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Action et réaction...

Auteur : Jacques Sapir | Editeur : Walt | Dimanche, 01 Févr. 2015 - 01h52

Le vendredi 30 janvier, la Banque Centrale de Russie a décidé de baisser son taux directeur à 15% contre 17% auparavant. Le rouble s'est immédiatement déprécié, passant la barre symbolique des 70r/1usd. Il est pourtant clair que cette mesure a été réfléchie et qu'elle témoigne du choix du gouvernement de privilégier l'économie sur la situation financière. Cette mesure pourrait cependant annoncer un réel basculement dans la politique économique et financière de la Russie.

Une mesure symbolique.

Le gouvernement et les autorités monétaires avaient augmenté très brutalement le taux directeur de la BCE, le passant de 10,5% à 17% le 16 décembre à 1h00 du matin, dans l’espoir de casser la spéculation contre le rouble qui s’était déclenchée depuis quelques jours. Cette mesure avait été inefficace. La spéculation fut bien cassée mais non par l’arme des taux. Ce sont des interventions puissantes de la Banque Centrale, appuyées sur un accord avec la Banque Centrale de la République Populaire de Chine, qui ont déclenchées une contre-spéculation, où des traders ont perdu beaucoup d’argent.

Mais, le taux de 17% posait un véritable problème pour l’économie de la Russie. De fait, il rendait impossible à financer des activités économiques pourtant en plein développement. Cette politique a un coût. Si ces taux devaient s’inscrire dans la durée, ils étrangleraient l’économie russe et en particulier l’investissement. Aussi pouvait-on se poser la question du sens politique de cette mesure. Dans une situation où le marché des changes reste très nerveux et où la confiance des opérateurs n’est pas revenue, la meilleure solution pour la Russie consisterait en réalité à introduire rapidement des mesures réglementaires de contrôle des capitaux. Mais, jusqu’à présente les autorités se refusaient à considérer cette option. Pourtant, si l’engagement du Ministère des Finances et de la Banque Centrale au profit du rouble devait se poursuivre dans le cours du mois de janvier, il faudrait alors reconsidérer sérieusement les différentes options possibles et le contrôle des capitaux en premier lieu.

Il est par ailleurs évident que la Russie ne peut continuer à se financer à l’étranger, en comptant sur l’ampleur de ses exportations de matières premières pour équilibrer ses comptes. En effet les pressions politiques exercées par les Etats-Unis que ces pressions soient directes (sanctions financières) ou par pressions sur les agences de notation (comme dans le cas de Standard and Poors) visent explicitement à rendre de plus en plus coûteux le recours aux marchés financiers. C’est donc dans ce cadre qu’il faut aussi considérer la décision qui vient d’être annoncée. Il n’est pas impossible que cette décision soit en réalité la réponse de la Russie à la dégradation de sa note.

Le sens de cette baisse des taux.

On peut penser qu’une baisse de 200 points de base (2%) à partir du niveau que l’on avait atteint (17%) est une baisse symbolique. C’est oublier que pour les entreprises, c’est le taux d’intérêts REEL qui compte. Avec 15% cela établi le taux d’intérêt réel (diminué de l’inflation qui a été de 11,5% en 2014) à 3,5% alors qu’il était auparavant de 5,5%. En fait, l’inflation atteignant 13,5% en janvier (mais devant revenir vers les 11,5% pour le reste de 2015) , on peut même considérer qu’en instantané cela porte le taux d’intérêt réel à 1,5%. La baisse est significative et pourrait permettre aux entreprises russes de se retourner vers des sources internes de financement. Par ailleurs, si l’on y ajoute des « bonifications » de taux portant sur 200 à 300 points de base (2 à 3%) que pourrait mettre en œuvre le Ministère des Finances, on arriverait à des taux réels compris entre 1,5% et 0,5%. Ces taux seraient extrêmement favorables au développement de l’économie et ils permettraient au processus de substitution aux importations de continuer à se mettre en œuvre, tirant d’autant plus la croissance du pays.

On peut d’ores et déjà tirer les leçons suivantes :

- Il ne semble plus raisonnable de dire que la BCR ait un « objectif d’inflation ». Elle vient, dans les faits, de passer directement sous l’influence de l’administration présidentielle qui est bien plus préoccupée par l’économie que par tout autre facteur. La présidente de la BCR, Mme Elvira Nabiulina a déclaré dans un e-mail où elle annonçait cette baisse des taux « Cutting the rate by two percentage points will provide an opportunity to jumpstart lending to the real economy » (Baisser le taux de deux pourcent fournit une opportunité de redémarrer les crédits à l’économie réelle). C’est exact, mais cela signifie un tournant dans la politique économique. On peut aussi lier cela à la nomination de Dmitry Tulin comme vice-Président de la BCR.

- La question se pose néanmoins des mesures qui pourront être prises pour stabiliser la baisse du rouble et éviter de nouvelles paniques. En renonçant à user de l’arme des taux, le gouvernement et l’administration présidentielle redonnent vie à l’hypothèse d’un contrôle des capitaux, peut-être « discret » par des mesures administratives ou des contacts avec les dirigeants des grandes entreprises. Le pouvoir politique en effet ne manque pas d’arguments dans des négociations avec les grandes entreprises exportatrices. Le fait que le service des douanes, qui vérifie aussi les mouvements de capitaux, soit repassé sous la coupe du FSB est un argument en ce sens.

- Il convient de voir si cette baisse surprise des taux sera poursuivie, et si de nouvelles mesures seront annoncées d’ici la fin de février.

- Il faut alors se poser la question de savoir quelles seront les mesures qui pourraient être prises et par qui. Cette baisse surprise pourrait bien annoncer un retournement de la politique financière du gouvernement au profit d’un plus grand interventionnisme et d’une « mobilisation » de l’économie. Jusqu’à quel point ceci est une réponse à la dégradation de la note de la Russie par Standard & Poors est une question ouvertement posée. Le gouvernement russe se prépare-t-il à faire fonctionner l’économie uniquement sur des bases financières russes ? Il en a les moyens quant on regarde les sommes accumulées, amis aussi les flux à venir. Il faut se souvenir que l’excédent de la balance commerciale est d’environ 10 milliards de dollars par mois (soit 120 milliards pour un an). Si tel est le cas, alors la baisse à 15% est logique, mais devrait aussi entraîner une coupure progressive des principaux circuits de financements avec les pays du bloc occidental.

La Banque Centrale de Russie et le Ministère des Finances apparaissaient en ce début d’année comme les principaux obstacles mis à une diversification de l’économie russe et les principaux facteurs de récession. La mesure annoncée change la donne radicalement. Il n’en reste pas moins évident qu’il faut réfléchir à une nouvelle logique de croissance, ce qui avait été évoquée il y  a plus d’un an. Tout, ici, dépend de l’action du gouvernement. Il importe à cet égard de bien comprendre qu’il ne s’agit plus de mesures provisoires, dictées par une crise momentanée, mais de mesures qui doivent aboutir au pivotement du modèle de croissance de la Russie. L’activité de transformation des matières premières russes doit devenir progressivement plus importante. Tel est l’enjeu du débat actuel sur la politique économique, dont on a eu un écho lors de la 48ème sessions du Séminaire Franco-Russe qui s’est tenue à Sotchi du 18 au 24 janvier dernier.


- Source : Jacques Sapir

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