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Mardi, 26 Nov. 2024

Une employée licenciée nous dévoile les entrailles de la Fed

Auteur : Marc Garrigasait | Editeur : Walt | Dimanche, 30 Nov. 2014 - 20h30

Carmen Segarra était une spécialiste de la Réserve fédérale (Fed) de New-York pour les aspects légaux et le respect des normes. Son travail consistait à réviser et contrôler les banques quant à la légalité des opérations réalisées. Une grande partie du travail de la Fed de New-York concerne, évidemment, l’analyse de la grande banque d’investissement. Dans leurs bureaux de New-York, Goldman Sachs, JP Morgan, Morgan Stanley ou Merril Lynch créent une grande partie de leurs produits sur mesure pour d’autres institutions financières, entreprises ou organismes. À cette fin, la Fed de ladite ville a embauché Carmen Segarra, historienne sortie de Harvard et avocate ayant étudié à la Sorbonne à Paris, et à l’Université Cornell.

Carmen parle quatre langues et a travaillé durant treize ans dans le secteur financier, à la Bank Of America, Citigroup et la Société Générale à New-York. Elle a, de plus, travaillé comme cadre supérieur auprès de l’Association nationale des avocats hispaniques. En juin 2011, elle a été embauchée par la Fed de New-York où, durant un an, elle s’est assurée du respect des normes légales chez Goldman Sachs. De son profil LinkedIn, on peut déduire qu’elle a travaillé sur site, c’est-à-dire physiquement dans les bureaux de Goldman. La Fed a engagé des experts légaux pour préparer les changements normatifs de la nouvelle loi Dodd-Frank et mieux contrôler les banques appelées « too big to fail ».

Carmen a eu l’audace d’affronter Goldman Sachs et la Fed et a été licenciée sept mois à peine après son engagement, en 2012. Tout semble indiquer qu’elle mettait continuellement ses chefs dans l’embarras, en dénonçant de manière continue le non-respect répété, selon elle, de la législation par Goldman Sachs, en particulier en ce qui concerne les conflits d’intérêts. Elle a été licenciée pour avoir refusé d’adoucir le ton d’un rapport sévère sur les conflits d’intérêts au sein de la banque.

Dans une interview accordée à Propublica.org, on lui pose la question essentielle : la banque est-elle remplie de conflits d’intérêts ? Ce à quoi elle répond « malheureusement, oui ». Carmen déclare que la Fed ne manque pas de moyens, mais que « les problèmes sont le manque de colonne vertébrale, de transparence, de rigueur et de persévérance, pas de moyens ».

Après son renvoi, elle a porté plainte contre la Fed et, lors du jugement, la surprise a été d’apprendre que Carmen Segarra avait enregistré ses supérieurs lors de ses discussions au sujet de Goldman. Les enregistrements ont été publiés dans Propublica.org. Segarra a enregistré 48 heures de réunions et de conversations avec ses supérieurs et collègues de la Fed de New-York. Dans ces enregistrements, on peut vérifier comment la culture existante au sein de la Fed reflète l’aversion à affronter quelqu’un d’aussi puissant que peut l’être Goldman.

Segarra était devenu un problème pour ses chefs, en premier lieu, à cause de ses rapports sur Goldman et, en second lieu, pour ses opinions agressives à l’encontre du fonctionnement de la supervision au sein de la Fed de New-York. Dans ces enregistrements, on peut entendre comment l’affrontement définitif avec son supérieur a été probablement la clé de son licenciement. Lors d’une réunion tendue de 40 minutes enregistrée lors de la semaine précédant son renvoi, le chef de Segarra essayait à plusieurs reprises de la convaincre de changer sa conclusion selon laquelle Goldman manque à la politique des conflits d’intérêts. Segarra proposait que les plus hauts responsables de la Fed de New-York examinent son rapport et qu’elle accepterait de le révoquer s’ils ne l’avalisaient pas. Son supérieur, Michael Silva, a empêché ce rapport de circuler au sein de la Fed.

Un des points conflictuels que défendait Segarra était une opération entre Goldman Sachs et Banco Santander où la banque cantabre « parquait » une partie de ses actions Banco Santander Brasil, qui restait Goldman, ce qui réduisait les besoins de capitaux de Santander, pour les racheter une autre fois plus tard. Segarra ne considérait pas cette opération valide. Sans être illégale, une opération de vente avec accord de rachat entre Goldman et Santander était une opération évidemment artificielle qui réduisait la solvabilité de Santander.

Après la crise de 2008, où les banques centrales elles-mêmes ont reconnu a posteriori que le système bancaire avait été au bord de l’effondrement, et suite aux pressions du congrès, la Fed a chargé le professeur de la Columbia David Beim de faire une enquête sur le fonctionnement de la Fed, sans aucune restriction en échange de ne pas la rendre publique, et ses conclusions ont surpris jusqu’à ce dernier. Le grand obstacle pour améliorer la supervision bancaire était la culture même de l’institution. Ses salariés étaient devenus trop frileux face au risque et montraient une attitude excessivement déférente envers les grandes banques. Les décisions se prenaient sous forme de consensus, ce qui entretenait une attitude conservatrice et d’évitement de grands affrontements. Beim a proposé que la Fed engage des experts qui n’auraient pas les craintes des salariés et que, de plus, elle les encourage à communiquer leurs points de vue avec l’objectif de modifier la culture existante.

Cette culture parmi les grands régulateurs a sans doute été également déterminante dans le cas Madoff alors qu’un expert financier avait alerté à plusieurs reprises la SEC de la fraude pyramidale, sans qu’on en fasse aucun cas.

La Fed a commencé à engager des experts externes, parmi ceux-ci Carmen Segarra, qui a été renvoyée après sept mois.

Bien sûr, Carmen Segarra n’est pas d’origine espagnole, mais hispanique, de Porto Rico.


- Source : Marc Garrigasait

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