Quand Nicolas Sarkozy s’improvisait cartographe
« La Tunisie n’est pas à la bonne place entre l’Algérie et la Libye. » Pour Nicolas Sarkozy qui a tenu ces propos lors de sa visite à Tunis il y a deux jours, la géographie de l’Afrique du Nord serait donc mal faite et le voisinage algérien une malédiction. Petit cours d’histoire accélérée.
Flux. Rome occupe la Méditerranée, Nord et Sud. Le Christianisme nait en Orient et conquiert rapidement une partie du monde, Rome étant devenue chrétienne. Plus tard, l’Islam nait aussi à côté en Orient et conquiert rapidement une partie du monde, puis pousse la dynamique vers l’Ouest, le Maghreb, qui signifie « le couchant », puis l’Espagne où nait l’Andalousie.
Là où le soleil se couche
Reflux. Les Catholiques venus du Nord prennent Grenade en 1492 et poursuivent les Maures jusqu’aux côtés maghrébines.
Flux. Les Maghrébins demandent l’aide de marins égéens de l’île Lesbos, les frères Kheireddine et Arroudj, pour protéger leurs côtes. Ceux-ci s’installent à Alger et Tunis et prêtent allégeance aux Ottomans, qui ont pris aussi Tripoli la Libyenne. Les premières frontières du Maghreb sont définies.
Reflux. Les Ottomans en pleine décadence sont chassés par les Français qui prennent par la force Alger en 1830 et Tunis en 1881. Ils redéfinissent des pays, des cartes et des territoires, pendant que les Italiens, qui avaient aussi des vues sur la Tunisie, redéfinissent la Libye. Les Espagnols qui tenaient quelques places fortes en Méditerranée occidentale entrent aussi en décadence et sont chassés de la région.
Flux. En Orient, les Anglais, pour en finir avec le règne ottoman, appuient une tribu féodale représentant une secte rigoriste de l’Islam, les Wahhabites, et leur offrent tout un pays avec le pétrole et La Mecque dedans. Au Nord, les nationalismes s’entrechoquent et s’affrontent partout, y compris au Maghreb. Les Italiens sont chassés par les Alliés lors de la Deuxième Guerre Mondiale, puis les Français sont à leur tour chassés par les Tunisiens de leurs terres en 1956 et par les Algériens en 1962. Les deux pays nouvellement indépendants se retrouvent plus ou moins communistes, sous influence soviétique. Les Wahhabites, avec l’aide du pétrole et des Etats-Unis, qui voient dans les Al Saoud et leur idéologie un solide rempart anticommuniste, propagent leur pensée archaïque à coups de milliards de dollars.
Reflux. Quelques décennies plus tard, les islamistes ont le vent en poupe au Maghreb et après que la France participe à détruire la Libye, les jihadistes se retrouvent un peu partout, Libye, Algérie, Tunisie, Sahel, avec des armes dedans.
Arrive Sarkozy sur son Airbus blanc qui explique que la Tunisie est mal placée, entre l’Algérie et la Libye.
Comment refaire son monde
La carte n’est pas le territoire et l’avenir n’a pas de futur précis. Sur l’Algérie, à propos de laquelle Sarkozy a évoqué un « avenir incertain », on ne peut pas dire que l’ex-président français soit responsable de quelque chose. Mais sur la Libye, il a quand même quelque chose à voir. C’est ainsi que la petite phrase de l’ex-président est très mal passée à Alger, où les séquelles de la colonisation sont encore présents. Surtout, chacun sait que Sarkozy avait bénéficié de l’argent de Kaddhafi pour sa campagne présidentielle en 2007, à l’époque où la Libye était bien placée sur la carte.
Pour faire en 2011 de la même Libye une affaire personnelle, premier président de la Vème république à n’avoir connu aucune guerre, devenant principal acteur international de la chute de Kaddhafi, Sarkozy apprend la région, étudie les cartes, les réseaux et les routes, et avec ses amis du Qatar, livre des tonnes d’armes aux rebelles, puis décide seul, sans l’avis de la classe politique française, d’intervenir en Libye. Tunis était française il y a 60 ans et Tripoli italienne. C’est ainsi que Berlusconi accusera Sarkozy plus tard d’avoir mené la guerre en Libye contre Kadhafi pour obtenir le contrôle du pétrole et du gaz. On connait la suite, la Libye est rayée de la carte des Nations en tant qu’Etat et Sarkozy est démis de ses fonctions de président, laissant la place à Hollande, qui lui préfère la guerre en Syrie, suivant les mêmes procédés et avec les mêmes alliés.
Match nul, balles réelles au centre. Faut-il refaire la Conférence de Berlin en 1885, qui a établi les règles de partage du monde entre puissances coloniales ? En 2017, une élection présidentielle opposera probablement encore François Hollande et Nicolas Sarkozy. Il faut de l’argent et des soutiens dans la pré-campagne qui a commencé en 2014. Faut-il redéfinir les cartes des territoires du monde ? Ou simplement les cartes électorales françaises ?
- Source : Chawki Amari