté légitime de constituer l'unité nationale à partir des populations de langue allemande ; ou - bien plus inquiétant - comme l’exigence d'absorber les diverses régions dont la possession est considérée comme utile à la puissance [de l'Empire] hors de toute question de langue ou de race, etc. De là découle l'idée d'un "Lebensraum" ou espace vital, "un concept distinguant trois zones concentriques : le Reich, c'est-à-dire territoire contrôlé par l'État ; le Volksboden, ou le « territoire ethnique » dans lequel vivait des populations germaniques ; et le Kulturboden (« zone de culture »), où se faisait ressentir l'influence de la culture germanique." [13] Mais avant d'atteindre cet objectif d'hégémonie se doivent d'être développés les outils pratiques de l'intégration et de l'unité nationale. Le "Zollverein" [14] est une union douanière et commerciale entre États allemands (1833) qui a pour but la création d'un marché intérieur unique et l'harmonisation des règles fiscales et économiques. Cette union économique dont le statut juridique est incertain ("D'un simple traité entre États à la formation d'un fédération entre les États. Le seul point d'accord concerne le maintien de la souveraineté de chaque État, la formation d'un État fédéral est donc exclu. À cause de ses organes administratifs et de sa capacité à signer des traités internationaux en son propre nom, on ne peut considérer le Zollverein comme un simple traité, mais son rôle purement économique empêche également de parler d'une fédération") se révèle comme un préalable au IIeme Reich [15] à mesure de l'uniformisation des tarifs douaniers, des règles commerciales et l'union monétaire. En 1871 "les contrats signés du temps du Zollverein restent en application, mais leur application est désormais du ressort de l'Empire".

Il est possible que ces idées kantiennes et pangermanistes soient associées dans la création de l'euro. C'est ce qui expliquerait la réaction d'ingérence d'Angela Merkel qui s’inquiète de la mise en cause de la monnaie unique dans les difficultés économiques de ses partenaires puisque selon ses références culturelles : il est normal qu'existe une rivalité économique dont l'Allemagne puisse tirer bénéfice ou influence et que seul l'euro assorti de ses règles soit "garant de la paix" en Europe.

Outre cette volonté de fonder la "paix perpétuelle" sur la concurrence commerciale et l'union européenne sur les règles économiques et monétaires inspirés des modèles culturels du "Zollverein" et du "Lebensraum" [16], d'autres considérations théoriques encore plus dangereuses ont prévalu lors de la conception de l'euro.

La thèse monétariste d'où découle les notions de ciblage de l'inflation, de taux naturel de chômage, de contrôle de la monnaie par une banque centrale indépendante, de la compensation de l'émission monétaire par des créances négociables assorties de taux d'intérêt variables peut suffire à expliquer beaucoup de problèmes dans la situation critique de l'économie dans laquelle nous nous trouvons [17]. Cette thèse converge remarquablement avec les objectifs du « Zollverein » puisqu'en privant l'Etat-providence de son autonomie et de ses moyens d'action en faveur du plein-emploi, - selon un volontarisme économique par l'injection de fonds public dans l’intérêt du service public - on le prive aussi de sa mission essentielle de résoudre les crises, de répondre à l’exigence d'utilité publique. Ce processus doit aboutir à amoindrir le rôle et l'image de l’État-nation et saper la reconnaissance de sa légitimité dans l'opinion. L'entité nationale ainsi décrédibilisée, ce sera vers une entité supra-nationale, vers une banque centrale indépendante, des institutions dont les autorités auront récupérés - par convention ou subversion - les attributs de la souveraineté monétaire ou les instruments de régulation commerciale, que se reporteront les attentes et aussi la faveur du public.

De même les règles commerciales de l'Union européenne inspirées de la doctrine ultra-libérale et encadrées par les injonctions du Fonds monétaire international conformes au "Consensus de Washington" - qui n'a de consensuel que le titre - font de la zone euro une partie d'un système international incohérent et ruiné de fond en comble [18]. La logique d'auto-régulation des marchés par le libre-échange – et donc la libre fluctuation du taux de change de la devise selon l'offre et la demande - fait de ce principe de liberté un absolu. Mais lorsqu'on veut trouver le principe de responsabilité qui en est normalement la contrepartie (et qui là aussi devrait être absolue) : nous n'en trouvons pas. Les dommages économiques et sociaux ne seront portés au compte d'aucun responsable [19]. A cette rupture des liens du Contrat social, on évoquera pour justifier les préjudices - et les nuisances à l'intérêt public ou particulier - la mystérieuse fatalité d'une crise « imprévisible » mais dont certains pourtant profitent honteusement pendant que d'autres se lamentent [20].

Dans l'ensemble on peut dire que les fées qui se sont penchées sur le berceau de la monnaie unique ressemblaient plutôt à des sorcières et de tant de maléfices il eut été étonnant qu'il en sortisse quelque chose de bon...

Les moyens juridiques

La création de la monnaie unique exigeait la mise en place de nouvelles institutions légales et administratives. Pour obtenir l'adhésion au projet une campagne de propagande est mise en place pour valoriser l'intérêt et justifier la nécessité de ce nouveau système monétaire régional aux yeux des populations et des responsables politiques.

Sur la base du traité de Rome (1957) - qui vise notamment à « établir les fondements d'une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens » selon « la volonté de s'engager dans un processus irréversible » des participants par le moyen d'un « marché commun » [21] – un nouvel accord institutionnel « sur l'Union européenne » [22] est conclu lors du Conseil européen de Maastricht, en décembre 1991, puis ratifié par les États membres (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Espagne, Portugal) le 7 février 1992 et mis en vigueur le 1er novembre 1993.

Ce traité inaugure l'Union économique et monétaire (UEM) [23] « devant conduire à la création de l'euro. » A cette occasion différentes dispositions dites « institutionnelles » sont prises relatives à « l'Union européenne » [24], pour la CECA, Euratom, à une « politique étrangère et de sécurité commune » ou à une « coopération policière et judiciaire en matière pénale ».

On mesure l'importance dans l'esprit des rédacteurs de « l'union monétaire » puisque l'art 4A concernant « un Système européen de banques centrales (SEBC) » et une « Banque centrale européenne (BCE) suit immédiatement l'article 4 portant sur les institutions politiques ou administratives.

Il en découle que toute la politique économique et sociale de ce système d'union douanière (UEM) se trouve conditionnée par une matrice monétariste et ultra-libérale dont la Banque européenne constitue la cheville ouvrière.

Le Traité de Maastricht oriente cette organisation selon une série de dispositions normatives et obligatoires :

a) Des critères de convergence : Ils sont sensés permettre une "harmonisation" par le contrôle de l'inflation et du déficit public [25].

Suite à la ratification du traité de Maastricht l'euro deviendra la monnaie de la France, en 1999 pour les marchés financiers puis en 2002 comme monnaie fiduciaire. » [26]

b) Un monopole de l’émission monétaire (en faveur de la BCE) [27]

c) Une personnalité juridique de la BCE et contrôle du SEBC par le conseil des gouverneurs et le Directoire [28].

d) L'indépendance de la BCE vis à vis des autorités nationales [29]

e) Un volet « social » en trompe-l’œil

Ce « volet social » réalise un double paradoxe : Il offre une exception à la Grande-Bretagne qui n'est pas concernée directement puisqu'elle maintient sa souveraineté monétaire ; et concède un objectif de promotion de l'emploi, d'amélioration des conditions de travail, etc. mais impose par principe « la nécessité de compétitivité » qui rend caduc la poursuite de ces objectifs sociaux dans un contexte de concurrence économique : « La Communauté et les États membres ont pour objectifs la promotion de l'emploi, l'amélioration des conditions de vie et de travail, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d'emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions. A cette fin, la Communauté et les États membres mettent en œuvre des mesures qui tiennent compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l'économie de la Communauté. » [30]

Tous ces articles feront l'objet de vives critiques. Mais l'opinion publique sera si bien enveloppée de discours élogieux que le traité de Maastricht passera - de justesse - le cap de la ratification par référendum. Cependant l'adoption exposera le texte à l'épreuve du feu, ce moment où les croyances symboliques rencontrent la réalité. Nous verrons à ce moment si cette « politique commune » économique, monétaire et sociale atteint les objectifs fixés ou si par ses effets ce dispositif s'avère inopérant et débouche sur une situation de crise systémique « commune » des États associés.

 

Quels sont les objectifs de l'union monétaire ?

Il existe a ce stade une ambiguïté fondamentale. On ne sait pas si la priorité est d'instaurer une zone économique et monétaire qui débouchera à terme sur l'unité politique, ou si ses instigateurs comptent sur des institutions politiques communes (Parlement européen, Cour de justice, des comptes, etc.) pour développer une convergence politique dans le domaine économique et monétaire.

Il est possible d'envisager que les institutions politiques proposées soit l'habillage ou le contenant du projet d'union économique et plus particulièrement monétaire. En tout cas il y a un partage complémentaire des rôles qui fait que les réformes politiques offrent la justification et la garantie du maintien des institutions économiques plus particulièrement du Système européen de banques centrales (Sebc) sous la supervision de la Banque centrale européenne (Bce). Le fait que la Bce soit indépendante des institutions politiques et des États membres tend à démontrer qu'elle constitue le noyau dur autour duquel ne fait que graviter les autres instances décisionnelles sans avoir de moyens d'action ou de régulation sur elle.

C'est ce qui permet de penser que le système monétaire a été conçu comme autonome selon sa mission de stabilité des prix. Un principe qui doit permettre en théorie aux budgets nationaux de s'organiser rationnellement (orthodoxie budgétaire) et à la sphère économique de d’auto-réguler par le marché des capitaux, des biens et services et la libre circulation de la main-d’œuvre.

Ceci dans l'objectif de réaliser une zone économique, d'atteindre une période de prospérité mutuelle (une sphère de co-prospérité ?) dans lesquelles la convergence politique permettra de dissoudre les particularités nationales et créer une nouvelle entité régionale « Europe » dotée d'une personnalité juridique reconnue. C'est certainement dans ce sens qu'il faut comprendre le terme « d'union plus étroite et irréversible des peuples européens ».

Si ce raisonnement est correct : le premier objectif de Maastricht est donc d'instaurer une politique monétaire commune. L'objectif secondaire étant de convaincre les opinions – notamment grâce au succès économique prévu - de l'utilité d'une union politique « supra-nationale ».

Objectif économique et programme monétaire

Pour atteindre cet objectif économique de prospérité on va préparer un programme monétaire où se rencontrent toutes les croyances doctrinaires de l'époque. C'est là que se retrouvent les fées telles Miss Friedman l'avare représentante du monétarisme, Mrs Thatcher dans sa furie ultra-libérale contre le Contrat social de l'Etat-providence, Frau Zollverein et Fraulein Lebensraum l'une adepte l'hégémonie prussienne et l'autre ennemie de la coopération et de la réciprocité entre les nations.

Taux de change fixes ou variables ?

Assez mal inspirés, les instigateurs de cette future « zone euro » sont confrontés à une première problématique. Depuis les années 70, le système monétaire de change fixe institué par Breton-Woods à explosé avec la fin de la convertibilité or-dollarUS [31]. Le cours des devises fluctue sur le marché selon un mécanisme aléatoire en fonctions de critères multiples : déficit commercial, réserve de change, dévaluation, etc. Faut-il y voir une opportunité ou un danger ? Rétablir un système régional de taux de change fixe permettrait d'assurer la stabilité des échanges et donc un avantage mutuel entre partenaires. Mais les disparités entre économies nationales risquent de déstabiliser les relations commerciales et de faire apparaître des lignes de fractures entre pays sans que l'on puisse rééquilibrer les déficits commerciaux et financiers par modulation le taux de change pays par pays. Le débat est complexe mais résolu par la fausse bonne idée de la compétitivité : les pays se feront concurrence et les succès industriels et commerciaux des meilleurs favoriseront - à terme - la convergence et l'équilibrage spontané ou harmonisation des économies. Une réponse infondée typique du « laisser-faire » libéral où la théorie de l'avantage absolu de Ricardo se conjugue opportunément au non-dit pan-germanique. Il est sous-entendu qu'il y aura à l'intérieur du Zollverein au moins un gagnant et des perdants qui devront subir la lex europa : « vae victis ».

Principe de convergence

Ce concept clé de convergence sera ainsi mis en valeur et décliné à tous les modes. Il est objectif politique comme point de fuite d'une « union irréversible », il est principe d'harmonisation des normes juridiques et sociales, il est programme économique comme processus d'auto-régulation des flux de ressource par le marché « libre et non-faussé », et surtout clé de voûte du système monétaire.

L'idéologie monétariste complète la doxa ultra-libérale en écartant l'institution publique de sa mission de régulation macro-économique par l'abandon du droit souverain sur la monnaie. L’État ne doit plus seulement rester passif face aux fluctuations de la masse monétaire sur son territoire, mais aussi subir comme les autres agents économiques les contraintes du marché financier. Les dispositifs volontaristes d'avance sur recette par le Trésor, d'émission monétaire ou d'ajustements pour maintenir les réserves de change par la dévaluation sont rendus inopérants et illégaux. L'abandon du paradigme keynésien ouvre aux créanciers le nouveau débouché lucratif de la dette publique et la garantie de maintenir la valeur des actifs patrimoniaux. La véritable convergence sera celle entre ultra-libéralisme et supranationalisme qui s'associent alors pour « réduire le rôle de l’État-nation » à la coquille vide de l'autorité répressive et symbolique d'une préfecture. Il s'agit d'une subversion du principe républicain de l'utilité publique.

Critères de convergence

L'Etat de droit se trouvant privé de sa mission de régulateur systémique au profit du marché « commun » et des institutions européennes, il s'agit de fixer des normes par lesquelles l'union monétaire atteindra ses objectifs soit : « une croissance durable et non inflationniste, un haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité, etc » [32]. Inspirés par la théorie monétariste les arguments techniques des critères de convergence constitueront une nouvelle règle du jeu. Mais dans quelle mesure permettront-ils d'atteindre les résultats attendus ?

L'essentiel de ces critères concerne le contrôle de la masse monétaire : 1. le taux d’inflation ne doit pas excéder de plus de 1,5 % celui des trois pays membres ayant les plus faibles taux d’inflation ; 2. les taux d’intérêts réels à long terme ne doivent pas excéder de 2 % celui des trois pays membres ayant les plus faibles ; 3. pas de dévaluation monétaire dans les deux années précédant l’intégration à l’union monétaire.

On suppose donc que le ciblage de l'inflation et stabilité des prix sont une priorité. La politique monétaire suivie est celle d'une monnaie forte pouvant éventuellement constituer une valeur refuge ou une devise de réserve patrimoniale dans les transactions financières. Mais cet objectif « non inflationniste » - favorable aux intérêts financiers - est-il compatible avec celui d'une prétendue « croissance durable » ? Et inversement l'objectif de croissance serait-il incompatible avec une inflation conséquente ?

L'autre volet des critères de convergence est d'appliquer un contrôle budgétaire sur les États-membres. « Parmi ces critères, deux concernent le déficit et la dette cumulés de l’ensemble des administrations publiques (État, Sécurité sociale, collectivités territoriales) : 4. d’une part, le déficit des administrations publiques ne doit pas dépasser 3% du produit intérieur brut (PIB) ; 5. d’autre part, la dette publique ne doit pas dépasser 60% du PIB ou doit se rapprocher de ce seuil. L’objectif du critère concernant la dette publique est d’éviter que la dette d’un État de la zone euro ne devienne insoutenable, car l’Union n’aurait alors plus le choix qu’entre des solutions désastreuses : le renflouement du pays en cessation de paiement par ses partenaires ; la répudiation de la dette de ce pays ; l’éclatement de l’Union ; la renonciation au principe de non-renflouement établi par le traité de Maastricht, d’après lequel la dette publique des pays de la zone euro ne peut plus être financée par les émissions monétaires (c’est-à-dire par l’inflation) [33]. »

Ces paramètres de 3 % du PIB pour le déficit annuel et de 60 % du PIB de dette publique peuvent paraîtrent raisonnables voir « scientifiques » mais les faits démontrent que tel n'est pas le cas.

Effets et dysfonctionnements

Au-delà du dispositif légal et technique, l'application du programme de Union économique et monétaire rencontre des difficultés qui sont autant d'obstacles sur la voie d'une « politique commune » dite « irréversible ».

En cherchant à limiter l'accroissement de la masse monétaire par le renchérissement des taux d'intérêt n'y a t-il pas un risque de freiner la distribution de revenus salariaux au point de baisser le pouvoir d'achat et la consommation intérieure, donc d’aggraver le chômage et en renchérissant le crédit d'acculer les agents économiques (ménages, entreprises et État) au surendettement ?

De plus avec le maintien d'une monnaie à un haut niveau de change on renchérit le prix des produits locaux sur le marché international et l'effort de compétitivité-prix ne sera plus supporté que par les coûts de production tirant encore à la baisse les revenus salariaux donc la demande intérieure ou sur les marges des entreprises donc sur leur capacité d'auto-financement, d'investissement et d’innovation.

On discerne mal la logique de croissance durable derrière ce ciblage de l'inflation. D'autant plus que le contexte monétariste admet un taux de chômage naturel, permettant de faire pression à la baisse sur des salaires non indexés, ce qui coïncide mal - lorsqu'on applique ces recettes sur le contrôle de la masse monétaire par les taux d'intérêt - avec l'objectif du plein-emploi ou du moins « un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité ».

Pour le déficit public, on a vu non seulement que la limite d'un déficit maximal n'était pas respecté mais de plus qu'il ne permettait même pas indirectement de stabiliser l’évolution des dettes publiques. Puisque la politique anti-inflationniste de la zone euro bloque la croissance du PIB des pays membres à un niveau inférieur au seuil de 5% qui permettrait la stabilisation de la dette publique.

"Pour que la dette soit stable, il est nécessaire que le taux de croissance soit supérieur ou égal au taux d'intérêt. Dans le cas inverse, la faiblesse de la croissance augmente le déficit budgétaire en raison de la diminution des rentrées fiscales, ce qui augmente la dette, et donc les intérêts versés, ce qui aggrave le déficit budgétaire… c'est l'effet « boule de neige » et la dette publique risque d'exploser. Le traité de Maastricht, pour stabiliser l'endettement public a donc limité la dette publique et le déficit public. Dans l'hypothèse d'une croissance du PIB nominal de 5% et du taux d'intérêt nominal de la dette de 10%, un déficit public de 3% du PIB permet la stabilisation de la dette à 60% du PIB." [34]

Cette politique monétaire commune anti-inflationniste se heurte encore à d'autres éléments :

On a trop longtemps cru qu'il était possible de financer la croissance par le crédit [35]. C'est pourquoi on applique cette logique à tous les agents économiques. En ignorant le plus souvent que le rôle de l'institution publique n'est pas d'être « rentable » mais de stimuler indirectement les secteurs d'activités par son intervention. Mais la politique de restriction budgétaire prive l'institution de moyens monétaires de cette stimulation ou ne lui concède qu'a des conditions financières exorbitantes ce qui revient au même. Financer la croissance à crédit est une hérésie dans le sens qu'à part des exceptions de niches, il n'est pas possible d'avoir un taux de croissance et finalement des perspectives de gain suffisantes pour financer le crédit sans perte de masse monétaire. Et - a moins de trouver un moyen d'augmenter la vitesse de rotation de la monnaie (ou d'obtenir des revenus supplémentaires par les excédents de la balance commerciale sur l'exemple d'une attitude « non-coopérative » allemande) - il n'est pas possible de produire plus avec moins de monnaie en circulation... Voila pourquoi un tel dispositif provoque la récession.

De plus le ciblage de l'inflation par la Banque centrale indépendante est un processus quasi incontrôlable : « Ainsi, en phase d'expansion, il est bien difficile par une seule action sur les taux de freiner à temps la surchauffe et de bien doser son action pour ne pas casser l'expansion. Inversement, en période de crise, il ne suffit pas de baisser les taux pour renverser rapidement les anticipations négatives. C'est ainsi que la durée des cycles se trouve allongée et leur amplitude accrue, alors qu'une action directe sur la quantité de monnaie en circulation, par un recours plus large à une monnaie permanente gérée par la banque centrale, réduirait les temps de réponse. On parviendrait de la sorte à une croissance mieux régulée. En outre, une action sur les taux peut, en certains cas, engendrer des effets secondaires non souhaités, car les taux agissent aussi sur la rentabilité des investissements et sur la marge des entreprises. Bien que nécessaire, la modulation des taux est un outil qui ne peut suffire à lui seul. Il devrait venir en accompagnement d'une action directe sur la quantité de monnaie en circulation, si l'on veut parvenir à une meilleure maîtrise de l'économie et à une régulation plus efficace des cycles économiques. » [36]

Pour compliquer l'affaire le contrôle de la masse monétaire est rendu difficile par le défaut de suivi des données pays par pays et par la confusion créée par les agrégats de placement [37].

La fin du contrôle des changes, la libre circulation des capitaux et la supervision défaillante de la BCE a donc ouvert une période d'instabilité monétaire où la spéculation sur les devises, les titres publics et les matières premières ouvre des trappes à liquidité dommageables à la circulation monétaire régulière en direction de l'activité productive, à la fiscalité nationale donc l'équilibre budgétaire et à la lutte contre les inégalités sociales.

En tant que moyen de paiement, l'euro est l'aboutissement d'un projet d'inspiration monétariste et ultra-libéral véhiculant les ferments d'une crise déflationniste dont ni les institutions financières, ni les États privés par Maastricht de leurs compétences macro-économiques ne parviennent à contre-balancer les effets. Nous verrons dans la partie suivante si la qualité du débat préalable permettait d'anticiper le phénomène, s'il est réaliste d'imaginer corriger les vices de la monnaie unique ou s'il faut d'ors et déjà préparer le retour de la monnaie nationale dans le strict respect des traités et du droit international.

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[1] Les interventions de l'époque (début 2007) au sujet de l'euro semblent difficile d'acces sur Internet. Un rapport de 2008 signale : "L’évolution de l’euro depuis sa création s’est cependant avérée, à certaines époques, préjudiciable aux entreprises et à l’industrie de la zone euro en raison de mouvements trop rapides et conduisant l’euro au-delà de seuils critiques. Un euro trop élevé conduit à des surcoûts, à des pertes de parts de marché et à des délocalisations d’activité, tout particulièrement dans un espace économique européen encore morcelé et très partiellement intégré." Christian de Boissieu Politique de change de l'euro - La Documentation française (2008)

[2] Angela Merkel prend la défense de l'euro et de la BCE (2007) http://www.capital.fr/bourse/actual...

[3] AFP 22 septembre 2007 http://afp.google.com/article/ALeqM...

[4] Euro fort : l'inquiétude monte en Europe 22/09/2007 http://www.lefigaro.fr/tauxetdevise...

[5] Interview de P. Moscovici sur RMC le 24/09/2007 "Pierre Moscovici : Là aussi il y a une tendance, celle de M. Sarkozy, celle de M. Fillon, à tirer sur le pianiste. C'est-à-dire, à faire comme si la faute était toujours celle des autres. C’est vrai que l’euro est trop fort et il faut chercher les moyens entre les gouvernements européens et la Banque Centrale Européenne, pour qu’il retrouve un taux plus juste. En même temps, vous dites « impossible d’exporter avec l’euro fort », je vous donne deux chiffres : France : 35 milliards de déficit du commerce extérieur. Allemagne : 170 milliards d’excédents. Et la monnaie de l’Allemagne est l’euro qui y est fort aussi. Cela prouve que ce qui fait une puissance exportatrice, c’est d’abord la capacité du pays, sa structure, son génie propre. La France n’est peut être pas aussi génialement commerçante ou industrieuse que les Allemands. Donc ne tirons pas sur l’euro." https://groups.google.com/forum/?hl...

[6] "La comparaison avec l’Allemagne doit amener à une prudence encore plus grande dans l’interprétation des résultats ; après tout, les deux pays ont fait des choix différents mais le résultat de ces choix en matière de croissance (sans même parler de pouvoir d’achat) n’a finalement été en défaveur de la France que sur la toute fin de période. Tout l’enjeu outre-Rhin est maintenant de savoir si les bénéfices des sacrifices consentis seront permanents ou transitoires. Mais surtout, c’est bien l’Europe qui est la victime de cette concurrence : l’Allemagne a d’une certaine façon adoptée une politique non-coopérative, faute d’une véritable stratégie de croissance – ou des moyens institutionnels de la conduire – au niveau européen, au-delà des recommandations de type Agenda de Lisbonne." Performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne www.cae.gouv.fr/IMG/pdf/081aa.pdf

[7] Michel Sapin ironise sur la France en faillite, l'UMP réplique http://lexpansion.lexpress.fr/econo...

[8] Euro http://fr.wikipedia.org/wiki/Euro

[9] Paix perpétuelle (saint-Empire) http://fr.wikipedia.org/wiki/Paix_p...)

[10] Vers la paix perpétuelle E. Kant (1795) http://fr.wikipedia.org/wiki/Vers_l...

[11] Ecole allemande de Geopolitik http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A...

[12] Pangermanisme http://fr.wikipedia.org/wiki/Panger...

[13] Lebensraum http://fr.wikipedia.org/wiki/Lebensraum

[14] Zollverein http://fr.wikipedia.org/wiki/Zollverein

[15] "Le ministre des finances prussien Motz, un des principaux instigateurs de l'union pense (1829) que le Zollverein peut être l'outil pour imposer la formation d'une petite Allemagne sous domination prussienne. Il écrit : « Si la science politique dit vrai, en déclarant que les barrières douanières sont les conséquences des divergences politiques entre États, il doit être par conséquent également vrai, que la formation d'une union douanière et commerciale conduit également à l'unification dans un même système politique" http://fr.wikipedia.org/wiki/Zollverein

[16] On a assisté à la réapparition de cette école de Geopolitik prenant l'Union européenne comme point d'appui et diverses officines telles la fondation Topfler http://www.german-foreign-policy.com/fr/fulltext/55950 ou le groupe Alpen-Adria comme instruments d'un « lebensraum germanique » notamment dans la déstabilisation de la Yougoslavie. « L’Allemagne de l’Ouest a encouragé de plus en plus ouvertement les gouvernements régionaux de Ljubljana et de Zagreb à faire sécession, quand la Yougoslavie, en 1987, s’est trouvée au bord de la faillite à cause d’une crise de paiement des dettes, et qu’elle a dû se soumettre à un sévère programme d’adaptation des structures du Fonds monétaire international (FMI). L’argument de Bonn a été que la Slovénie et la Croatie n’auraient une chance d’être admises dans l’Union européenne que si elles se séparaient du Sud pauvre de la Yougoslavie. Fortes de ce soutien, la Slovénie et la Croatie ont déclaré leur indépendance en juin 1991, en violation de la Constitution yougoslave. La première guerre de sécession en Yougoslavie s’en est suivie. Tout d’abord, mis à part l’Allemagne, l’Autriche et le Vatican, aucun Etat n’était prêt à donner son accord pour un démembrement du pays. Aussi le gouvernement fédéral a-t-il brusqué, début décembre 1991, ses alliés de l’UE et de l’Otan, ainsi que ceux de l’ONU, menaçant pour la première fois depuis 1945 d’un cavalier seul de l’Allemagne sur la scène internationale : l’Allemagne annonça que même si aucun autre État ne la rejoindrait, elle allait reconnaître fin 1991 l’indépendance nationale des deux républiques sécessionnistes. » http://www.german-foreign-policy.com/fr/fulltext/55951 Une large partie du peuple allemand ignore ces menées et reste foncièrement opposé à cette géostratégie de type hégémonique contraire à sa constitution.

[17] L’origine de la crise : le monétarisme et l'école de Chicago http://www.agoravox.fr/actualites/e...

[18] Qu’est-ce que l’Ultralibéralisme ? http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/qu-est-ce-que-l-ultraliberalisme-90307

[19] On a vu à l’œuvre ce principe de la responsabilité limitée dans le fonds de garantie pour les accidents industriels. Les sociétés industrielles commerciales ou financières ont adoptées cette astuce juridique qui consiste à n'offrir qu'une provision minimum au risque. Les bénéfices de l'activité ayant été distribués aux actionnaires tenus pour irresponsables, les caisses sont vides et au final le préjudice reste supporté par la collectivité sans possibilité de recours. Sous le prétexte que ces sociétés sont indispensables à l'activité économique et au maintient de l'emploi « Too big to fail » on les laissera poursuivre leur activité au besoin par le refinancement sur fonds publics sans considération du risque systémique et des coûts globaux.

[20] Ici l'ultra-libéralisme se conjugue non seulement avec irresponsabilité des acteurs dominants mais aussi avec la culpabilisation des personnes lésées. Si l'industrie se délocalise, si l'ouvrier est au chômage c'est qu'il ne sait pas « s'adapter » à la précarité des fluctuations du marché, qu'il n'a pas su se « reconvertir » ou adapter ses prétentions a une vie digne aux strictes conditions économiques, à la concurrence mondialisée. Si les comptes de l'Etat sont en déficit c'est qu'il n'a pas su se « restructurer » adopter les « reformes structurelles » indispensables et conformes aux « lois du marchés », etc. Cette inversion des valeurs jusqu'à l'absurde se retrouve dans les films de M.Moore « Roger & me : A Humorous Look at How General Motors Destroyed Flint, Michigan  » (1989) ou « The Big one » (1997).

[21] « Traité instituant la Communauté économique européenne » ou « Traité de Rome », il a constitué l’acte fondateur de la Communauté économique européenne (CEE) entre l’Allemagne, la France, l’Italie et les trois pays du BeneluxBelgique, Luxembourg et Pays-Bas


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