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Austérité ?

Auteur : Jacques Sapir | Editeur : Walt | Dimanche, 05 Oct. 2014 - 22h52

La dernière note de conjoncture de l'INSEE insiste sur l'atonie de la croissance en France. C'est un constat, et il n'est pas discutable.

Cette atonie peut être liée à des politiques dites « d'austérité » qui ont été mises en place depuis 2010. Mais, sur ce point, le débat est beaucoup plus important. Certains, et non des moindres, contestent même le qualificatif « d'austérité » au prétexte que les déficits publics continueraient de croître.

Ce point est indiscutable. Mais peut-on en inférer une absence de - octobre / Économie, Crise économique, UMPSCe point est indiscutable. Mais peut-on en inférer une absence de l’austérité ? Car, si les déficits se maintiennent et s’amplifient, ils n’ont pas eu toujours le même sens, et ils ne reflètent pas les mêmes politiques. En fait, cette question pose le problème de savoir à quoi sert la croissance à un moment donné. On propose alors de distinguer les situations suivantes dans l’économie :

1- Une situation d’expansion de la consommation, qui se traduirait par le fait que celle-ci croîtrait plus vite que le PIB, auquel cas on pourrait dire que « le pays vit au-dessus de ses moyens ».

2- Une situation ou l’investissement croît plus vite que le PIB (qu’il s’agisse de l’investissement des ménages, c’est à dire le logement, de celui des entreprises non-financières ou des administrations publiques). Dans ce cas on peut parler de « surchauffe » de l’économie, ce qui peut être plus ou moins justifié (par exemple dans le cas ou l’investissement a été très faible dans les années précédentes, ou si existent des besoins collectifs impliquant un fort effort d’investissement des administrations publiques).

3- Une situation ou le PIB s’accroît plus vite que la consommation et l’investissement, ce qui correspond à la définition rigoureuse d’une politique d’austérité.

On applique cette méthodologie dans le cas de la France tout d’abord aux statistiques de ces trente dernières années (1984-2014), puis on regarde plus particulièrement l’évolution depuis la crise de 2008 (crise financière internationale dite « des subprimes »).

I. Un contexte austéritaire de longue période.

Un premier constat s’impose si l’on regarde les trente dernières années, c’est que la France a vécu plutôt sobrement. La croissance du PIB a été plus rapide que celle de la consommation, et en particulier la consommation des ménages. On constate d’ailleurs que les consommations collectives (consommation totale-consommation des ménages) ont en particulier permis la stabilisation de la consommation de 1992 à 1994.

Ce n’est que pendant la crise financière, en 2008 et 2009, qu’il y a eu une relance délibérée par la consommation. Mais, ce mouvement s’est arrêté dès 2010 et l’écart entre le PIB et la consommation des ménages n’a cessé de croître depuis 2010.

Il est ainsi faux de prétendre que les français vivraient « au-dessus de leurs moyens ». On constate plutôt, que ce soit sous des gouvernements de droite comme de gauche, que la consommation reste modérée.

Mais, il est intéressant de constater que l’on peut faire un constat assez différent si l’on regarde l’investissement, à l’exception notable de l’investissement des ménages (FBCF des ménages).

En fait, en début de période (1984-1990) la FBCF des ménages est largement au-dessus du PIB. Elle tombe avec la crise immobilière de 1991, mais elle voit alors sa contraction compensée par un investissement très important des administrations publiques.

En fait, de 1986 à 1992, les administrations publiques vont fortement accroître leurs investissements. Il en va de même pour les entreprises qui, partie de très bas en 1984, accroissent aussi fortement leurs investissements.

Tout se passe comme si l’économie française consacrait alors une part importante de ses ressources à l’investissement. C’est une France de « fourmis » et non de « cigales » que l’on observe alors.

Par contre, de 1992 à 1997, l’investissement croit moins vite que le PIB.

A nouveau, de 1997 à 2000 on assiste à une forte poussée de l’investissement, qu’il s’agisse des entreprises ou des ménages. Mais, alors que les ménages vont continuer leurs efforts après 2000, l’investissement des entreprises retombe et ne redémarrera qu’en 2007, pour une période courte car ce mouvement sera cassé par la crise.

Par contre, on voit que la FBCF des ménages s’accroit bien plus vite que la PIB de 2002 à 2007. Cela correspond à une situation particulière dans l’immobilier, qui a été créés à l’aide de déductions fiscales.

Fondamentalement, l’investissement n’a pas été sacrifié sur longue période, même si l’on observe des mouvements de compensations entre l’investissement des entreprises, celui des ménages et celui des administrations publiques. Par contre, il est significatif que l’introduction de l’Euro (fin 1999) ait entrainé une forte chute de l’investissement des entreprises.

Globalement, de même que ‘on ne peut pas dire que les français aient « vécu au-dessus de leurs moyens », on ne peut pas dire non plus, sauf en début de période, qu’ils aient faits des efforts extraordinaires pour l’investissement.

II. La situation actuelle.

La crise financière a été combattue par le gouvernement de François Fillon et de Nicolas Sarkozy par une politique relativement agressive de grands travaux (investissements des administrations publiques) et un soutien à la consommation. Mais, à partir de 2010, le changement de politique est très net. On voit l’investissement des administrations publiques chuter (résultats d’une austérité budgétaire), celui des ménages s’effondrer aussi, tandis que l’investissement des entreprises, après une reprise qui dure 18 mois environ stagne, voire décroît à partir de 2013.

Ceci traduit une politique d’austérité budgétaire évidente. Si l’on combine ce résultat à l’évolution de la consommation, et en particulier de la consommation des ménages à la même époque, on est bien dans un cadre général d’austérité. En fait, dans un contexte européen déprimé, avec une crise sérieuse en Espagne et en Italie, la politique budgétaire du gouvernement français aurait dû être expansive. Mais, on sait que cela aurait entraîné des problèmes de compétitivité encore plus graves que ceux auxquels nous faisons face.

En réalité, c’est ici que nous mesurons le drame du cadre de l’Euro. Sans l’Euro, la France pourrait pratiquer une politique de relance tout en dépréciant sa monnaie par rapport à l’Allemagne et aux pays de la zone Dollar. Cette relance se ferait à compétitivité constante voire croissante vis-à-vis de ces pays, mais elle aurait donné le surplus de demande dont l’Italie et l’Espagne avait (et ont) besoin.

C’est donc en réalité le cadre contraignant de l’Euro qui oblige les pays de la zone d’imiter non pas les conditions structurelles de l’Allemagne mais les symptômes apparents. De fait, la politique de l’Allemagne visant à obtenir un fort excédent courant, dans un cadre international de faible croissance, s’avère profondément destructrice pour ses voisins.

Nous sommes dans une situation analogue à celle de la fin des années 1920 et du début des années 1930 quand certains pays étaient prisonniers de l’étalon-Or. L’Euro a les mêmes effets macroéconomiques que ce dernier. On sait que la solution fut une sortie, en ordre dispersé, de l’étalon-Or.

De ce point de vue, les politiques de « super-austérité » qui sont prônées par des hommes politiques comme François Fillon et, dans une moindre mesure, Alain Juppé, sont l’équivalent de la politique de Pierre Laval.

Mais, la politique actuelle du gouvernement n’est qu’une variante « molle » de cette même politique.

Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que la croissance soit atone, avec les conséquences évidentes sur le déficit budgétaire et la dette publique, mais aussi en termes de chômage de masse.

L’impasse politique dans laquelle le gouvernement s’est lui-même enfermé, comme un grand et sans l’aide de personne, risque d’aboutir à relativement court terme à une explosion sociale et des ruptures politiques majeures.

Les forces politiques qui auront le courage de sortir de l’Euro en tireront tout le bénéfice politique, tout comme ce fut le cas pour les forces politiques qui eurent le courage de liquider l’étalon-Or, et cela ne sera que justice.


- Source : Jacques Sapir

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