Traité transatlantique : c’est plus grave encore que ce qu’on pensait (Vidéo)
Traité transatlantique : pire que prévu ?
Secrets and lies, c'est le titre d'un admirable film de Mike Leigh. Secrets et mensonges, c'est aussi la pratique constante des responsables européens et de la plupart de nos dirigeants en France lorsqu'ils évoquent leur projet de Traité transatlantique ou Tafta.
On savait déjà bien des choses sur les méga-risques liés à ce méga-traité négocié dans l'opacité la plus totale. Je les avais explicitées notamment dans ce billet d'avril dernier : Le grand marché transatlantique en deux pages.
Le secret favorise le mensonge et le mensonge a besoin du secret. Mais peu à peu, nous aussi nous découvrons le pot aux roses. Et il s'avère pire que ce que j'écrivais il y a six mois. Je m'appuie en partie sur un texte de Raoul-Marc Jennar de septembre 2014 dont le titre est : « Le GMT/TAFTA : pas amendable ! ». Je commence par quelques-uns des mensonges, avant d'en venir au pire.
Mensonges : des exemples parmi d'autres
On nous a dit par exemple que, grâce à l'intervention française, la défense et la culture ont été exclues du champ de la négociation. Pour la défense, l'argument est stupide : en vertu de l'article 20 du GATT, les industries d'armement et les questions de défense sont exclues du champ d'application de tout traite de ce type, ce qui est rappelé à l'article 12 du mandat de négociation. La France n'y est pour rien.
S'agissant de « la culture », seul l'audiovisuel (art. 21 du mandat) est exclu, et seulement provisoirement car l'article 42 permet à la Commission d'introduire ultérieurement devant le conseil des ministres tout sujet n'ayant pas fait l'objet du mandat ! Quant aux théâtres, opéras, bibliothèques, musées, archives... ils tombent bien sous le coup du mandat actuel.
On nous dit : « il n'est pas question d'appliquer les normes environnementales ou agricoles américaines en France ». Mais le mandat de négociation exige (art. 25) que « les mesures de chaque côté se fondent sur la science et sur les normes internationales d'évaluation scientifique des risques ». C'est précisément l'argument américain : il faut des preuves scientifiques (et surtout pas cet horrible principe de précaution) pour imposer des interdictions en matière sanitaire ou phytosanitaire. Or, les dirigeants américains considèrent qu'il n'y a pas de justification scientifique pour interdire les OGM, le bœuf aux hormones, le poulet chloré, le porc à la ractopamine...
Nos élus nous ont dit : « nous exercerons notre devoir de vigilance et notre pouvoir d'influence tout au long des négociations ». Or, les Parlements nationaux sont exclus de toute information ou association à la négociation ! Et la Commission européenne informe avec réticence et parcimonie un nombre limité de parlementaires européens.
C'est pire que ce qu'on croyait
On observe à gauche la tendance suivante : si nous parvenons à bloquer ce qu'il y a de plus indéfendable, nous pourrions signer un accord amendé, réduit et acceptable. Ils pensent principalement à cet abcès de fixation en effet purulent qu'est le mécanisme privé de « règlement des différends », lequel, selon le mandat de négociation, se substituerait aux juridictions officielles pour juger d'un conflit entre firmes privées et pouvoirs publics. Ils pensent aussi aux services publics ou à la préservation de certaines normes sociales, environnementales, sanitaires et techniques en vigueur en France ou en Europe. Ils constatent que, déjà, la question du règlement des différends semble devoir être refusée par l'Allemagne voire par de nombreux élus étasuniens et qu'elle a donc du plomb dans l'aile.
Pourtant, je crois sincèrement, comme Raoul-Marc Jennar, que, s'agissant de ce traité, entrer dans la voie des amendements, c'est tomber dans un piège. Un piège fort bien représenté par les articles 43 et 45 du mandat européen de négociation (j'y ajoute l'article 42, que j'ai cité plus haut).
Car avant le mécanisme de règlement des différends figurant à l'article 45, les rédacteurs ont prévu le piège de l'article 43 que voici : « L'Accord mettra en place une structure institutionnelle en vue de garantir un suivi efficace des engagements découlant de l'Accord ainsi que pour promouvoir la réalisation progressive de la compatibilité des régimes réglementaires ». Jennar en propose l'interprétation suivante, que je crois réaliste dans l'état actuel des informations disponibles :
« Cette « structure institutionnelle » qui chapeautera donc les deux entités (UE et États-Unis) pour veiller au respect du traité, aura également pour tâche de « promouvoir la réalisation progressive de la compatibilité des régimes réglementaires ». En clair, et cette interprétation est confirmée par la Commission européenne, cette « structure institutionnelle » (dont on ignore qui la composera et qui la contrôlera) poursuivra les negociations en matiere de compatibilité des réglementations sur les sujets qui n'auront pas fait l'objet d'un accord au terme de la negociation actuellement en cours... Les négociateurs européens ont donné un nom à cette structure : un « conseil de coopération réglementaire »... [Ah, la « coopération » mise au service du dumping concurrentiel, quelle belle chose !]
Si on ajoute le fait que la commission européenne propose que les résultats de ces négociations ultérieures ne soient plus soumis aux états membres, on peut en conclure deux choses :
- ce « conseil de coopération réglementaire » est en fait une institution supranationale dotée de pouvoirs législatifs contraignants ;
- aucune garantie qu'on ne touchera pas à tel secteur ou à telle matière n'aura de caractère durable et ne peut donc être prise au sérieux. » Fin de citation (extraits)
Je commente à titre personnel : rien ne dit que cette proposition passera la barre du Parlement européen ou des Parlements nationaux (s'ils sont consultés, ce qui est loin d'être acquis, c'est un autre enjeu). Mais il est clair que les risques de contournement des instances élues liés à cet article dont presque personne ne parle (cela va venir) ne sont pas moindres que ceux qui concernent l'arbitrage privé des différends, la mise à bas de normes de qualité sociale et environnementales, la suppression ou la forte baisse des droits de douane pour l'agriculture et divers autres secteurs menacés.
Si vous voyez quelque chose à sauver dans ce projet, dites-le. Sinon il faut vraiment qu'il soit rejeté en bloc. Contrairement à ce qu'écrivent certains qui ont tendance à vendre la peau d'un ours dont ils devraient savoir qu'il est agressif et qu'il a plus d'un tour dans son sac, c'est loin d'être gagné, même si cela semble désormais possible. Il va falloir pendant des mois encore faire jouer « l'effet Dracula », comme pour les traités semblables que « nous » avons repoussés : l'AMI, l'ACTA, l'AGCS. Non seulement il ne faut pas relâcher la pression, mais il faut l'accentuer.
Je n'ai parlé dans ce billet que du traité transatlantique, sans doute le plus gros morceau pour les mois à venir. Mais les projet d'accords de « libre-échange » avec le Canada (CETA), ou sur les services (TISA, le retour en force de l'AGCS) doivent être combattus en même temps et avec la même détermination. J'y ajoute les APE (accords dits de partenariat économique entre l'UE et l'Afrique subsaharienne et plus généralement la zone ACP, mais aussi avec d'autres pays du monde). J'ai déjà évoqué ces derniers, qui sont typiquement des projets de domination néocoloniale, mais j'y reviendrai bientôt.
- Source : Frédéric MetaTV