Si Israël attaque l’Iran, la Russie ne restera pas les bras croisés
«Je ne pense pas que les États-Unis se sentent investis d’une obligation implicite d’emboîter le pas aux Israéliens, quoi qu’ils fassent, comme de vulgaires moutons. S’ils décident de déclencher une guerre, en partant du principe que nous y serons automatiquement entraînés, il me semble qu’il relève de l’obligation d’amitié de dire : «ne prenez pas de décision de portée nationale à notre place. Les États-Unis doivent mener leur propre politique en matière de sécurité nationale». (1)
L’establishment de la politique étrangère américaine comprenait autrefois des hommes capables de réflexion stratégique. Ce n’est plus le cas. Ce qui passe aujourd’hui pour une réflexion stratégique, c’est la réédition sans fin des discours israéliens prononcés par des généraux à la retraite à la solde de l’industrie de l’armement et du lobby israélien. Ces hommes, qui ne représentent qu’un pourcentage infinitésimal de la population, sont un maillon clé du mécanisme qui prépare l’opinion publique au conflit, à l’escalade et à la guerre. Leur mission actuelle consiste à convaincre le peuple américain que l’attaque imminente d’Israël contre l’Iran sert les intérêts de la Sécurité nationale des États-Unis, ce qui, bien sûr, n’est pas le cas. En fait, on est en train d’entraîner le pays dans une conflagration meurtrière qui, selon toute probabilité, précipitera le déclin spectaculaire de la domination mondiale américaine, suivi du glas qui sonnera ce qu’il est convenu de nommer le Siècle Américain.
Tout cela a été prévu par l’un des analystes les plus éminents de la politique étrangère américaine, Zbigniew Brzezinski, qui a lancé un avertissement à propos de l’Iran il y a plus de dix ans dans un éditorial du Los Angeles Times. Voici ce qu’il a dit :
«… une attaque contre l’Iran serait un acte de démence politique qui déclencherait un bouleversement graduel des activités mondiales. Les États-Unis suscitant une hostilité croissante, l’ère de la prépondérance américaine pourrait même s’achever prématurément. Même si les États-Unis dominent clairement le monde à l’heure actuelle, ils n’ont ni le pouvoir ni la capacité d’imposer et de maintenir leur position en cas de guerre longue et coûteuse. (…)
Il est donc grand temps pour l’administration de reprendre ses esprits et de penser stratégiquement, dans une perspective historique, et en tenant compte de l’histoire des États-Unis. (…) Il est temps de calmer la rhétorique. Les États-Unis ne doivent pas se laisser guider par l’affect ou le sens d’une mission à caractère religieux… Nous avons le choix entre nous lancer dans une aventure imprudente profondément préjudiciable aux intérêts nationaux des États-Unis à long terme, ou prendre au sérieux notre intention de donner une véritable chance aux négociations avec l’Iran. (…)
Traiter l’Iran avec respect et dans une perspective historique contribuerait à la réalisation de cet objectif. La politique américaine ne devrait pas céder à l’atmosphère d’urgence fabriquée actuellement, qui rappelle de manière inquiétante ce qui a précédé l’intervention malencontreuse en Irak». (2)
C’est bien dit. On ne peut que souhaiter que les experts décérébrés des chaînes câblées diffusent l’article entre eux.
Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Brzezinski a fourni une analyse cohérente et bien documentée qui a évalué de manière impartiale dans quelle mesure les coûts d’une opération donnée sont supérieurs à ses profits. Dans le cas présent, il n’y a tout simplement pas de comparaison possible. Les États-Unis se hâtent vers un conflit qui ne sert aucun intérêt national, qu’ils ne peuvent pas gagner et dont les conséquences sur l’avenir de la nation seront catastrophiques. Revoici Brzezinski :
«Nous n’avons pas besoin de faire grossir le conflit dans cette région parce qu’une aggravation dudit conflit impliquant les Iraniens (…) rallumerait probablement les hostilités en Irak, embraserait le golfe Persique, multiplierait le prix du pétrole par 2, 3 ou 4 (…) L’Europe deviendrait encore plus dépendante de la Russie pour son énergie. (…) Alors, où est l’intérêt ?
Tout ce que je peux dire, en tant qu’analyste de la politique internationale, c’est qu’une guerre avec l’Iran serait un désastre. Et, pour être franc, ce serait un désastre pour nous plus que pour Israël parce que, avec cette guerre, nous serions forcés de quitter la région. (…) À cause de la dynamique de haine qui s’y développe. Et, ne vous faites pas d’illusions, si le conflit s’étend, nous serons bien seuls… Et si on nous chasse, combien parieriez-vous sur la survie d’Israël d’ici cinq ou dix ans ?». (3)
Ce ne serait donc pas seulement désastreux pour les États-Unis, mais tout autant pour Israël qui, sans le soutien «inconditionnel» de Washington, s’étiolerait en 5 ou 10 ans. Certains ne sont peut-être pas d’accord avec cette analyse. Peut-être pense-t-on qu’une minuscule colonie belligérante au cœur du monde arabe – qui a tout fait pour paraître sacrément néfaste au cours des 75 dernières années – pourrait survivre sans l’aide des États-Unis ?
J’imagine que c’est possible. Mais peu probable. Voici un extrait d’un article paru samedi sur NBC News :
«Les responsables américains pensent qu’Israël a réduit le nombre de cibles potentielles dans sa riposte à l’attaque de l’Iran, qu’ils décrivent comme des infrastructures militaires et énergétiques iraniennes.
Rien n’indique qu’Israël ciblera des installations nucléaires ou procédera à des assassinats, mais les responsables américains ont précisé que les Israéliens n’ont pas encore pris de décision ferme quant à la manière et au moment d’agir. (…)
Les États-Unis ne savent pas quand la riposte d’Israël pourrait survenir, mais les responsables ont déclaré que l’armée israélienne se tient prête à agir à tout moment dès que l’ordre tombera. (…) Les officiels américains et israéliens ont déclaré qu’une riposte pourrait voir le jour pendant la fête de Yom Kippour. (…)
Les États-Unis sont prêts à défendre leurs atouts dans la région contre toute contre-attaque immédiate de l’Iran, mais il est peu probable qu’ils apportent un soutien militaire direct à l’opération.
Le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, s’est entretenu hier soir avec son homologue israélien, Yoav Gallant, et ils ont évoqué les grandes lignes d’une riposte israélienne. Toutefois, on ignore si M. Gallant a transmis des détails concrets». (4)
Samedi, plus de 10 articles sont apparus sur Google News avec exactement le même titre : «Israël limite le nombre de ses cibles». Cette rengaine est supposée donner l’impression que l’acte d’agression flagrant d’Israël est en fait un acte d’autodéfense calculé et bien réfléchi. Quelle plaisanterie et quelle humiliation pour l’administration Biden qui n’est même pas informée de la manière dont ses bombes, ses avions de combat, ses avions de ravitaillement et son soutien logistique vont être utilisés. Depuis quand les États-Unis sont-ils devenus les larbins qu’on peut bousculer par les gangsters de Tel-Aviv ? C’est choquant.
Ce qui se perd dans le battage autour de la prochaine attaque d’Israël contre l’Iran, c’est la campagne diplomatique furtivement menée par la Russie pour renforcer les défenses de l’Iran et se préparer aux hostilités à venir.
Vendredi, Poutine a rencontré le président iranien Massoud Pezeshkian à Ashgabat, au Turkménistan, pour évoquer la détérioration de la situation au Moyen-Orient, et la probabilité d’une guerre régionale. Cette rencontre soigneusement orchestrée visait à montrer que la Russie considère l’Iran à la fois comme un ami et un allié qui peut compter sur le soutien de la Russie si des hostilités éclatent. Quelques heures plus tôt, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, avait lancé un avertissement inquiétant : une frappe israélienne sur les installations nucléaires civiles de l’Iran constituerait une «grave provocation».
S’exprimant lors d’une conférence de presse au Laos, Lavrov a souligné que, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’Iran est resté en conformité avec les réglementations en vigueur et n’a pas détourné de matières nucléaires vers des programmes d’armement interdits. (Les affirmations fallacieuses d’Israël à ce sujet relèvent de la pure propagande).
«Si des plans ou des menaces d’attaque contre les installations nucléaires à vocation civile de la République islamique d’Iran se concrétisent, il s’agirait d’une très grave provocation».
Entre les commentaires de Lavrov et la rencontre avec Poutine, il ne fait guère de doute que Moscou soutient l’Iran dans son affrontement avec Israël, même s’il est impossible de savoir si la Russie interviendra activement si une guerre est déclenchée. (Il convient également de rappeler que le Premier ministre russe, Mikhail Michoustine, s’est rendu à Téhéran deux jours seulement avant que l’Iran ne lance son attaque de missiles balistiques sur Israël. On peut donc en déduire que l’Iran a reçu le feu vert de Moscou pour prendre des mesures qui correspondent à l’idée de Poutine d’une «réponse proportionnée»).
La Russie suit de très près l’évolution de la situation et a transféré des moyens militaires à proximité de la zone de combat potentielle. Il est logique de supposer que la Russie affrontera les ennemis de l’Iran si la situation l’exige. L’analyste militaire Will Schryver a résumé la situation comme suit :
«Je ne comprends pas que tant de gens ne réalisent pas pleinement que se battre aux côtés de l’Iran contre l’empire n’est pas un choix pour la Russie, mais un impératif existentiel. C’est également une chose à laquelle les Russes se sont activement préparés depuis l’été 2022 au plus tard».
N’oubliez pas que la Russie et l’Iran ont considérablement renforcé leurs liens militaires au cours des dernières années, au point de s’engager ouvertement dans la sécurité de l’autre. Selon Schryver :
«La Russie, la Chine et l’Iran ont désormais formé une alliance militaire et économique de facto – ce qu’ils préfèrent appeler un «partenariat». Dans le cas de la Russie et de la Chine, un partenariat global à spectre complet a vu le jour : militaire, économique et monétaire. (…)
La Russie, la Chine et l’Iran organisent régulièrement des exercices conjoints en mer d’Oman. Ces exercices ont gagné en ampleur et en fréquence ces dernières années.
La Russie et la Chine investissent des sommes considérables en Iran, en grande partie dans le secteur de l’énergie et dans d’ambitieux projets de transport visant à aménager des couloirs commerciaux à la fois rapides et efficaces reliant la Chine, l’Iran et la Russie en tant que principaux pôles du commerce eurasien… Les transferts d’armes et de technologies entre les trois pays ont atteint des niveaux sans précédent. (…)
La Russie, la Chine et l’Iran reconnaissent clairement qu’une attaque contre l’un d’entre eux constituerait une menace existentielle pour tous. Les intérêts stratégiques des trois pays sont désormais inextricablement liés. Plus important encore, ils sont unis par un seul objectif stratégique primordial : démanteler la domination de l’empire anglo-américain qui règne depuis trop longtemps. (…)
Dans une éventuelle guerre entre les États Unis et l’Iran, la Russie et la Chine soutiendraient activement l’Iran… L’Iran serait simplement approvisionné en armes et autres équipements logistiques par ses deux partenaires – et très probablement placé sous leur parapluie nucléaire dans le cadre d’un acte de dissuasion explicite.
«Si la Russie, la Chine et l’Iran sont déterminés à adopter le principe du ‘tous pour un’ et ‘un pour tous’, ils représentent une combinaison de puissance militaire et économique mondiale invincible». (5)
Le point de vue de Will Schryver est partagé par un grand nombre d’analystes qui sont (naturellement) empêchés de partager leurs opinions dans les grands médias. Mais cela ne change rien au fait que la Russie et l’Iran sont des alliés stratégiques qui interviendront militairement s’ils se sentent en danger.
Il est bon de noter que l’Iran fournit à la Chine 15% de son pétrole (c’est le premier producteur de pétrole chinois), qu’il participe activement au projet de «corridor international de circulation nord-sud» (un réseau multimodal de plus de 7000 km de voies maritimes, ferroviaires et routières destiné au transport de marchandises entre l’Inde, l’Iran, l’Azerbaïdjan, la Russie, l’Asie centrale et l’Europe), et qu’il est «situé au carrefour de l’Asie centrale, de l’Asie du Sud et des États arabes du Moyen-Orient». La position stratégique de l’Iran et ses vastes ressources naturelles en font un acteur essentiel de l’ordre mondial multipolaire émergent qui remplace rapidement tout système fondé sur des règles de Washington. Ni la Russie ni la Chine ne peuvent tolérer que l’Iran soit détruit ou que son gouvernement soit renversé. Voici un complément d’information de l’auteur, le Dr Digby James Wren, sur Substack :
«Le président russe a approuvé la signature d’un accord de partenariat stratégique global avec l’Iran. Cette décision fait suite à une visite à Téhéran du secrétaire du Conseil de sécurité russe, précédée d’un voyage à Saint-Pétersbourg du conseiller iranien à la Sécurité nationale… Poutine (…) aurait décrit l’accord comme étant «opportun» et devant être signé «au plus haut niveau». (…)
Selon les médias iraniens, M. Poutine a salué les relations «stratégiques» entre Téhéran et Moscou, qui se sont renforcées ces dernières années et considérablement approfondies depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.
La coopération entre les deux pays s’est particulièrement étoffée dans le secteur militaire. L’Iran a fourni des drones à la Russie, qui auraient été déployés contre l’Ukraine. En outre, l’Iran soutiendrait les initiatives russes de localisation de la production de drones …
«Les relations avec l’Iran sont une priorité pour nous», a déclaré M. Poutine à M. Pezeshkian. (…)
En août, des informations ont également été publiées sur des livraisons d’armes russes présumées à l’Iran. Le New York Times a cité des responsables iraniens de l’époque affirmant que la Russie a commencé à transférer des équipements radar et de défense aérienne avancés à Téhéran à la suite d’une commande faite au Kremlin». (6)
En d’autres termes, Poutine a anticipé la crise qui se déroule aujourd’hui et a commencé à consolider activement les défenses de l’Iran. Aujourd’hui, elles sont prêtes à intervenir. À lire :
«Le commandant en chef suprême Vladimir Poutine a débattu de la situation au Moyen-Orient et … a fixé des objectifs qui ne pouvaient être discutés qu’en face à face. … Nous suivrons l’évolution des événements. L’armée est prête au combat, (et) l’initiative nous revient… La victoire sera nôtre, peut-être pas dans un délai rapproché, mais nous vaincrons, sans aucun doute». (7)
Ce à quoi nous devons nous attendre maintenant, c’est à une attaque israélienne contre les infrastructures vitales de l’Iran, accompagnée d’une opération de décapitation de ses dirigeants politiques et militaires. Une telle attaque devrait outrepasser ce que les conseillers américains ont préconisé afin d’augmenter les chances d’une riposte disproportionnée de la part de l’Iran qui inciterait Washington à entrer en guerre. (La réaction de l’Iran sera déterminée en partie par la Russie, qui privilégiera une «riposte proportionnée». Poutine va donner à Israël et aux États-Unis toutes les chances de «faire redescendre la température» et de désamorcer la situation, mais s’ils décident d’intensifier leurs attaques, nous devons nous attendre au pire des scénarios.
Il est impossible que les États-Unis sortent indemnes d’une guerre avec l’Iran. Nous vivons une époque charnière où la pierre angulaire qui fonde notre ancien empire se disloque sous nos yeux.
Notes:
- Brzezinski : Les États-Unis ne doivent pas suivre Israël sur l’Iran comme une «mule stupide»
- «Been there, done that», Zbigniew Brzezinski, Los Angeles Times
- Zbigniew Brzezinski, Real News Network, 2 :15 min
- «Des responsables américains affirment qu’Israël a réduit ses cibles en vue d’une attaque contre l’Iran», NBC News
- «Tous pour un et un pour tous», Will Schryver, Twitter
- «Persian Fire», Dr Digby James Wren sur Substack
- Andrey Gurulev, lieutenant général russe @DD_Geopolitics
Traduction: Spirit of Free Speech
- Source : The Unz Review (Etats-Unis)