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La Russie tire ses marrons du feu, par Thierry Meyssan

Auteur : Thierry Meyssan | Editeur : Walt | Lundi, 13 Juill. 2015 - 16h15

Les négociations 5+1 piétinent, non pas du fait de Washington et de Téhéran, mais parce que Moscou entend que le nouvel ordre régional au Moyen-Orient élargi ne viole pas ses intérêts. Thierry Meyssan lève un coin du voile sur la prolongation des entretiens de Lausanne.

Les négociations 5+1 trainent en longueur. Après les problèmes de santé de MM. Kerry et Zarif, toutes sortes d’autres prétextes ont été évoqués pour repousser la signature de l’accord. Pourtant, ni Washington, ni Téhéran, ne semblent s’affoler. Au contraire, tout fonctionne comme si le problème n’était plus entre les États-Unis et l’Iran, mais entre eux et le Conseil de sécurité.

J’ai, ici, révélé les négociations secrètes entre Israël et l’Arabie saoudite pour s’adapter aux conséquences de l’accord. Je ne dispose pas d’informations aussi précises sur l’initiative russe, mais nous pouvons en déduire les grandes lignes.

L’accord états-uno-iranien est la stratégie de second choix pour le président Obama après l’échec du partage du « Moyen-Orient élargi » avec la Russie, en 2013. Lors de la première conférence de Genève à propos de la Syrie (mais sans elle), Washington envisageait de confier à Moscou le soin de brider les pays arabes et d’assurer la sécurité d’Israël où résident plus d’un million d’anciens-Soviétiques. Toutefois ce plan échoua, non par la faute des Russes, mais du fait de la division de l’administration Obama. Les obsédés de la Guerre froide, Hillary Clinton et le général David Petraeus en tête, sabotèrent l’accord.

Il est donc tout à fait logique que Moscou s’assure aujourd’hui que les négociations états-uno-iraniennes ne se fassent pas à ses dépens.

Quels sont les objectifs stratégiques de la Russie ?

Au plan global, la Russie et la Chine poursuivent leur projet d’établir des routes continentales qui garantissent leur liberté économique. Tandis que les États-Unis tentent par tous les moyens de les en empêcher pour conserver la domination du monde via le contrôle des routes maritimes (théorie du « contrôle des espaces communs »).

Le gaz contre les armes

En ce qui concerne le « Moyen-Orient élargi », la Russie considère que son intérêt est d’avoir à sa frontière méridionale un Iran assez fort pour empêcher une invasion pro-occidentale, mais pas trop fort pour ne pas revenir aux fantasmes de l’empire perse. Vladimir Poutine entretient aujourd’hui d’excellentes relations tant avec le Guide de la révolution, l’ayatollah Khamenei, qu’avec le président de la République, le cheikh Rohani. Il a pris acte à la fois des succès militaires des Gardiens de la Révolution en Palestine, au Liban, en Syrie, en Irak et au Bahreïn, aussi bien que du formidable développement industriel de l’Iran. Plusieurs fois par semaine, des émissaires russes, officiels ou officieux, se rendent à Téhéran pour échanger des informations politiques, mais aussi militaires et économiques.

La Russie s’inquiète des conséquences de la prochaine vente du gaz iranien à l’Union européenne ; un projet qui avait été initialement imaginé par les États-Unis de sorte que Bruxelles puisse se passer du gaz russe. Mais, dans l’esprit de Moscou, ce risque n’existe qu’à court terme car progressivement la Russie se détourne de l’union européenne et, à moyen terme, elle vendra son gaz à la Chine. Le risque pour les finances russes n’existe donc que pour une période inférieure à 5 ans, voire moins ; juste le temps de construire ou de renforcer les gazoducs à travers la Sibérie. Pour dédommager la vente du gaz iranien à la place du gaz russe en Europe de l’Ouest, Téhéran s’est donc engagé à acheter pour des sommes considérables de l’armement russe. Il s’agira principalement de missiles anti-aériens S-400, capables de détruire n’importe quel aéronef en vol.

Cependant, cet accord se heurte à la résolution 1929 du Conseil de sécurité qui prohibe l’exportation d’armes à destination de l’Iran ; une résolution que le président Medvedev avait décidé de soutenir et d’appliquer provoquant une crise avec son Premier ministre d’alors Vladimir Poutine. C’est pourquoi, le même Vladimir Poutine demande aujourd’hui que cette résolution soit abrogée avant la signature de l’accord 5+1.

Ce point ne devrait pas heurter Washington, mais accroitra la division du monde en deux blocs.

Le terrorisme

L’autre intérêt stratégique russe dans ce dossier, c’est l’avenir de Daesh. Il ne fait plus aucun doute que l’organisation terroriste, aujourd’hui commandée par la Turquie et financée par une partie de la famille royale saoudienne, est prête à abandonner l’Irak et la Syrie pour se déplacer dans la Caucase russe. Depuis septembre 2014, la direction de l’Émirat islamique a été purgée de ses officiers maghrébins. Ils ont presque tous été remplacés par d’ex-Soviétiques, principalement des Géorgiens et des Ouzbeks. Actuellement, les communications intérieures des officiers de Daesh, par talkie-walkie, ne sont plus en arabe, mais presque toujours en russe ; les jihadistes arabes n’étant que de la chair à canon. Moscou doit donc éliminer Daesh, maintenant au « Proche-Orient », ou devoir le combattre sur son propre sol, demain dans le Caucase.

C’est pourquoi, la Russie a convoqué une délégation syrienne à Moscou. À la grande surprise du ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, la délégation n’a pas discuté avec son homologue russe, Sergeï Lavrov, mais a été reçue par le président Poutine, le 29 juin. Celui-ci l’a chaleureusement accueilli en public, en présence de la presse, pour lui délivrer un long discours lui indiquant le projet russe : la Syrie doit se rapprocher de l’Arabie saoudite, de la Jordanie et de la Turquie pour éliminer Daesh. Puis, M. Mouallem fut invité à prendre la parole au point de presse aux côtés du président Poutine, sans jamais avoir eu l’occasion de lui répondre.

À l’évidence, la Russie avait déjà secrètement discuté de ce plan non seulement avec l’Arabie saoudite, la Jordanie et la Turquie, mais aussi avec l’Iran. Et elle tenait à montrer au reste du monde qu’elle était en mesure de dicter sa politique à la Syrie. Cette dernière, quoi qu’interloquée par le plan russe, ne peut qu’y trouver son compte puisqu’il marquerait la fin de la guerre.

Au demeurant, le plan russe correspond à la position syrienne qui, depuis janvier 2014 et la seconde conférence de Genève (où elle était invitée à la différence de la première conférence), appelle à l’unité internationale face au terrorisme. Une position qui n’a cessé de faire ricaner vu que les jihadistes sont soutenus, sous le nom d’« opposition modérée » syrienne… par l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Turquie et d’une manière générale par l’Otan.

Le plan russe est-il réalisable ?

Le plan russe, qui est dans l’intérêt de tous les États du « Moyen-Orient élargi », contrevient cependant aux accords déjà négociés entre les Saoudiens et les Israéliens. En outre, il prive la Turquie —et donc l’Otan— de sa carte majeure : le contrôle du jihadisme international. Sa mise en œuvre dépend de l’équilibre interne de chaque État impliqué ; un sujet qui comprend de très nombreuses incertitudes, mais à propos duquel les services russes doivent être bien renseignés.

En réalité, le plan russe pose la question de la sincérité des États-Unis. Veulent-ils vraiment la paix au « Moyen-Orient élargi » (pour transférer leurs troupes en Extrême-Orient) et sont-ils prêts pour cela à se priver de Daesh comme arme future contre la Russie ?

C’est pourquoi les consultations continuent. Le président Rohani est en Russie à l’occasion du sommet des BRICS et de l’Organisation de coopération de Shanghaï à Oufa, le président Poutine se rendra en Turquie avant la formation du nouveau gouvernement ou les prochaines élections législatives, tandis que le roi Salman d’Arabie saoudite est attendu à Moscou.


- Source : Thierry Meyssan

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