Un an après, l’improbable disparition du vol MH370 de la Malaysia Airlines
Pourquoi la Malaisie a-t-elle lancé des recherches au mauvais endroit en connaissance de cause ? Pourquoi a-t-il fallu attendre un mois pour que la liste officielle des passagers soit publiée ?
Le Monde a enquêté en profondeur sur la disparition du vol MH370 entre Kuala Lumpur et Pékin, il y a un an. Les questions continuent d’affluer.
Les trois jeunes femmes qui se retrouvent sur les banquettes en Skaï d’un restaurant mexicain de Bangsar Village, une banlieue résidentielle de Kuala Lumpur, la capitale de la Malaisie, se connaissent depuis bientôt un an. Elles se saluent comme de bonnes amies mais ont du mal à sourire. Rien dans la vie ne les aurait réunies si le Boeing 777 de la Malaysia Airlines (MAS) reliant Kuala Lumpur à Pékin, ne s’était volatilisé le samedi 8 mars 2014, emportant dans son mystère les 227 passagers et les 12 membres d’équipage.
Parmi les disparus du vol MH370 se trouvait donc la mère de Grace Subathira, jeune avocate malaisienne qui rejoignait son mari en poste à Pékin, ainsi que le mari de Yuen Ying, un ingénieur qui travaillait pour la société américaine d’aérospatiale Freescale (dont vingt employés se trouvaient à bord) et qui comptait visiter Pékin avec ses collègues avant de commencer une formation professionnelle le lundi. Quant au mari chinois de Kelly Wen Yan, qui faisait de la prospection immobilière en Malaisie, il rentrait chez lui pour le week-end, comme d’habitude, pour retrouver sa femme et sa fille de 3 ans.
Constamment au bord des larmes, Kelly Wen Yan est, comme les autres, outrée de la dernière gaffe de la compagnie Malaysia Airlines. Le 29 janvier, les familles ont été soudain sommées de « regarder la télévision ». De quoi réveiller les espoirs les plus fous et les pires angoisses. Savoir, simplement savoir, est désormais l’unique aspiration des familles. Il s’agissait d’apprendre que la disparition du MH370 était maintenant devenue un « accident ». « Quand ils ont vu que des familles allaient participer à la conférence de presse, ils ont tout annulé. C’est pourtant nous qui aurions dû être prévenus les premiers ! », s’insurgent les jeunes femmes. « Le pire, c’est qu’ils affirment que la disparition est un “accident” sans le moindre nouvel indice pour le justifier ».
La colère des proches
Ce soir de mi-février, les trois jeunes femmes tentent de coordonner l’accueil des familles chinoises. Car en Chine aussi, cette annonce a ranimé la colère des proches, aussi mal traités qu’en Malaisie. Parmi les 227 passagers du Boeing, 152 étaient chinois. Le centre de soutien aux familles mis en place près de l’aéroport est inaccessible par transport public. Les familles chinoises ont interdiction de parler aux médias étrangers et sont ouvertement encouragées à porter plainte contre Malaysia Airlines. Des avocats internationaux ont même été mis gratuitement à leur disposition à cet effet.
Pour le moment, la plupart n’ont que faire d’une compensation, aussi importante soit-elle. « Avec tous les Boeing que la Chine achète, le gouvernement aurait de quoi exiger une enquête digne de ce nom ; pourquoi ne disent-ils rien et nous demandent-ils en plus de nous taire ? », s’insurge l’un d’eux, sous couvert d’anonymat. Une vingtaine de parents des disparus a donc décidé de se rendre à Kuala Lumpur pour exprimer à Malaysia Airlines leur immense frustration. Chacun caresse, encore et toujours, l’espoir d’apprendre quelque chose… Le groupe campe finalement à même le sol devant les bureaux de MAS la nuit de leur arrivée. Une entrevue a lieu le vendredi 13 février avec la MAS, qui n’a rien à ajouter.
Le vendredi 30 janvier, Kelly Wen Yan avait obtenu un rendez-vous avec l’actuel ministre du transport malaisien, Liow Tiong Lai. Il avait promis de lui faire parvenir le lundi suivant l’intégralité des données brutes de la société britannique de satellites Inmarsat. Les familles aimeraient faire expertiser indépendamment ces informations sur lesquelles repose toute l’explication du crash au beau milieu des mers du Sud. Elle s’est fait signifier, mi février, que ces documents ne lui seraient jamais remis.
Savants calculs
Quelles informations « sensibles » seraient enfouies dans ces données satellite et pourquoi celles livrées fin mai 2014 par la Malaisie sous la pression des médias n’étaient-elles pas complètes ? Alors que le tableau d’Inmarsat entraperçu à la télévision comportait 28 colonnes de chiffres, celui finalement rendu public par la Malaisie n’en compte que 9. « S’il n’y avait rien d’intéressant dans les autres colonnes, pourquoi ne pas nous les montrer ? », s’interroge Duncan Steel, astrophysicien britannique, membre de The Independent Group. Ce groupe d’experts bénévoles et passionnés tente de faire parler ces données plus sibyllines que des hiéroglyphes. Il s’agit pour eux de soulager les familles mais aussi de résoudre « le plus grand mystère de l’histoire de l’aviation ».
Ils corrigent, voire reprennent à zéro les analyses d’Inmarsat. Personne n’arrive exactement aux mêmes résultats en fonction des hypothèses et des paramètres liés à la propagation de ces ondes électromagnétiques, entre l’avion qui se déplace à des vitesses et altitudes estimées, le satellite qui oscille sur son orbite à quelque 36 000 kilomètres de la Terre, et la base terrestre située à Perth, en Australie. D’autant que le satellite 3F1 par lequel est passé le signal est à la limite de son cycle de vie et à court de fioul. Son oscillation normale est amplifiée et mal contrôlée…
Depuis l’annonce « finale » du 24 mars 2014 par le Premier ministre malaisien, Najib Razak, selon laquelle l’avion s’était abîmé « au-delà du doute raisonnable » au beau milieu de l’océan Indien, les familles sont censées accepter que leurs proches soient déclarés perdus à jamais sur la simple foi de savants calculs mathématiques, quasi invérifiables, sans que rien de tangible, lambeau de siège ou morceau de carlingue, n’ait apporté un semblant de preuve à cette thèse.
« Absence de preuves »
Beaucoup aimeraient croire ce scénario pour tourner la page. Mais il faudrait leur fournir un peu plus qu’une déclaration du Premier ministre malaisien. Quand le vol Rio-Paris AF 447 et ses 228 passagers ont sombré dans l’océan Atlantique le 1er juin 2009, il a fallu attendre cinq jours pour localiser les premiers débris malgré un positionnement Acars (système de communication et de transmission de l’avion) précis à cinq minutes près. Mais en quelques semaines, 640 morceaux de débris et 50 corps avaient été retrouvés en surface. Il fallut ensuite deux ans pour localiser la carlingue de l’Airbus d’Air France, par 3 950 mètres de fond, et remonter 104 autres corps.
Une grande partie des matériaux de fabrication d’un avion sont conçus pour flotter, à commencer par les sièges. Au mois d’octobre 2014, une vaste campagne de nettoyage de certaines plages de la côte ouest australienne n’a rien donné. Le scénario d’un kiss landing, où le Boeing aurait amerri en douceur et aurait coulé d’un bloc, est jugé improbable. « Absence de preuves n’est pas preuve d’absence », se répètent les chercheurs bénévoles.
Le 8 mars 2014, le vol Kuala Lumpur-Pékin décolle à 0h41, comme tous les jours. Après quarante minutes de vol, l’avion s’apprête à quitter l’espace aérien malaisien pour pénétrer dans le ciel vietnamien. « All right, good night, Malaysia 370″, sont les derniers mots émis du cockpit à 01h21. C’est le jeune copilote qui parle. La voix, détendue, n’a rien de suspect. La procédure voudrait alors que, dans les secondes qui suivent, l’avion se manifeste aux autorités vietnamiennes par un message du type « Ici MH370, bonjour Ho Chi Minh ». Mais cet appel du MH370 ne vient pas.
Première piste : celle du pilote
En revanche, le transpondeur (principal moyen de communication) est éteint 90 secondes après le dernier échange. C’est ensuite le système Acars d’envoi automatique d’informations techniques qui est éteint. Cette procédure n’est même pas enseignée aux pilotes tant elle défie l’entendement. « Il suffit en fait de décliquer les trois modes d’émissions sur le trackpad. Mais personne ne comprend pourquoi il y a moyen de l’éteindre, cela semble injustifiable », nous affirme un pilote de Boeing 777 qui, comme beaucoup, a regardé comment faire depuis. Ces deux gestes à eux seuls (la mise hors de fonction du transpondeur puis du système Acars) éliminent les scénarios de la défaillance technique, du suicide du pilote ou d’une explosion en vol. Ils signent, au contraire, une prise de contrôle de l’appareil avec volonté délibérée de le faire « disparaître ».
Qui est alors aux commandes ? C’est l’une des clés du mystère. « Cet avion est resté sous contrôle jusqu’à la dernière minute », affirme Tim Clark, le patron d’Emirates Airlines, la compagnie aérienne avec la plus vaste flotte de Boeing 777 au monde. C’est la voix la plus autorisée à dénoncer le manque flagrant de transparence dans cette affaire. Contrairement à ce qui a été écrit, pendant les premières semaines, dans la presse malaisienne et anglo-saxonne au sujet du pilote, tentant de lui faire porter la responsabilité de l’événement, rien ne permet de l’accuser.
L’homme n’a rien d’un fanatique. Zaharie Ahmad Shah, 53 ans, 18 000 heures de vol, n’a aucun des problèmes conjugaux qu’on lui a prêtés. Il n’est pas passé, le jour même du vol, au procès d’Anwar Ibrahim, leader de l’opposition dont il est, certes, sympathisant et lointain parent. Rien n’indique qu’il aurait demandé à être affecté sur ce trajet. Quant à son simulateur de vol, qui a beaucoup fait parler de lui, son beau-frère a affirmé dans une interview télévisée qu’il était en panne depuis un an. Selon des fuites de la police malaisienne, le FBI, qui en a pris possession, y aurait trouvé des « données effacées récemment » et des pistes d’atterrissage exotiques et suspectes, dont celle de la très stratégique base militaire américaine sur l’île de Diego Garcia, au cœur de l’océan Indien. Quant au jeune copilote, Fariq Abdul Hamid, 27 ans, 2 760 heures de vol, il ne présente semble-t-il rien de suspect, même s’il a clairement bafoué les règles de sécurité en 2011 en invitant deux jeunes Sud-Africaines dans le cockpit pendant un vol Phuket-Kuala Lumpur.
Deuxième piste : cockpit désactivé
Un autre scénario croît en popularité dans les cercles sérieux qui travaillent sur cette énigme. Depuis les attentats du 11-Septembre, les cockpits sont sécurisés. Mais, aussi ahurissant que cela puisse sembler, le compartiment électrique et électronique (EE bay), cerveau de l’avion situé en dessous de la cabine de première classe, est en « accès libre » à qui en connaît l’emplacement. La vidéo d’un pilote de la compagnie aérienne Varig montrant l’accès au système central d’un 777 (soulever la moquette et lever la trappe) a semé l’effroi parmi les pilotes. Si un équipage pirate prend ainsi la main sur toutes les commandes de l’avion, le cockpit est de facto désactivé, et l’équipage légitime ne peut plus faire quoi que ce soit. Pas même donner l’alerte, puisque le transpondeur a été éteint, « d’en bas ».
Troisième piste : la prise de contrôle à distance
Boeing a en effet déposé en 2006 la technologie nécessaire pour y parvenir. Mais on ne sait ni quels avions en auraient été équipés ni surtout qui l’utiliserait : Boeing ? La compagnie aérienne ? Et, le cas échéant, à quelles fins ?
Alors que l’on ne sait plus rien de ce qui se passe à bord du MH370 à partir du « Good night », à terre, en revanche, c’est le début de longues heures d’un cafouillage tragique. Le logbook (journal de bord) des échanges entre les tours de contrôle de Kuala Lumpur et d’Hô Chi Minh-Ville documente une imposante série de ratés. Hô Chi Minh-Ville attend dix-neuf minutes pour alerter Kuala Lumpur sur l’étrange silence du MH370. Les experts estiment qu’il aurait fallu réagir en trois ou quatre minutes, au plus.
Hô Chi Minh-Ville n’indique qu’à 01h46 à Kuala Lumpur que l’avion a disparu des écrans radar civils, juste après avoir passé la balise Bitod. Les routes aériennes sont couvertes de balises, nommées pour faciliter leur identification. À 02h03, après plusieurs échanges vains entre les contrôleurs des deux pays, la tour de Kuala Lumpur informe ses interlocuteurs vietnamiens que le centre des opérations de la Malaysia Airlines a localisé l’avion… au Cambodge. Bonne nouvelle, bizarre tout de même. Hô Chi Minh-Ville demande des précisions. Une demi-heure plus tard, il est 02h37 : le centre des opérations transmet les coordonnées de la localisation supposée de l’avion à Hô Chi Minh-Ville, qui doute encore.
Tours de contrôles perplexes
Un appel par satellite tenté à 2 h 39 n’aboutit pas. Près d’une heure plus tard, le centre des opérations de Malaysia Airlines corrige son message: la position donnée au-dessus du Cambodge était fondée sur une «projection», qui ne permettait pas de localiser l’avion. Autrement dit, ils n’ont, eux non plus, aucune idée de l’endroit où se trouve le MH370… Cela fait donc déjà deux heures et dix minutes que l’avion a bel et bien disparu entre deux tours de contrôle hésitantes et perplexes. Hô Chi Minh-Ville tente de contacter Haïnan et Hongkong au cas où ils aient vu passer l’avion perdu…
Il faudra attendre encore deux heures, 5 h 30, pour que l’alerte soit lancée. Et à 7 h 24, une heure après l’heure prévue de l’atterrissage à Pékin, MAS publie un communiqué annonçant la «perte de contact avec MH370». On apprendra seize jours plus tard qu’à 2 h 22, l’avion est en fait au nord-est de Sumatra. Il a dévié de sa route de 160 degrés vers l’ouest.
Des semaines plus tard, le ministre malaisien de la défense et des transports, Hishammuddin Hussein, admet enfin clairement que l’aviation civile a prévenu l’armée dans la nuit du 7 au 8 mars et que les radars militaires malaisiens ont vu l’avion faire un quasi demi-tour gauche, survoler la péninsule malaisienne d’est en ouest pendant quarante minutes, passer à la verticale de la base aérienne militaire de Butterworth, sur la côte ouest de la Malaisie, avant de prendre le large vers un nouveau cap. Les radars ont tout vu, mais personne ne regardait les radars…
«Diversion»
La Malaisie n’a pas non plus expliqué pourquoi, alors que l’avion a quitté son territoire par l’ouest, elle a lancé des recherches de grande envergure à l’est, en mer de Chine du Sud, sollicitant notamment l’aide de la Chine, du Vietnam et de la Thaïlande. «S’ils avaient voulu faire diversion pour laisser le temps à cet avion de faire ce qu’il avait à faire, ils n’auraient pas pu s’y prendre autrement!», estime l’Australien Ethan Hunt, membre du comité des familles qui a lancé une campagne de collecte de fonds appelée «Reward MH370» afin de financer une enquête privée.
Au cœur de la nuit du 8 mars, le MH370 n’est plus repérable par aucun radar civil. Duncan Steel a reconstitué la carte de treize radars militaires susceptibles d’avoir vu le Boeing dans une région stratégique: le détroit de Malacca est l’un des axes maritimes les plus denses de la planète. Les États-Unis ont une présence navale et aérienne quasi permanente à Singapour. Après être sorti de la couverture radar de la Malaisie, le MH370 est encore dans la zone d’au moins deux radars indonésiens et d’un radar thaïlandais. Une seule image, de Thaïlande, a été montrée aux familles chinoises le 24 mars 2014, à Pékin. «Toutes les annotations ajoutées par la Malaisie sur l’image radar montrée ce jour-là étaient fausses et comme le projecteur était mal réglé, il manque aussi une partie de l’image», regrette Duncan Steel.
Peu après ce dernier point radar, à 2 h 22, au nord-est de l’Indonésie, l’avion met le cap sur son destin. Si un radar malaisien, indonésien, thaïlandais, voire singapourien, fonctionnait dans la région à cette heure-là, il a des informations sur la direction prise par le MH370. Au sud de Java, l’Australie a des radars sur les îles Cocos et Christmas. Le mutisme des radars de la région est d’autant plus étonnant que la zone venait d’être le théâtre du plus important exercice multinational de défense de la région. L’opération «Cobra Gold» a lieu chaque année. Elle inclut Thaïlande, Etats-Unis, Indonésie, Malaisie, Singapour, Corée du Sud, Japon.
En outre, le 8 mars 2014, la Thaïlande s’apprêtait à accueillir un autre exercice militaire, tripartite cette fois −Etats-Unis, Thaïlande, Singapour −, centré sur la défense aérienne: «Tiger Cope». Pourtant, à l’exception de l’unique image thaïlandaise, aucune autre information sur le MH370 n’émane des radars. «Soit ils n’ont rien vu, et c’est inquiétant; soit ils ont vu quelque chose, qu’ils ne veulent pas ou ne peuvent pas partager, et c’est encore plus inquiétant», résume le Français Ghyslain Wattrelos, qui a perdu sa femme et deux de ses trois enfants dans le vol.
«Toc toc» silencieux
A la mi-septembre 2014 pourtant, le chef de la police indonésienne, le général Sutarman, déclare à l’hebdomadaire Tempo que son alter ego malaisien et lui-même «savent ce qui est arrivé au MH370». L’avocat Matthias Chang, qui fut conseiller politique de l’ex-premier ministre malaisien Mahathir Mohamad, s’étonne que les médias s’acharnent contre son pays. Il refuse de croire que les Etats-Unis ne savent rien. «Qui sur terre a les moyens de tout voir et de tout entendre? Jusqu’aux conversations privées des chefs d’Etat? Pas nous!», lance-t-il.
Son système Acars éteint, l’avion ne transmet plus non plus la moindre information technique qui, relayée par satellite, aurait pu le localiser. Dans le cas du crash de l’AF447 entre Rio et Paris en 2009, c’est la dernière émission Acars qui avait permis de localiser la chute de l’appareil à cinq minutes près. Est-ce donc un détournement parfait, sans traces, qui vient d’avoir lieu? Il reste pourtant un lien extrêmement ténu entre l’avion et le reste du monde. Même s’il n’émet plus, le Boeing reçoit à son insu un «toc toc» silencieux (un «ping», dans le jargon aéronautique), dont le seul écho permet de savoir qu’il est reçu. Ce signal n’a jamais eu pour vocation la localisation de l’avion, mais Inmarsat tente d’approfondir la question et se lance dans des extrapolations mathématiques analysant la durée de transmission et la qualité du signal.
Le 12 mars 2014, la société transmet ses premiers résultats. Ils comportent deux découvertes. D’abord, que l’avion a continué de voler jusqu’à 8 h19. Cela correspondrait à l’épuisement de ses réserves en carburant. Ensuite, qu’il a circulé sur un arc, soit vers le nord jusqu’au Kazakhstan, soit vers le sud jusqu’au milieu des mers du Sud. Après quelques jours de démentis vigoureux, le 15 mars, le premier ministre, Najib Razak, entérine finalement les analyses d’Inmarsat. Puis, le 24 mars, grâce à une nouvelle série de calculs «jamais tentés auparavant», c’est la piste sud qui est retenue.
L’attention du monde entier se déplace alors vers l’océan Indien. L’Australie prend la main sur ce qui devient la plus vaste opération de «secours et de recherches» de tous les temps, avec le soutien de Boeing, des bureaux britanniques et américains spécialisés AAIB et NTSB, d’Inmarsat et de Thales. A elle seule, la Chine met à contribution 21 satellites, 19 navires, 13 avions et 2 500 militaires et experts.
L’Australie «très confiante»
A plusieurs reprises, des déclarations hâtives suscitent de faux espoirs. Le 20 mars 2014, le premier ministre australien, Tony Abbott, parle d’«informations nouvelles et crédibles». Raté. Le 11 avril, le même se déclare «très confiant» dans le fait que la boîte noire du MH370 a été repérée. Encore raté. Le 19 avril, le ministre de la défense et des transports malaisien affirme que les prochaines 48 heures seront «cruciales». Et puis plus rien. Au fil des semaines, la formidable mission australienne menace de virer au fiasco. Les recherches changent de secteur. La zone recommandée par le Groupe indépendant finit par être examinée. Rien. Toujours pas la moindre trace au fond de l’océan du Boeing 777.
Le doute commence à se répandre même parmi les plus rationnels. Mais si l’avion n’est pas au fond de l’océan Indien, où est-il? Pour certains, il ne s’agit plus d’affiner des calculs déjà suraffinés, mais bien de remettre en cause la démarche tout entière. Se peut-il qu’une partie des données Inmarsat aient été trafiquées? C’est la thèse du journaliste américain Jeff Wise qui vient de publier un livre numérique The Plane That Was not There («L’avion qui n’était pas là»). Il propose un scénario dans lequel les «vraies fausses» informations d’Inmarsat ne sont là que pour faire diversion, alors que les vrais coupables sont les deux Ukrainiens et le Russe qui étaient assis à l’avant de l’avion et dont les passeports sont les seuls à ne pas avoir été vérifiés par leurs autorités nationales respectives. Le Groupe indépendant a immédiatement exclu Jeff Wise.
Parmi les familles, l’échec des recherches sous-marines et l’absence de débris alourdissent le climat de défiance vis-à-vis de Malaysia Airlines et du gouvernement malaisien, né des incohérences et des mensonges des premières heures. Des dizaines de questions continuent de tarauder les familles. Pourquoi la Malaisie a-t-elle lancé des recherches au mauvais endroit en connaissance de cause? Pourquoi a-t-il fallu attendre un mois pour que la liste officielle des passagers soit publiée? Pourquoi l’aviation civile a-t-elle mentionné quatre faux passeports à bord, et Malaysia Airlines deux faux passeports? Pourquoi a-t-il fallu attendre plusieurs mois pour qu’une liste incomplète du contenu des soutes soit publiée? Pour le MH17 (abattu en Ukraine le 17 juillet 2014), cette liste a été publiée le lendemain de l’accident. L’avion est-il vraiment monté à 45 000 pieds pendant vingt-trois minutes comme tant de «sources ayant vu les données radars de la Malaisie» l’ont affirmé? Nos propres sources affirment le contraire…
Une phrase hante certains membres des familles chinoises: «C’est très compliqué. Vous ne pouvez pas comprendre», leur aurait dit, sans doute à bout d’arguments, l’ambassadeur de Chine en Malaisie, Huang Huikang, au début de la crise. Un an plus tard, c’est toujours aussi compliqué. Et on ne peut toujours pas comprendre.
- Source : Florence de Changy