Trump-OTAN 2025
Le Financial Times rapporte que les proches conseillers de Donald Trump en matière de politique étrangère ont apporté à la connaissance des hauts responsables européens, début de ce mois de décembre 2024, que le président élu américain a l’inttention d’exiger aux États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord l’augmentation de leurs dépenses de défense à hauteur de 5% de leur PIB respectifs, contre l’objectif actuel de 2% et dont 1/3 des membres de l’Alliance à l’heure d’aujourd’hui n’arrivent pas à atteindre.
Voici le bref décryptage du positionnement au niveau sécuritaire de la future administration américaine dirigée par Donald Trump vis-à-vis des pays-membres de l’OTAN et, surtout, selon mon avis, ses véritables raisons sous-jacentes.
La dette européenne vers les États-Unis d’Amérique
Les deux principaux piliers de la réussite économique que les pays de l’Europe de l’Ouest ont connus dès la fin de la seconde guerre mondiale et jusqu’à aujourd’hui, en tout cas selon la conviction de la classe politique américaine, sont les conditions très favorables au niveau des droits de douane accordées en 1947 par Washington à la production exportée vers les États-Unis depuis les pays européens en ruine, ainsi que l’accès au gaz bon marché obtenu par l’Allemagne via l’accord signé en 1970 avec l’URSS.
En parlant des faveurs douanières accordées par les Américains aux exportations européennes, il s’agit du General Agreement on Tariffs and Trade – l’accord GATT : accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé par 23 pays, le 30 octobre 1947, qui a donné par la suite, le 1er janvier 1995, naissance à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
En ce qui concerne l’accès au gaz bon marché obtenu par les allemands, il s’agit du contrat à long terme «tubes contre gaz», signé entre la République fédérale d’Allemagne et l’Union soviétique, le 1er février 1970. L’accord prévoyait la fourniture à l’URSS de tuyaux de grand diamètre et d’autres équipements pour la construction d’un gazoduc vers l’Europe occidentale, contre le gaz russe à des tarifs très avantageux. Le partenariat a connu un grand succès et a été appelé «l’affaire du siècle» en raison du fait qu’il était le plus important dans l’histoire des relations économiques Russo-européennes.
Les années ont passé et l’Europe est devenue économiquement autosuffisante et, par la même occasion, la principale concurrente des Américains sur les marchés mondiaux, ce qui n’a pas été prévu initialement et est devenu guère plaisant aux yeux des administrations américaines successives.
Aujourd’hui, Donald Trump estime qu’il est temps pour le vieux continent de payer la facture de l’abondance qui lui a été procurée par l’Amérique dès la fin du conflit face à l’Allemagne nazie.
Après l’explosion du gazoduc Nord Stream, réalisée directement ou indirectement par le pouvoir américain sortant – nul doute sur les premiers bénéficiaires de l’action – afin d’aider à réfléchir l’Union européenne dans «la bonne direction», le président américain nouvellement élu impose aux européens l’augmentation des importations des produits énergétiques américains à des prix très élevés. Le cas échéant, Trump menace d’instaurer des conditions restrictives et des barrières douanières vis-à-vis de la production importée depuis l’UE.
Par la même occasion il fait clairement comprendre aux homologues européens que le temps du GATT, de même que celui de l’OMC est révolu.
L’exigence de l’augmentation des investissements européens dans l’OTAN
Bien des années avant le déclenchement de la phase active du conflit entre l’OTAN et la Russie sur le sol ukrainien, en juillet 2018, Donald Trump avait déjà suggéré aux membres de l’organisation de doubler leurs dépenses militaires en les portant à 4% de leur PIB, soit très au-delà des 2% qu’ils ont déjà eu du mal à réaliser.
Lors d’un rassemblement public, le 10 février 2024, Trump a renvoyé un message clair aux dirigeants européens : «Si vous ne payez pas et que la Russie vous attaque, je ne vous protégerai pas. En fait, je les encouragerai. Vous devez payer vos factures !».
Via la «fuite» organisée auprès du Financial Times, Donald Trump fait clairement afficher sa volonté de mettre la pression sur les pays-membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord en exigeant le passage de 2 à 5% de leur PIB respectif dans leurs dépenses pour la défense.
Bien évidemment, ce qui est sous attendu dans ces nouvelles exigences, ce n’est guère l’investissement supplémentaire dans le développement de l’industrie de défense du vieux continent, mais dans celui des États-Unis d’Amérique avec les bénéfices financiers des groupes américains y afférents.
Et même les dépenses supplémentaires qui peuvent être réalisées dans l’industrie de défense «européenne» ne seront qu’une illusion. Illusion cachant la réalité : l’un des principaux bénéficiaires de l’investissement resteront les États-Unis. En parlant, par exemple, d’un des plus grands groupes européens de défense, Rheinmetall, il ne faut pas négliger le fait que parmi ses principaux actionnaires on compte toute une série de géants américains, tels que BlackRock, Fidelity Investments, The Capital Group Companies, Goldman Sachs ou encore Bank of America.
En clair : les économies de l’UE doivent participer dans la résolution des problèmes que l’économie américaine connait aujourd’hui, si celle-ci souhaite continuer à être militairement protégée ou, plus exactement, supervisée par le leader Outre-Atlantique de l’OTAN.
Néanmoins, c’est loin d’être l’unique, encore moins la principale raison des exigences du nouveau leader américain.
La réelle signification de l’initiative de Trump
Quelle est la réelle signification de l’importante augmentation du budget de défense exigée aux pays du bloc de l’OTAN ?
En parlant de la France, l’unique puissance nucléaire au sein de l’Union européenne, il est à noter qu’en ayant le PIB à hauteur de 2822,5 milliards d’euros pour l’année 2023, les crédits de la mission défense ont été fixés à hauteur de 43,9 Mrd €, contre 47,2 Mrd € pour l’année 2024. Un grand effort financier a été réalisé pour l’année 2025, en prévoyant le budget défense à hauteur de 50,5 milliards d’euros. Cela étant, il est à souligner que même ce chiffre sera, néanmoins, inférieur à 2% du PIB de l’année de 2024.
En ce qui concerne la première puissance économique européenne qui est l’Allemagne, son PIB en 2023 était de 4121 milliards d’euros et le budget défense à hauteur de 90 Mrd€ en 2024, ce qui est inférieur à 2,5% du PIB.
Pour un petit pays comme la Belgique, par exemple, les dépenses de défense se sont élevées en 2023 à 6,658 milliards d’euros, soit 1,13% de son PIB, contre 7,9 Mrd €, soit 1,30 % du PIB pour l’année 2024.
Cela signifie qu’hormis les pays baltes, la Pologne et la Grèce qui ont les dépenses de défense traditionnellement très élevées (principalement financées par le budget européen), le passage du budget défense du reste des pays de l’UE ne serait-ce qu’à hauteur de 3% serait tout à fait néfaste vis-à-vis d’autres secteurs tels que le social, l’éducation nationale ou celui de la santé publique. Le passage du budget défense à hauteur de 5% demandé par Trump ne signifiera rien d’autre que l’effondrement du système politique de l’Union européenne.
Pour la France, en faisant même un effort sans précèdent au niveau de l’appareil de propagande contrôlé par l’actuel pouvoir, avec la fin des hostilités sur le sol ukrainien qui doit, fort probablement, avoir lieu dans l’année à venir, il serait tout à fait impossible de persuader l’électorat français de la véracité de la menace de Moscou – et ceci est au point d’avoir la nécessité de passer le budget défense de 50.5 Mld € en 2025 à 100, voir 140 Mld € dans les années à venir, en se pliant aux exigences américaines.
Ainsi, croit-il Donald Trump que son exigence soit réalisable ? Certainement pas.
Certains experts stipulent que Trump, en tant que grand négociateur, veut commencer la négociation en plaçant la barre très haut, afin de la baisser par la suite et d’arriver au niveau qu’il souhaite réellement – par exemple à 3,5% au lieu de 5% du PIB déclaré. En ayant, entre autres, plus de dix ans d’expérience de l’enseignement de la matière «Négociation B to B» dans l’enseignement supérieur, je peux affirmer qu’un tel avis est tout à fait amateur et parfaitement erroné. Commencer une négociation dans le monde occidental en plaçant les objectifs affichés très au-dessus de la «zone de marchandage» – soit très au-dessus du maximum acceptable par l’interlocuteur – cela vaut de tuer la négociation avant même son commencement. Et Trump le sait mieux que quiconque. Mon ancien partenaire Dominique Bouillon qui est l’ancien partenaire de Donald Trump, m’a confirmé par le passé que ce dernier fait bien partie des meilleurs parmi les meilleurs au niveau des capacités à négocier.
Nulle erreur de calcul possible de la part du président américain élu : en formulant de telles exigences, Trump est parfaitement conscient qu’il est tout à fait impossible pour les pays de l’UE d’y répondre positivement.
Quelles sont, alors, les réels objectifs de son actuelle initiative ?
Aujourd’hui les pays européens, tels que l’Allemagne et la France prétendent toujours à leur place à la table de négociation sur les questions qui détermineront le monde de demain. Notamment dans la négociation avec la Russie sur les conditions de l’arrêt du conflit armé en Ukraine, vu que l’Union Européenne est plus que directement engagée et concernée.
Exclure l’UE en tant que puissance économique ne disposant pas, toutefois, d’une réelle force militaire, de la discussion sur le futur du monde ; l’exclure de la table des négociations face aux «empires» – Russe aujourd’hui et Chinois demain – dont la tentative d’effondrement entreprise dans les dernières années par l’Occident collectif s’est avérée être un échec – cela parait être l’un des principaux objectifs d’aujourd’hui de l’administration Trump sur la scène européenne.
Les satellites traditionnels des États-Unis d’Amérique très affaiblis, seront remis à leur place de suiveur et auront le droit non pas à la parole, mais à l’approbation de la politique américaine qui verra le jour dès janvier 2025.
Les leaders de la majorité des pays de l’EU sont tombés dans leur propre piège face à leur électorat. En mettant en place un gigantesque système de désinformation et de propagande antirusse, ils ont réussi à faire remplacer les capacités d’analyse de la majorité de leurs citoyens par les produits de propagande imposés par leurs média mainstream et à faire croire que la Fédération de Russie représente une réelle menace militaire vis-à-vis du territoire de l’EU.
En Europe d’aujourd’hui, allouer les budgets exigés par Washington au secteur de la défense au détriment de toutes autres sphères se situant déjà au bord de la faillite, telles qu’économiques et sociales – c’est signer son propre arrêt de mort politique au niveau national ; ne pas accepter ces exigences – c’est perdre la protection militaire américaine en mettant les masses électorales apeurées par la propagande dans un tel état qu’elles se considéreront en grande insécurité permanente sous la «menace russe».
Étant parfaitement conscient que ses homologues européens seront dans l’incapacité de faire volte-face dans leur propagande antirusse – ce qui, le cas échéant, permettrait de ne plus surinvestir dans le secteur de la défense – Trump se situe en position de force et gagne la partie tant dans le cas de l’augmentation significative des dépenses européennes dans la défense, tant en cas d’absence de ces dernières : dans les deux cas l’actuelle classe politique européenne globaliste sortira grandement affaiblie.
Le président américain élu n’oublie guère un autre élément-clé qui est en train de guider sa politique internationale vis-à-vis de l’Union européenne : la quasi-intégralité des chefs d’États européens se sont ouvertement positionnés auparavant en tant que pro-démocrates américains et, de facto, ennemis de Trump et de tout ce qu’il représente.
Ainsi, l’affaiblissement inévitable par la déstabilisation sur la question de défense européenne de ses adversaires sur l’arène politique européenne, combiné au soutien ouvert à son principal allié politique sur le vieux continent qui est le président hongrois Victor Orban, vise le renversement progressif de la classe politique hostile actuellement au pouvoir dans l’EU et la formation d’une nouvelle qui suivra les pas de la politique hongroise vis-à-vis de la politique et des intérêts de l’administration républicaine Outre-Atlantique.
Envoyé par l'auteur
L'auteur, Oleg Nesterenko, est Président du CCIE (www.c-cie.eu), ancien directeur de l’MBA, ancien professeur auprès des masters des Grandes Ecoles de Commerce de Paris.
- Source : ZeJournal