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Rouble: la hausse à venir

Auteur : Jacques Sapir | Editeur : Walt | Dimanche, 01 Mars 2015 - 23h13

La question se pose désormais, après les événements du mois de décembre dernier et la crise spéculative qui est survenue, de savoir jusqu’où le Rouble remontera d’ici la fin de l’année 2015. L’existence de tendances haussières sur le marché des changes commence à s’affirmer. Elles vont s’amplifier avec la fin du printemps et le début de l’été. Il convient donc de se poser la question de quel sera le point d’équilibre du Rouble et quels pourraient en être les conséquences sur l’économie russe.

Un mouvement prévisible

Après s’être fortement déprécié depuis la fin du mois d’octobre 2014 et jusqu’à fin décembre, le rouble a commencé à se reprendre. Il est revenu vers un taux de 61 roubles pour1 Dollar (USD). Les facteurs qui permettent de penser que ce mouvement va se continuer d’ici la fin du printemps et le début de l’été sont nombreux.

On peut ainsi compter sur :

1- La hausse des prix du pétrole. Le mouvement de baisse semble désormais arrêté. On peut s’attendre à ce que les prix remontent dès le début de cet été, pour atteindre, vers le mois de novembre 2015, entre 70 USD et 80 USD le baril. Pour ce prix, le taux d’équilibre du Rouble se situerait entre 41,5-47,5 roubles pour 1 USD.

2- La baisse des paiements (remboursements d’emprunts) en dollars. Cette baisse, va diminuer la demande de dollars sur le marché de Moscou.

3- L’adaptation de l’économie russe au régime des sanctions financières décidé par les Etats-Unis qui va se traduire par une moindre demande de dollars.

Ces facteurs vont peser à la hausse et l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que le rouble revienne dans la bande de 45-55 roubles pour 1 dollar, en fonction des différents paramètres de l’économie, tant dans le domaine « réel » (le prix du pétrole) que dans le domaine financier.

Quel niveau d’équilibre ?

Il faut alors se poser la question de savoir quel pourrait être le niveau d’équilibre du Rouble, compte tenu à la fois des déterminants financiers internes ET de la contrainte de compétitivité qui pèse sur l’industrie russe.

Un rouble fortement déprécié favorise le développement de l’industrie, et plus généralement de l’économie, comme on a pu le constater durant l’année 2014 où l’indice de la production industrielle s’est fortement redressé au fur et à mesure que le rouble, lui, se dépréciait.

Mais, cette dépréciation a aussi alimenté une forte inflation, qui devrait atteindre, en glissement annuel (ou taux exprimé en pourcentage du même mois de l’année précédente) de 13% à 14% dans le premier semestre 2015. L’important est alors le taux de change réel (RER) et non plus le taux nominal. Si l’on tient compte que, d’après les calculs réalisés au CEMI, le taux de change était surévalué d’environ 15% en décembre 2013, et compte tenu de l’inflation (ou plus précisément de l’écart d’inflation) entre la Russie et ses principaux partenaires commerciaux, on devrait aboutir à un taux, après compensation de la surévaluation initiale, d’environ 41 roubles pour 1 dollar au 1er juillet 2015, progressant vers les 43 roubles pour 1 dollar vers la fin de 2015.

Cependant, il faut aussi tenir compte des taux d’intérêts qui sont actuellement très élevés. Les taux d’intérêts pratiqués par la BCE détruisent en effet les éléments de substitution à l’import qui existaient. la Banque centrale sera la principale responsable du désastre économique qui malheureusement s’annonce. Les taux sur les prêts à l’agriculture pratiqués par les banques commerciales, en référence aux taux de la BCR, sont au minimum de 25% et plus proches de 35%. Les sociétés de leasing, y compris para-publiques comme la Rosselkhoz, sont en train de rapatrier massivement le matériel agricole au moindre défaut de paiement. Il en résulte que les producteurs agricoles ne peuvent acheter les semences et entretenir leur matériel. Beaucoup sont en défaut depuis l’an dernier. On parle déjà de 40% de baisse des ensemencements alors que la saison ne fait que commencer. Bien entendu, une aide d’urgence de la part de l’Etat a été décidée. Mais, cette aide est complexe à mettre en œuvre (du fait des problèmes d’antagonismes inter-bureaucratiques existants au sein de l’administration russe). Une hausse du rouble permettrait aux entreprises de se financer en devises avec un taux d’intérêt effectif bien moins important. Une entreprise empruntant des devises (même à une banque russe) peut supporter des taux de 35% si elle voit le pouvoir d’achat du rouble en devises s’apprécier de, disons 25% à 30%. L’inflation (qui accroit le pouvoir d’achat nominal de l’entreprise) compensant la différence.

Il y a donc une logique financière (mais qui est importante pour les entreprises industrielles) qui voudraient que le rouble s’apprécie (et de 61 roubles pour 1 dollar à 42 roubles l’appréciation serait de 45%). Mais, en sens inverse, il y a une logique de compétitivité pour que le rouble reste en deçà de la limite des 45 roubles pour 1 dollar.

L’Etat, maître du jeu ?

On constate alors que si techniquement le rouble pourrait revenir entre 40-45 roubles pour 1 dollar d’ici la fin de l’année (tout dépendant de la vigueur de la reprise des prix du pétrole), il est politiquement préférable de maintenir le taux de change autour de 50 roubles pour 1 dollar, afin d’éviter un phénomène de surévaluation du rouble.

L’Etat peut compenser les forts taux d’intérêts, soit en prêtant lui même (à partir des deux fonds souverains dont la Russie dispose et dont les montants cumulés sont d’environ 180 milliards de dollars) soit en « bonifiant » les taux d’intérêts levés par les banques. L’Etat prend à se charge une partie des intérêts et ramène le taux d’intérêt réellement payé par l’entreprise (ou le particulier) à peu de choses près au niveau de l’inflation. C’est cette dernière technique, efficace mais coûteuse pour le budget de l’Etat, qui a été historiquement utilisée en France jusqu’à la fin des années 1980.

Il faut aussi noter que une future appréciation du rouble va se traduire par une forte réduction de l’inflation importée. Ce qui est avantageux pour les ménages mais désavantageux pour l’Etat dont les recettes (les impôts directs et indirects) augmentent en fonction de l’inflation. Il serait donc logique que le gouvernement opte pour une appréciation modérée du rouble (le ramenant par exemple entre 55 et 50 roubles pour 1 dollar) mais n’exploite pas tout le potentiel d’appréciation du rouble. Néanmoins, d’autres facteurs seront certainement pris en compte, et en particulier la dimension politique d’une forte appréciation de la devise russe qui pourrait s’avérer utile pour la partie de la population dont la consommation dépend le plus des produits importés. De ce point de vue, il faut comprendre que ce facteur pèsera d’autant plus que la popularité de Poutine et du gouvernement s’érodera. Ce n’est pas le cas pour l’instant, mais nul ne peut dire comment évoluera la situation d’ici à la fin du printemps.

Au total, il est clair que l’on va observer une appréciation du rouble dès la fin du printemps 2015, le taux de change pouvant – dans l’état actuel des prévisions quant au prix du pétrole – aller de 55 roubles à 42 roubles pour un dollar. Cette appréciation aura aussi des conséquences sur les marchés d’actifs boursiers. Il est probable qu’en mars et avril 2015 on verra des achats massifs se produire sur des valeurs stables (les industries pétrolières, métallurgiques, chimiques et mécaniques) avec l’objectif de profiter de l’appréciation du rouble qui se produira à partir de mai-juillet 2015. Il reste à déterminer quelle est la part « flottante » des actions de ces sociétés, car il semble que l’Etat ait racheté des quantités relativement importantes de fin octobre à fin décembre. Si cette part flottante est relativement importante, on devrait assister à une forte hausse des cours ainsi qu’à de nouvelles pressions haussières sur le rouble.


- Source : Jacques Sapir

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