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L’ex-Président iranien Ahmadinejad continue à rencontrer de modestes pétitionnaires

Auteur : Jonathan Steele | Editeur : Walt | Mardi, 09 Juin 2015 - 19h53

Bien qu’il vive, pépère, une retraite méritée à Téhéran, Mahmoud Ahmadinejad reste dans les esprits en Iran comme en Occident. Sa présidence tombait à pic au moment où son pays avait le plus besoin d’un homme qui savait rendre coup pour coup et qui n’avait pas sa langue dans sa poche. Mais il tombait encore plus à pic pour Israël et l’Occident en général qui avaient trouvé en lui le punching-ball idéal leur permettant de diaboliser l’Iran. A chaque fois qu’il ouvrait la bouche, c’était comme si l’Iran venait d’augmenter son arsenal nucléaire d’une bombe supplémentaire. Son départ avait laissé un grand vide chez les néocons et Netanyahou ne s’en est pas encore remis. Reviendra-t-il ? Toujours aussi énigmatique, Mahmoud Ahmadinejad refuse de répondre à cette question.

TÉHÉRAN – Ses yeux sont toujours à moitié plissés et son front reste creusé par un froncement de sourcil mais ce qui est resté intact, c’est avant tout l’intérêt de Mahmoud Ahmadinejad pour les modestes pétitionnaires iraniens qui viennent le rencontrer en personne, comme lorsqu’il était en fonction jusqu’en 2013.

Le rituel débute à sept heures du matin presque tous les jours de la semaine dans le quartier de Narmak à l’est de Téhéran, devant le domicile familial qu’Ahmadinejad partage avec deux de ses enfants mariés. Cramponnés à leurs lettres manuscrites, des hommes et femmes à l’air triste font la queue dans la rue derrière une barrière métallique, reproduisant ainsi la tradition consacrée qui veut qu’un chef d’Etat bienveillant écoute ses malheureux sujets.

Des gardes armés prennent place peu avant que l’ex-président descende l’allée de sa maison d’un pas vif pour saluer le premier visiteur. Un regard compatissant, une attention réfléchie puis quelques mots et le pétitionnaire est invité à laisser sa place au suivant.

L’ex-président n’esquisse un sourire que lorsque mon traducteur remonte la file d’attente pour lui demander s’il pense que les négociateurs se chargent efficacement de l’accord sur le nucléaire. « Pas d’interview », répond-il en souriant. Lorsque je pose la question suivante en anglais et que le traducteur lui dit en farsi : « Prévoyez-vous de vous représenter à l’élection présidentielle ? », il sourit de plus belle. « Pas d’interview », répète-t-il.

Les Iraniens sont nombreux à s’interroger à ce sujet. Aucun autre ex-président iranien ne pratique cet ancien rituel qui consiste à accorder régulièrement une audience publique à tous ceux qui souhaitent exposer leurs problèmes. Mahmoud Ahmadinejad a commencé à le faire au cours de son double mandat présidentiel, de 2005 à 2013, et cela correspond bien à son image de populiste à l’écoute des soucis des gens ordinaires, à l’opposé des clercs inaccessibles qui l’ont précédé et suivi. Mais est-ce par habitude qu’il continue ou vise-t-il un objectif à long terme ?

Les médias iraniens ne parlent pas de la disponibilité dont fait preuve Mahmoud Ahmadinejad envers les pétitionnaires. Il n’en tire aucune publicité ni aucune reconnaissance politique. En effet, à cause du système complexe de censure et d’autocensure de la presse et de la télévision iraniennes, le nom d’Ahmadinejad a disparu. Le pouvoir judiciaire a récemment émis un arrêté interdisant toute mention ou citation de l’ex-Président réformiste Mohammad Khatami. Aucune interdiction similaire concernant Ahmadinejad n’a été prononcée mais le silence officiel est comparable.

Un retour sur la scène politique ?

Et pourtant, plusieurs analystes à Téhéran considèrent que Ahmadinejad pourrait avoir un avenir en politique. Si les accords sur le nucléaire échouent et que les relations avec l’Ouest redeviennent tendues et acerbes, il se pourrait que le Guide suprême du pays, l’Ayatollah Ali Khamenei, juge nécessaire le retour d’un président intransigeant. Une ouverture pourrait également se dessiner pour lui si l’accord est conclu sans que la levée des sanctions, que la plupart des Iraniens attendent avec impatience, n’améliore le niveau de vie de façon significative. Blâmez le président en fonction et son équipe et faites revenir un populiste. Quel que soit le scénario, Mahmoud Ahmadinejad peut-être un atout pour Khamenei.

En attendant, c’est uniquement le bouche-à-oreille qui conduit les gens à Narmak au lever du soleil. La file d’attente n’est pas longue. Environ une demi-douzaine de personnes se présentent chaque jour, d’après l’un des policiers en service au poste de garde devant la maison d’Ahmadinejad. Mais l’information circule dans les différentes sphères malgré la censure et l’image d’Ahmadinejad, perçu comme un homme qui comprend les gens ordinaires, n’a pas souffert. Les gens parlent de ces audiences matinales à leurs amis.

« Pourquoi êtes-vous venu ? », ai-je demandé à un jeune homme assis dans sa voiture en train de raconter à sa femme ce qu’Ahmadinejad venait de lui dire. Le jeune homme travaillait dans une entreprise de boissons non alcoolisées qui a fermé dix-huit mois plus tôt. Toutes ses tentatives pour trouver un nouvel emploi ont échoué. L’ex-président lui a dit franchement : « Je ne pense pas pouvoir vous aider. Je n’ai plus d’influence mais revenez avec un papier et nous verrons. » Le jeune homme explique qu’il n’avait pas réalisé qu’il fallait amener une lettre mais qu’il en écrirait une et reviendrait.

Un autre jeune homme qui, lui, a apporté une lettre nous dit qu’il a dormi dans un parc à proximité pour être là lorsque Mahmoud Ahmadinejad sortirait. Il a besoin d’argent pour éviter que sa femme, son enfant et lui-même soient expulsés. C’est un mollah de sa mosquée qui lui a suggéré d’aller voir Ahmadinejad. L’ex-président a pris sa lettre et lui a promis de la transmettre à une agence d’assistance sociale qui propose des loyers abordables.

Une veuve âgée, anciennement vendeuse, rend régulièrement visite à Mahmoud Ahmadinejad. Elle avait reçu l’équivalent de 700 dollars de sa part lorsqu’il était président pour participer à l’achat d’un appartement pour elle et ses enfants mariés, nous raconte-t-elle. Elle a besoin d’argent. Elle n’aime pas l’actuel Président iranien, Hassan Rohani, et sait qu’Ahmadinejad l’aidera.

Un personnage qui divise

Aucun politicien iranien de ces dernières années  ne provoque de réactions aussi divergentes. Si l’on trouve des pétitionnaires prêts à aller à Narmak, on trouve également des Iraniens qui critiquent l’ex-président. Certains disent qu’ils ont honte de ce qu’il a fait à l’image du pays.

À quelques centaines de mètres de la maison d’Ahmadinejad se trouve un petit magasin où la famille de l’ex-Président se rend parfois. « Notre pays était isolé après la révolution islamique mais cela a empiré avec Ahmadinejad. Son opinion au sujet de l’holocauste n’engage que lui. Notre société n’est pas d’accord avec lui », témoigne le jeune homme qui tient le magasin. « La levée des sanctions améliorera l’image de l’Iran mais certains groupes pensent que l’économie se portait mieux sous son mandat donc ils le soutiendront peut-être. Je doute qu’il revienne vraiment au pouvoir. J’ai entendu dire qu’il n’écoutait pas ses conseillers. Il décide tout seul. »

Dans les couloirs du Majlis, le parlement iranien, les avis sont mitigés. La façon dont Mahmoud Ahmadinejad a gouverné a rebuté beaucoup de députés. « Il avait des atouts. Il a l’esprit pratique et c’est un bon dirigeant mais je doute qu’il revienne au pouvoir », explique Mohammed Esmaelian, un député de Khorasan. Il est populaire auprès des gens peu instruits mais ceux qui analysent la situation voient bien que ses priorités n’allaient pas dans le sens du peuple. »

Hossein Kanani Moghaddam, fondateur du parti des Verts qui compte cinq membres, se montre très critique envers Mahmoud Ahmadinejad. « Ceux qui sont favorables à Ahmadinejad souhaitent que l’accord sur le nucléaire échoue mais il s’agit d’une minorité et ils ne seront pas réélus en février prochain si l’accord se concrétise, affirme-t-il. Ahmadinejad vit dans une grotte. Il passe son temps à prier mais c’est terminé pour lui. Il doit beaucoup de réponses aux gens. Il ressemble à Mohamed Morsi [le président égyptien destitué], sauf qu’il n’est pas en prison. Il vit dans la prison de son propre esprit. »

Le gouvernement de Rohani peine à s’extirper de la situation économique dans laquelle Ahmadinejad a laissé le pays. Les aides offertes par l’ex-président aux particuliers qui le sollicitent avaient été étendues à l’échelle nationale lorsqu’il était au pouvoir. Lors de ses fréquents déplacements en province, il écoutait les gens ordinaires ou les responsables locaux qui lui demandaient de nouveaux ponts ou systèmes d’irrigation et ordonnait à ses collaborateurs d’agir en conséquence. Des petits projets de construction furent ainsi lancés par centaines avant d’être suspendus. L’inflation devint incontrôlable.

Saeed Leylaz, un réformiste et journaliste économique qui a été condamné à une longue peine de prison après la réélection d’Ahmadinejad, ne fait évidemment pas partie de ses admirateurs. D’après lui, ce n’est pas uniquement les sanctions et l’effondrement généralisé des prix du pétrole qui ont entraîné la récession de l’économie iranienne. Ahmadinejad et ses amis révolutionnaires se sont enrichis en violant les embargos. « Ahmadinejad voulait semer la discorde. Ils ont tiré beaucoup de profit des embargos. Ils ont pillé le pays. Ils ont créé une nouvelle classe sociale », affirme-t-il.

Tenir tête à Bush

Dans le système politique iranien, beaucoup dépend de ceux que les clercs qui gouvernent le pays acceptent de voir se confronter au vote populaire. Le Conseil des gardiens, composé de douze hommes dont des religieux et juristes de l’islam, étudie scrupuleusement la liste des candidats. Plusieurs analystes soutiennent que la candidature de Mahmoud Ahmadinejad en 2005 avait une certaine logique à l’époque où la Maison-Blanche était occupée par George Bush, un homme qui recherchait également l’affrontement.

« Ahmadinejad est différent de Rohani. Il était extrêmement confiant. Attaquer sur tous les fronts, c’était son état d’esprit. Pour lui, l’attaque constituait la meilleure défense, en particulier en ce qui concerne les affaires étrangères. Il pensait que la puissance est ce qui permet aux pays de se distinguer. C’est la loi du plus fort, donc l’Iran doit montrer sa puissance au monde », explique Amir Mohebbian, directeur d’Arya News Agency, qui se décrit comme un politicien modéré. « Bush était un homme irrationnel, agressif et partisan du désarmement unilatéral. Il voulait attaquer l’Iran en plus de l’Irak. À ce moment-là, nous avions un président raisonnable : Khatami. Pourtant, Bush considérait que l’Iran faisait partie de « l’Axe du mal », même lorsque Khatami était au pouvoir. La situation imposait donc que nous ayons nous aussi un président irrationnel. Il était impossible de savoir ce qu’il avait en tête ou ce qu’il allait faire. C’était dissuasif », ajoute-t-il.

Après Khatami, le réformiste, puis Ahmadinejad, le conservateur (décrit par certains analystes iraniens comme un homme à principes), en 2013 l’Iran avait besoin de quelqu’un comme Rohani qui réunit un peu des deux, autrement dit un centriste, affirme Mohebbian.

Que va-t-il se passer ensuite ? Mohebbian soutient que tout dépend de la conclusion ou non de l’accord sur le nucléaire, qui dépend elle-même de la capacité des États-Unis à se montrer raisonnables quant aux concessions qu’ils exigeront de l’Iran au cours des dernières semaines de discussions.

Bien qu’Ahmadinejad ne soit pas sous le feu des projecteurs lorsqu’il accueille la petite file quotidienne de pétitionnaires, il est en contact permanent avec les partisans de la manière forte, préparant leurs prochaines manœuvres. Pour le Guide suprême de l’Iran, l’Ayatollah Ali Khamenei, Mahmoud Ahmadinejad représente un difficile mais potentiel allié. Les deux hommes s’étaient violemment disputés en avril 2011 lorsque Ahmadinejad avait essayé de faire démissionner Heydar Moslehi, ministre des Renseignements, et que Khamenei s’y était publiquement opposé. Ahmadinejad était alors retourné chez lui à Narmak et y était resté pendant onze jours, fâché et réfléchissant apparemment à une possible démission. Il avait toutefois repris son poste et fini par jurer loyauté à Khamenei.

Malgré ces tensions relativement récentes, Ahmadinejad resterait tout de même un atout pour Khamenei dans le cadre des négociations en cours mais pourrait aussi être une solution de repli si les choses se passaient mal, déclare Mohebbian. Ahmadinejad est celui qui incarne au mieux l’intransigeance en Iran.

« Pour le moment, notre positionnement est juste, raisonnable et modéré. La balle est dans le camp des États-Unis. Ils se révéleront raisonnables ou déraisonnables pendant les prochaines discussions. Il nous faut quelqu’un qui leur montre que s’ils se comportent mal, nous serons prêts à faire revenir Mahmoud Ahmadinejad sur le devant de la scène », conclut Mohebbian.


- Source : Jonathan Steele

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