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Retour de l’armée US en Irak ? La guerre sans fin : une juteuse affaire de famille

Auteur : Robert Parry-Traduction c.l. Les Grosses Orchades | Editeur : Walt | Mardi, 28 Juill. 2015 - 22h51

Malgré la désastreuse guerre d’Irak, les néo-cons dominent toujours le jeu de la politique intérieure et extérieure dans les hautes sphères de Washington, où les décideurs politiques continuent à travailler la main dans la main avec les think-tanks faiseurs d’opinion, pour maintenir le monde dans un état de tension maximale et continuer à diriger les flux d’argent en direction des projets militaires, processus que personnifient Robert Kagan et Victoria Nuland.

Si les néoconservateurs obtiennent une fois de plus ce qu’ils veulent, des troupes US au sol vont réoccuper l’Irak, l’armée américaine fera tomber le gouvernement séculier de Syrie (donnant ainsi un coup de pouce bien utile à la prise du pouvoir par Al Qaeda et l’État Islamique) et le Congrès des États-Unis ne fera pas que tuer dans l’œuf l’accord Iran-USA, il votera dans la foulée une augmentation massive des dépenses militaires.

Équivalant à vaporiser de l’essence de briquet sur un barbecue en pleine activité, les néo-cons veulent aussi une escalade militaire en Ukraine, pour y éradiquer par le feu les Russes ethniques de l’ouest du pays, et ils rêvent évidemment de propager l’incendie jusqu’à Moscou, dans le but d’éjecter le président Vladimir Poutine du Kremlin. Autrement dit, de plus en plus d’incendies de « changements de régimes » impériaux à l’étranger, en même temps que s’éteignent les dernières braises de la République Américaine sur son sol.

Le plus gros de cette « stratégie » est incarné par un couple de gens de pouvoir de Washington : l’archi-néo-con Robert Kagan, co-fondateur du Projet pour un Nouveau Siècle Américain (« Project for a New American Century » ou PNAC) et un des tout premiers instigateurs de la Guerre d’Irak, et sa femme, la Sous-secrétaire d’État aux Affaires européennes Victoria Nuland, qui a manigancé, en Ukraine, le coup d’état de l’année dernière, et a réussi de la sorte à déclencher une affreuse guerre civile et à provoquer l’affrontement de deux puissances nucléaires, les États-Unis et la Russie.

Kagan, qui s’est fait les dents comme spécialiste de la propagande en appuyant de toutes ses forces la politique brutale de l’administration Reagan au Nicaragua dans les années 1980, est maintenant agrégé principal de la Brookings Institution et chroniqueur attitré au Washington Post, pré-carré de la presse d’opinion néo-conservatrice.

Vendredi dernier [17 juillet, NdT], la chronique de Kagan a mis au défi le Parti Républicain de faire autre chose que juste  de l’opposition à Barack Obama sur son accord avec l’Iran, il a réclamé d’eux un engagement total envers les buts néo-conservateurs, à savoir une escalade militaire au Moyen-Orient, une belligérance accrue envers la Russie et la mise au rancart de toute discipline fiscale, à remplacer par un transfert de dizaines de milliards de dollars supplémentaires dans les poches profondes du Pentagone.

Kagan a aussi montré que la vision du monde des néo-cons est toujours parole d’Évangile à Washington, en dépit de leur catastrophique guerre d’Irak. Les fantasmes néo-cons sont ressassés jusqu’à la nausée par les médias aux ordres, peu importe le degré de leur délire.

Par exemple, dans son bon sens, on peut aisément faire remonter l’État Islamique trancheur de têtes jusqu’à la guerre d’Irak de George W. Bush, quand cet hyper-violent mouvement sunnite fit ses débuts sous le nom d’Al Qaeda en Irak en faisant exploser les mosquées chi’ites et en déclenchant un bain de sang sectaire. Il s’étendit ensuite à la Syrie, où ses militants sunnites tentèrent de renverser un régime séculier dominé par des Alaouites, une ramification des Chi’ites. Quoique ayant changé son nom en État Islamique, le mouvement a poursuivi dans les violences qui sont sa marque de fabrique.

Bien sûr, Kagan ne reconnaîtra pas la responsabilité que lui et ses pareils portent dans ce phénomène sanguinaire. Dans ses affabulations néo-cons, ce sont l’Iran et la Syrie qui sont à l’origine de l’État Islamique, même si ce sont les gouvernements de ces deux pays qui conduisent l’essentiel de la résistance à l’État Islamique et à ses modèles d’Al Qaeda qui, en Syrie, soutiennent une organisation terroriste séparée : le Front al-Nosra.

Voici comment Kagan explique les choses aux grosses têtes de Washington :

« Ceux qui critiquent le récent accord nucléaire entre l’Iran et les États-Unis ont tout à fait raison de faire remarquer le défi qui va maintenant être posé par la République islamique. C’est un état qui aspire à l’hégémonie dans une importante partie du monde.

« Il est profondément engagé dans une guerre régionale qui inclut la Syrie, l’Irak, le Liban, les États du Golfe et les Territoires Palestiniens. Il finance le régime meurtrier mais en déroute totale de Bachar al-Assad en Syrie et porte par conséquent la principale responsabilité de la puissance croissante de l’État Islamique et d’autres forces djihadistes radicales dans ce pays et dans l’Irak voisin, où il accroît simultanément son influence en enflammant la violence sectaire. »

Les vrais hégémoniques

Tout en déclamant contre « l’hégémonisme iranien »,  Kagan en appelle à une intervention militaire du vrai pouvoir hégémonique mondial : les États-Unis. Il veut que l’armée américaine intervienne contre l’Iran, aux côtés des deux pouvoirs régionaux les plus militairement dangereux : Israël et l’Arabie Saoudite, dont l’armement combiné éclipse totalement celui de l’Iran et comprend, dans le cas d’Israël, un arsenal nucléaire sophistiqué.

Mais la réalité n’a jamais eu grand-chose à voir avec l’idéologie néo-conservatrice. Kagan continue :

« Toute stratégie sérieuse dont le but est de résister à l’hégémonie de l’Iran a aussi exigé d’affronter l’Iran sur les différents champs de bataille du Moyen Orient. En Syrie, elle a exigé une politique déterminée de destitution d’Assad par la contrainte, utilisant l’US Air Force » pour protéger les civils et créer une zone de sécurité pour les Syriens qui voulaient le combattre.

« En Irak, cette stratégie a exigé que les forces américaines repoussent et détruisent les forces de l’État Islamique, afin que nous ne soyons pas obligés de compter sur l’état iranien pour le faire. Par-dessus tout,  elle a exigé un beaucoup plus grand engagement US dans la région et un coup d’arrêt au retrait perçu et au retrait réel du pouvoir US.

« Et, par conséquent, elle a exigé un renversement de la tendance à réduire les dépenses US en matière de défense. Elle exige surtout que soit abolie la procédure de séquestration des dépenses militaires, qui a rendu presque impossible à l’armée de même envisager de se colleter avec ces défis, si elle avait été appelée à le faire. La question est donc, pour les Républicains qui mettent en garde avec raison contre le danger posé par l’Iran, qu’ont-ils fait pour permettre aux États-Unis de commencer à avoir une stratégie capable d’affronter ce danger ? »

Dans l’exhortation de Kagan à se lancer dans plus de guerre et toujours plus de guerre, on constate une fois encore le résultat de la faute qui a consisté à ne pas exiger que les néo-cons rendent des comptes, après qu’ils aient eu poussé le pays dans une guerre d’Irak illégale et catastrophique, par leurs mensonges éhontés sur les armes de destruction massive et leurs rodomontades sur cette guerre qui n’allait être qu’une promenade militaire.

Au lieu d’avoir à affronter la purge qui aurait dû faire suite à la calamité irakienne, les néo-cons ont au contraire consolidé leur pouvoir, se sont maintenus à leurs postes-clés dans la politique étrangère US, se sont installés en maîtres dans des think-tanks influents et sont restés les experts à gogos qui font la pluie et le beau temps dans les médias dominants, c’est-à-dire l’opinion publique. Avoir eu tort sur l’Irak est presque devenu une distinction honorifique dans le monde cul par-dessus tête des hautes sphères de Washington.

Mais il nous faut déballer les pleins camions d’hyperboles délirantes dont Kagan fait le commerce. Pour commencer, qu’il soit bien clair que parler d’hégémonisme iranien est de la pure démence. Cela, ce n’est rien d’autre que la rhétorique utilisée par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou devant le Congrès US le 3 mars avec son Iran prêt à « avaler les nations », devenue depuis lors litanie officielle des néo-cons, qui ne savent pas que, répéter une imbécilité jusqu’à l’infini, n’en fait pas une vérité.

Prenons par exemple le cas de l’Irak. Il a un gouvernement chi’ite. Non parce que l’Iran l’a envahi, mais parce que les États-Unis l’ont fait. Après avoir militairement renversé le dictateur sunnite Saddam Hussein, les USA ont imposé un nouveau gouvernement dominé par les Chi‘ites, qui a cherché à entretenir des relations amicales avec ses coreligionnaires en Iran, ce qui est compréhensible et ne représente en rien une agression de l’Iran. Par la suite, après les victoires militaires dramatiques de l’État Islamique en Irak l’été dernier, le gouvernement irakien s’est tourné vers son voisin iranien pour lui demander une assistance militaire. Rien, encore une fois, de surprenant.

Retour en Irak

Cependant, mise à part les hyperboles délirantes de Kagan à propos de l’Iran, voyez ce qu’il « propose ». Il veut le retour d’une force, d’occupation US importante en Irak, sans se préoccuper le moins du monde des soldats qui sont soumis à une rotation de plus en plus serrée de leurs missions en zones de guerre, où près de 4.500 sont morts en même temps que des centaines de milliers d’Irakiens. Ayant poussé à la première guerre d’Irak sans avoir eu à en payer le moindre prix, Kagan veut maintenant nous en imposer une deuxième.

Mais ce n’est pas encore assez. Kagan veut que les troupes US interviennent pour renverser le gouvernement séculier de la Syrie, même si les gagnants quasi certains d’une telle entreprise seraient les extrémistes sunnites de l’État Islamique ou ceux du Front al-Nosra d’Al Qaeda. Inutile de dire qu’une victoire de cette sorte conduirait à peu près sûrement au massacre total des Chrétiens, des Alaouites, des Chi’ites et d’autres minorités. Arrivés à ce point, on pourrait compter sur une pression énorme pour obtenir une occupation totale de la Syrie aussi.

C’est peut-être pour cela que Kagan veut jeter d’autres dizaines de milliards de dollars dans l’entonnoir vorace du Complexe militaro-industriel, quoique le prix réel de cette nouvelle guerre ait beaucoup plus de chances de se chiffrer en trillions de dollars. Eh bien, ce n’est pas encore suffisant pour Kagan. Car il veut y faire ajouter d’autres dépenses militaires pour affronter « un pouvoir chinois grandissant, une Russie agressive et un Iran de plus en plus hégémonique ».

Dans sa conclusion, Kagan se fait sarcastique à l’égard des Républicains, qui se contentent de tenir des propos musclés, mais ne « font » rien pour obtenir ce qu’ils veulent :

« Alors, oh oui, certainement, râlez sec sur l’accord Iran-US. Nous nous réjouissons d’avance d’écouter des heures durant vos interventions radiotélévisées et vos discours de campagne. Mais il nous sera difficile de prendre au sérieux les critiques des Républicains, à moins qu’ils se mettent à faire les choses qu’il est en leur pouvoir de faire pour commencer à relever ce défi.»

C’est vrai que Kagan est « juste un idéologue » néo-con, même s’il dispose d’une plateforme importante d’où lancer ses diatribes, mais sa femme, la Sous-secrétaire d’État Nuland, partage ses vues en matière de politique étrangère et assure la publication de beaucoup de ses articles. Ainsi qu’elle l’a déclaré l’an dernier au New York Times : « Disons-le comme ça : rien ne sort de la maison que je ne trouve pas digne de ses talents. » [Voir ConsortiumNews.com – « Obama’s true Foreign Policy “Weakness” » ]

Mais Nuland est, par elle-même, une force qui compte en politique étrangère, considérée par certains à Washington comme l’étoile montante du Département d’État. En organisant le « changement de régime » en Ukraine, par le renversement violent du président démocratiquement élu Viktor Ianoukovitch en février 2014, Nuland a gagné ses galons de néo-conservatrice confirmée. [La tentation était grande d’écrire néo-conne. Nous y avons résisté. NdT.]

Nuland a même dépassé son mari, qui ne peut être crédité « que » de la guerre d’Irak et du chaos qu’elle a généré, puisqu’elle a réussi, en plus, à déclencher la Nouvelle Guerre froide en attisant les hostilités entre les deux puissances nucléaires que sont les USA et la Russie. Après tout, c’est bien là que va aller l’argent digne de ce nom : à la modernisation de l’arsenal nucléaire et à l’achat d’armements stratégiques haut de gamme.

Une affaire de famille.

Il y a aussi un aspect « family business » dans ces guerres et affrontements, puisque les Kagan servent collectivement, non seulement à déclencher les conflits, mais à profiter de la gratitude des entreprises militaires (qui rétrocèdent une part de l’argent qu’elles touchent aux think tanks des Kagan).

Par exemple Frederick, le frère de Robert, travaille à l’American Enterprise Institute, qui bénéficie depuis longtemps des largesses du Complexe militaro- industriel, et sa femme, Kimberly, dirige son propre think-tank appelé l’Institute for the Study of War (ISW).

D’après les rapports annuels de l’ISW, les principaux organismes qui ont soutenu financièrement sa fondation sont surtout des fondations d’extrême-droite telles que la Fondation Smith-Richardson et la Fondation Lynde et Harry Bradley, mais il a aussi été soutenu ensuite par une foule d’entreprises (privées) en sécurité nationale, à commencer par les plus grandes, comme Dyn Corp International, qui a fourni l’entraînement de la police afghane, et Palantir, une boîte qui fournit des technologies, boîte fondée avec le soutien financier d’une filiale capital-risque de la CIA, In-Q-Tel. Palantir a fourni les logiciels de l’espionnage militaire US en Afghanistan.

Depuis sa fondation en 2007, ISW s’est surtout focalisé sur les guerres au Moyen Orient, particulièrement celles d’Afganistan et d’Irak. Ce qui a impliqué sa coopération étroite avec le général David Petraeus lorsqu’il commandait les forces US dans ces deux pays. Cependant, récemment,  l’ISW a commencé à publier des rapports de plus en plus fréquents sur la guerre civile en Ukraine. [Voir CopnsortiumNews.com : « Neocons Guided Petraeus on Aghan War ».]

Ainsi, pour comprendre l’influence tenace des néo-cons – et du clan Kagan en particulier – il faut connaître les corrélations financières entre le business des guerres proprement dites et le business de la vente des guerres.  Quand les entreprises militaires sont florissantes, les think tanks qui se défoncent pour augmenter les tensions dans le monde se portent bien aussi.

Et… cela ne fait pas de mal d’avoir de la famille et des amis au gouvernement, pour s’assurer que les politiciens font bien leur part du boulot : donner une chance à la guerre et un coup de pied aux fesses à la paix.

Petit ajout des Grosses Orchades :

Le père, Donald Kagan, né en 1932, immigré de Lithuanie à l’âge de 2 ans.

Historien. Libéral Démocrate jusqu’en 1969. Passé à l’extrême-droite lorsque des étudiants de l’Université de Cornell sont venus, en armes, réclamer un « Black Studies Program ». Kagan a comparé les administrateurs de l’université à Chamberlain.

Il a été un des premier signataires, en 1997, de l’engagement au Project for a New American Century co-fondé par son fils Robert. À la veille de l’élection présidentielle de 2000, Kagan et son fils Frederick ont publié ensemble While America Sleeps (« Tandis que l’Amérique dort »), pressant appel à une augmentation des dépenses militaires.

Notes :

Robert Parry est un journaliste d’investigation US né en 1949,  qui s’est rendu célèbre en divulguant et en suivant l’Irangate pour l’Associated Press et Newsweek dans les années 1980. Il a notamment révélé les opérations psychologiques de guerres de guérilla (manuel de la CIA fourni aux contras nicaraguayens) et le scandale du trafic de cocaïne organisé par la CIA et les contras en 1985. Il est le directeur du site d’informations ConsortiumNews.com depuis 1995.

Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages de première importance, dont America’s Stolen Narrative. From Washington and Madison to Nixon, Reagan and the Bushes to Obama, 2012 (non traduit en français),

On lui doit, entre autres, une trilogie sur la famille Bush et ses liens étroits avec diverses organisations d’extrême-droite. Secrecy and Pivilege. The Rise of the Bush Dynasty from Watergate to Irak, 2004 (également inédit en français).


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