Selon un rapport du FMI, la « libéralisation » du marché du travail ne crée pas de croissance
Alors que dans sa dernière étude consacrée à la France, l’OCDE recommande d’assouplir le marché du travail, en mettant fin au CDI, afin de « relancer l’emploi », une étude du Fonds Monétaire International évaluant l’impact des différentes réformes structurelles sur la croissance, vient tordre le cou à ce type de mesures de précarisation des salariés. La « libéralisation » du marché du travail ne crée en effet pas de croissance selon l’étude du FMI. Ce type de réforme doit dés lors être envisagée pour ce qu’elle est, une manoeuvre idéologique au service des intérêts du patronat et du capital financier…
La croissance potentielle est une notion qui prend en compte les facteur de croissance (de la démographie aux investissements en passant par la formation mais aussi les institutions du marché du travail) et qui cherche à anticiper l’évolution de la croissance dans un environnement macroéconomique « neutre » soit sans accélération ou décélération de l’inflation. Ce concept a été développé dans un cadre très inspiré par la forme moderne de la théorie néoclassique. Mais, l’inclusion d’éléments extérieurs à cette théorie ont abouti à introduire un élément de réalisme important dans cette notion. Cette notion apparaît donc compatible, moyennant certains ajustements, avec la théorie hétérodoxe, comme on l’a montré dans un papier de 2012. On peut retrouver, sous certaines conditions, des relations stables entre le capital productif et la croissance potentielle ainsi que cela avait été montré dès le début des années 1960.
Le Fond Monétaire International, dans le World Economic Report du mois d’avril 2015, exploite alors cette notion. Les résultats de cette étude (le chapitre 3) sont particulièrement intéressants, parce qu’ils vont à rebours de bien des vaches sacrées du discours économique contemporain. Sans doute est-ce le moment de rappeler que c’est justement dans le cuir des vaches sacrées que l’on taille les meilleures chaussures pour avancer.
Croissance, croissance potentielle et impact de la zone Euro.
Le premier point qui ressort de cette étude est que, dans les économies développées, le déclin de la croissance potentielle (et non nécessairement réelle) a commencé autour de 2000, et s’est amplifié depuis la crise de 2007-2009. Cette croissance potentielle se situait autour de 2,25% par an en moyenne sur 2001-2007 et atteignait les 2,5% par an sur 1996-2001 ; elle est tombée à 1,3% par an de 2008 à 2014, et ne devrait remonter que vers 1,6% par an pour la période 2015-2020. La croissance potentielle semble donc s’être contractée de l’équivalent de 0,6% par an dans les pays développé et même de 0,9% si l’on compare le niveau avant 2000 avec celui qui est estimé pour les années à venir. A cet égard, le très faible rebond pour la période dite « post-crise » interpelle. Ceci constitue une nouveauté par rapport aux précédentes crises financières, pourtant marquées par de fortes contractions du crédit. L’impact de la réduction de la croissance des investissements dans la zone Euro est ici à noter. Ceci correspond à l’ampleur des politiques d’ajustement fiscal.
Les causes de ce déclin sont multiples. Ainsi, aux Etats-Unis, c’est la faiblesse des investissements à partir de 2003 qui en est la cause. Il faut y ajouter l’évolution de la structure démographique et les conditions de formations de la main d’œuvre. Néanmoins, il convient de distinguer la trajectoire des Etats-Unis (et du Canada) de celle de l’Europe. Pour cette dernière, et en particulier pour la zone Euro, le ralentissement de la croissance potentielle apparaît comme particulièrement sévère. Ceci implique que les effets négatifs de l’Union Economique et Monétaire se seraient manifestés au-delà de la croissance réelle, ce qu’avait déjà mis au jour le travail de Jorg Bibow. Non seulement l’Euro aurait entraîné une torsion de la politique macroéconomique dans un sens défavorable à la croissance, ce que l’on mesure très directement, mais il aurait aussi eu des effets négatifs sur le potentiel de croissance ce qui implique un affaiblissement structurel des économies de la zone Euro. La zone Euro apparaît plus mal placée que les autres économies développées même si l’on retire l’effet du cycle des affaires. Le point est ici d’une grande importance. Il faut savoir que dans l’étude réalisée par le FMI, seuls 4 pays de la zone Euro apparaissent, l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne. Mais, ces pays réalisent à eux quatre environ 80% du PIB de la zone. Il est donc clair, et peut être considéré comme établi, que l’Euro a eu des effets négatifs non seulement sur la politique macro-économique (comme démontré par Bibow) mais aussi sur la croissance potentielle. Ici meurt sous nos yeux la première des vaches sacrées.
Quelles réformes pour quel potentiel de croissance.
Mais, l’étude du Fond Monétaire International ne s’arrête pas là. Elle considère l’impact de toute une série de mesures structurelles qui peuvent être décidées à court terme par les gouvernements sur la productivité totale des facteurs et donc sur la croissance potentielle. Le rapport examine leurs effets sur les divers secteurs de l’économie ainsi que sur la croissance potentielle totale.
Le rapport classe donc 7 facteurs, outre les investissements en capital productif et les structures démographiques, qui sont susceptibles d’influencer la croissance potentielle :
- L’évolution des réglementations concernant les produits.
- L’évolution des réglementations concernant le marché du travail (i.e. la « flexibilité »).
- Les effets des taxes pesant sur le travail.
- La disponibilité d’une main-d’œuvre fortement qualifiée.
- Les investissements en recherche et développement.
- Les investissements en techniques de communication et d’information.
- Les infrastructures
Or, que constate-t-on ?
Tout d’abord qu’à moyen terme, les deux mesures qui sont susceptibles d’avoir le plus d’effet à moyen-terme (soit à un horizon de 5 ans) sont les investissements en recherche et développement et les investissements en techniques de communication et d’information. Ils signalent qu’il peut y avoir un effet cumulatif avec les investissements en infrastructures (ce qui se conçoit aisément). Les changements dans la réglementation du marché du travail (et ces changements sont naturellement des mesures de flexibilisation de la main-d’œuvre) ne donnent aucun effet. Plus intéressante encore ; si l’on considère maintenant un horizon de court-terme, soit dans l’étude de moins de trois ans, on constate que les mesures portant sur la flexibilisation et le changement des règles du marché du travail aboutissent à faire baisser la croissance potentielle.
Il faut alors rappeler que l’on défend depuis plus de 15 ans de telles mesures comme devant nécessairement augmenter la productivité et la croissance potentielle. Rappelons qu’en France, telle est l’argumentaire du gouvernement pour faire avaliser par le parlement la trop fameuse « Loi Macron ». Rappelons aussi que c’est l’absence de telles mesures dans le programme de réformes soumis par le gouvernement grec à l’Eurogroupe qui est dénoncé par ce dernier, mais aussi (hélas) par le Premier-ministre français M. Manuel Valls et par le commissaire européen idoine (Pierre Moscovici). Or, si nous suivons le rapport du FMI, nous devons reconnaître que le gouvernement grec a eu raison de ne pas céder sur ce point.
Cela signifie que le discours sur les « réformes structurelles » dans le domaine du marché du travail n’est qu’un discours idéologique et même un modèle, comme celui du FMI, qui reste très imprégné d’économie néo-classique, se révèle incapable de montrer un quelconque effet positif de telles mesures. Ici meurt, sous nos yeux, la deuxième des vaches sacrées du discours économiques tel qu’il est tenu depuis au moins vingt ans. On ne saurait trop remercier les experts du FMI pour l’œuvre de salubrité publique qu’ils ont fait.
Mais on peut craindre qu’au lieu d’aller cacher leur honte (qui devrait être grande) et leur incompétence (qui ne l’est pas moins) les Valls, Macron et Moscovici ne continuent à pérorer et à nous affirmer, avec tout l’aplomb de bonimenteurs de foire (et avec toutes mes excuses pour cette profession) des énormités économiques.
- Source : Jacques Sapir