L’affaire du Boeing MH17 ou la préparation d’un Maïdan patriotique en Russie?
La date anniversaire du crash du Boeing MH17 de la Malaysian Airlines au-dessus de Donetsk, il y a un an de cela, est l’occasion de tous les fantasmes. L’on pourrait sourire de cette volonté, d’un coup d’un seul, après un an de silence de plomb, de vouloir reprendre ou finir voire commencer, l’on s’y perd, l’enquête pour savoir ce qui s’est passé.
Seulement, pas plus maintenant qu’il n’y a un an, la vérité ne semble intéresser les enquêteurs. Les informations ne sont pas fournies, les preuves pas réunies, mais comme à chaque fois des « fuites » permettent d’affirmer qui est coupable et qui ne l’est pas. Et un scénario se met en place, une sorte de Yougoslavie-2. Voyons quels en sont les tenants.
Alors que la Commission internationale qui doit s’occuper de l’enquête a rendu un rapport intermédiaire d’une platitude non égalée depuis longtemps, duquel il résulte que le Boeing … a bien explosé, certains pays viennent de se lancer dans un combat politico-médiatique pour l’instauration d’un tribunal spécial international devant résoudre cette tragédie. Pour plus d’informations sur cette question, je vous propose de relire notre publication sur la création d’un tribunal international ou l’ouverture du bal des hypocrites.
Rappelons, par ailleurs, que les crash antérieurs d’avions civils n’ont jamais donné lieu à la création d’un quelconque tribunal pénal international. Prenons deux exemples. Lorsque les Etats Unis ont descendu en vol un avion de ligne iranien au dessus du Golf persique le 3 juillet 1988, faisant 290 morts, à savoir 16 membres d’équipages et 274 passagers, dont 66 enfants, l’affaire en est restée là. Le Président Reagan avait alors déclaré que l’avion de ligne iranien a été confondu avec un avion de chasse F 14 de l’armée iranienne et que la décision de l’abattre était la bonne. Refusant de payer les moindres compensations aux familles des victimes, il fallu attendre une décision de justice les y contraignant. Finalement, les Etats Unis ont payé 61,8 millions de dollars pour 248 passagers.
Le 4 octobre 2001, l’armée ukrainienne a abattu avec un tir de missil un avion de ligne russe assurant le vol Tel-Aviv Novossibirsk. Les 12 membres d’équipage et 66 passagers furent tous tués. Après enquête de la Commission internationale de l’aviation civile, il fut établi que l’armée ukrainienne faisait des entraînements dans la région et un missile est parti par erreur. L’Ukraine a payé environ 16 millions de dollars de compensation aux familles des victimes. Mais lorsque la compagnie a demandé également compensation pour la perte de son avion, une enquête « indépendane » fut ouverte et conduite par les autorités ukrainiennes qui finalement a abouti à la conclusion que le missile avait explosé loin de l’avion et ne pouvait être la cause de son explosion. Ainsi, la justice ukrainienne a refusé de compenser les pertes subies par la compagnie Sibir.
Dans ces cas, comme dans d’autres, aucun tribunal pénal international n’a été demandé. Pourtant, dans ces deux cas, une armée d’un pays descend par erreur un avion de ligne commercial. Les réparations sont payées aux victimes et basta.
Alors pourquoi ici faudrait-il un tribunal international? Cela ne peut s’expliquer que s’il s’agit d’un mouvement spécifique qui s’intègre dans un jeu global.
Si l’on met de côté l’explication simple, mais qui a aussi sa place, selon laquelle l’Ukraine doit être, jusqu’à la caricature, la gentille victime et la Russie le méchant agresseur, il faut se souvenir que le combat qui a lieu, au-delà des victimes réelles d’armes réelles, engage deux puissances internationales dont la primauté ne peut coexister vu le caractère exclusif de la vision du Monde américano-centré. Donc, un mécanisme de destabilisation de l’adversaire se met en route.
Un peu sur le schéma de celui de l’ex-Yougoslavie, accords internationaux, violations, arrestations, tribunal pénal intenrnational qui va remonter le plus haut possible. Ici, il ne s’agit pas de remonter jusqu’à V. Poutine, mais un inconnu ne fera pas non plus l’affaire. Alors la victime sacrificielle a été trouvée, médiatisée, formatée et maintenant lancée.
Le mécanisme devient apparent avec la « fuite » de CNN. La chaîne américaine de référence pour ses collègues du monde entier lance le mouvement et donne le ton: selon des sources proches de l’enquête et anonymes (évidemment), les responsables sont les combattants de Novorossia qui ont tiré sur l’avion malaysien et la compagnie elle-même qui a fait passer son avion dans une zone de conflit. Bref, l’Ukraine est totalement innocentée. Les autorités russes furent quelque peu surprises, tout d’abord parce que le rapport est confidentiel, ensuite parce que leurs experts n’ont pas été entendus et n’ont pu participer à l’enquête à la différence des experts ukrainiens, les éléments de preuves venant des Etats Unis et de l’Ukraine (les images satellites, les conversations de l’aiguilleur du ciel, etc.) ne furent pas communiquées.
Ainsi, si les combattants sont déclarés responsables, deux conséquences directes. Au niveau intérieur, ils deviennent officiellement des terroristes et ne sont plus les défenseurs de leurs terres. Et l’Ukraine, malgré tous les massacres de civils et violations du droit international ressort comme la blanche colombe luttant contre le terrorisme international – ce qui est tout à fait dans l’air du temps. A l’international, l’on peut alors trouver fondement à une action au pénal, si l’on trouve des requérants.
Et là se produit le miracle: et les requérants et le responsable désigné sont trouvés. Un groupe de familles de victimes dépose plainte aux Etats Unis. Ils demandent 900 millions de dollars de compensations. Lorsque l’on compare les chiffres avec les autres cas précités, la somme est exorbitante, mais là c’est un détail.
Deuxième temps de l’action. Le recours est porté contre … I. Strelkov, responsable alors des opérations militaires contre l’armée ukrainienne. Et ce qui tombe bien, mais c’est évidemment un hasard, puisque I. Strelkov est citoyen russe et est retourné en Russie, où il réside aujourd’hui.
Alors la question qui va bientôt se poser est de savoir si la Russie donnera Strelkov à la justice américaine. Il faut dire que sa réputation a été bien travaillée. Des nombreuses tentatives ont été lancées pour le montrer en opposant à Poutine, presque déjà candidat aux présidentielles, en plus il a le mauvais goût d’être patriote, presque nationaliste, il est intransigeant (il faut dire qu’il était sur le terrain) et critique la politique d’hésitation appelée « compromis » menée par le Kremlin en réponse aux diverses influences internes. Bref, il n’est pas suffisamment contrôlable et manque définitivement de souplesse. Peut être ses positions trop radicales sont-elles potentiellement dangereuses pour la Russie, peut-être, mais l’acharnement dont il fait les frais est sans commune mesure avec le danger de certains individus comme Kassianov le transfuge politique des années 90 paradant à Washington pour un renversement du pouvoir en Russie, Koudrine l’hydre néolibérale qui influence de très près la politique gouvernementale ou Iacine la grande figure des grandes nouveautés économiques déjà expérimentées dans les années 90, membre de tous les Conseils. Pourtant, ces individus, pour ne citer qu’eux, ne semblent pas faire autant peur. Ils font partie du paysage. Mais peu importe, la question n’est pas (tout à fait) là.
Le fait que sa personnalité soit discréditée dans « certains » milieux influents doit permettre de rendre le choix plus facile au moment opportun. Bon, ce n’est pas une grande figure, en plus elle n’est pas trop reluisante, pourquoi ne pas s’en débarrasser à bon prix et en plus redorer notre image sur la scène internationale? En effet, pourquoi pas?
Car ce serait une erreur fatale. Même si les relations se sont, soi-disant, améliorées avec les Etats Unis sur le dossier iranien – le rôle de la Russie ne figure de toute manière pas dans la presse occidentale qui parle d’une grande victoire de la diplomatie américaine – rien n’a en fait changé sur le fond. Les petits cadeaux diplomatiques sont faits en catimini, pour une exploitation géographiquement déterminée. Et cela ne change rien aux problèmes de fonds, incarnés par le dossier ukrainien.
Nulland déclare les accords de Minsk appliqués par l’Ukraine depuis l’adoption sous sa surveillance personnelle par la Rada des dispositions constitutionnelles. Moscou estime que ces dispositions ne sont pas conformes aux accords de Minsk, aucun accord avec les représentants du Donbass n’ayant été trouvé. Alors maintenant, remettons ceci en perspective. Les combattants incriminés officiellement devant la justice. Doit-on et peut-on obliger Kiev à pourparler avec des terroristes? Non, l’affaire est close. L’Ukraine doit se défendre.
A peine la Russie va répondre aux sourires avenants des Etats Unis, que la situation va se dégrader. Et ici, c’est une question de déstabilisation intérieure. Le Maïdan libéral a échoué, mais des poursuites contre « Strelkov-le-héros-populaire » pourrait permettre de tenter un Maïdan patriotique si l’événement est bien instrumentalisé, car l’idée a un réel soutien populaire. Sans compter que la Russie se discréditerait auprès de ses partenaires internationaux non alignés.
- Source : Karine Bechet-Golovko