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Les taux négatifs, le nouveau tour du magicien Draghi au service du système monétaire américain

Auteur : C&F | Editeur : Walt | Mercredi, 10 Sept. 2014 - 13h31

La décision du président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, le 4 septembre dernier, de faire passer l'Europe en taux négatifs , risque d'avoir des conséquences bien plus importantes que ce qui est perçu actuellement. Et cela pour une raison très simple : sans le vouloir, il a sans doute signé la fin de l'ère du capitalisme financier, au sens strict du terme, car la rémunération du système financier tourne désormais à l'escroquerie la plus évidente, au détriment des contribuables de tous les États européens.

Le capitalisme financier ne se justifie que par la rentabilité de ce capital. Les monnaies alternatives ou locales, qui se sont érigées dans des pays comme la Suisse (système Wir ou autres monnaies locales), ont en général cette particularité, qu’elles perdent de leur valeur avec le temps ou qu’elles ne sont pas rémunérées. Du coup, les gens ont tendance à ne pas les conserver et à les faire circuler rapidement (théorie de la vitesse de circulation de la monnaie). Grâce à cela, la monnaie en question retrouve sa qualité de moyen d’échange et elle n’est plus une fin en soi. La thésaurisation devient alors contre-productive : les excès de monnaie se réinvestissent donc spontanément dans l’économie réelle, dans la production de biens et services.

La décision de Mario Draghi a surtout pour but de soutenir le dollar

En apparence le dollar se porte bien, car il monte par rapport à l’euro. Mais on oublié que cela ne se fait que grâce aux interventions des banques, selon un mécanisme classique de soutien. En effet, en accroissant le différentiel de taux d’intérêt entre le dollar et l’euro, la rémunération d’un placement en dollars devient plus attrayante pour les capitaux qui circulent que ne l’est la rémunération des placements en euros. J’ai toujours pensé que, vu sa construction imbécile, fragilisante et destructrice pour les pays de la zone, Allemagne exceptée, l’euro n’était que la variable d’ajustement de la politique monétaire américaine, et c’est particulièrement vrai depuis le début de l’été 2014, alors que le dollar perd de sa puissance au niveau planétaire, comme nous l’expliquons plus loin dans le présent article. En somme, si Mario Draghi a pris cette décision, ce n’est certainement pas pour mettre fin à un capitalisme financier débridé et criminel…

Le système monétaire américain fonctionne en circuit fermé

En ce sens, Mario Draghi, une fois de plus, en bon soldat de Goldman Sachs (dont il a été Vice-président pour l’Europe entre 2002 et 2005), ne fait rien d’autre que d’exécuter les consignes données par les banques américaines, qui se trouvent être les actionnaires de la Réserve fédérale des États-Unis (FED). En rendant peu attractifs les placements financiers en Europe, il espère sans doute que les capitaux vont se diriger d’urgence vers le territoire nord-américain, attirés par ces différentiels de taux, faisant ainsi revenir vers les banques américaines des liquidités qui leur manquent cruellement. Cela devrait ainsi permettre à ces banques américaines de continuer à acheter les émissions obligataires du Trésor Américain, lesquelles ne trouvent plus preneur sur les marchés étrangers. Le système américain fonctionne désormais totalement en circuit fermé.

La politique de la France se fait maintenant à la corbeille

Pour un pays, il y a trois moyens d’asseoir sa puissance : son armée, son économie et sa monnaie. Le pouvoir d’un État sur son territoire (le pouvoir régalien) lui permet en principe de faire en sorte que le politique ne soit pas soumis à la finance, mais que la finance reste un soutien à l’économie, en suivant les stratégies décidées par le politique. C’est le fameux « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille » de Charles de Gaulle.

La Russie et la Chine ont parfaitement compris tout cela. Elles n’ont pas fait la même folie que les pays européens de céder leur pouvoir régalien à des banques privées, dans un processus initié par la France en 1973, via la loi Pompidou-Rotschild. Cette loi a ensuite a été reprise dans l’article 123 du Traité de Lisbonne, qui a rendu les États européens dépendants du système bancaire européen, la Banque centrale européenne (BCE) n’ayant pas le droit de leur acheter directement leur dette (ce que l’on appelle la monétisation directe).

Si la BCE n’était pas ce qu’elle est, grâce aux taux négatifs, l’État pourrait rembourser moins que ce qu’il a emprunté !

Avouez qu’aujourd’hui, si la BCE pouvait acheter directement les obligations émises par l’État français à taux négatif, la dette de la France serait très vite résorbée et les économies recherchées par le gouvernement immédiatement trouvées, puisque le budget des intérêts financiers dus aux détenteurs de sa dette, donc versés par l’État français, représente son premier poste budgétaire de dépenses ; l’État pourrait même rembourser MOINS que ce qu’il a emprunté !

Les BRICS prennent le large et le dollar perd de sa superbe

Le 17 Juillet dernier, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont décidé de monter un système financier parallèle au système occidental actuel : le Système de protection des réserves monétaires (Contingent Reserve Arrangement alias CRA), avec une banque devant se substituer au Fonds monétaire international (FMI), de manière à se protéger des variations monétaires déstabilisantes et de l’hégémonie du dollar. La Chine a déjà monté une banque d’investissement de ce type. Le Fond monétaire Africain vient de se créer. La Russie est en train d’annoncer la création d’un système de paiement indépendant du système « occidental », se libérant ainsi de l’influence du réseau Swift. Rappelons que le réseau Swift a été utilisé par les Américains à plusieurs reprises comme une arme géopolitique pour exclure des pays (l’Iran, le Vatican…), leur rendant ainsi très difficile toute transaction internationale. Ces différents pays ont également annoncé leur intention de cesser leurs transactions en dollars.

Dans ce contexte monétaire explosif, le dollar perd de sa superbe, et risque d’en perdre encore plus sil perd le statut essentiel de référent pour les transactions internationales. En effet, la cotation des matières premières en dollars oblige les pays ayant besoin de ces ressources, énergétiques en particulier, à détenir des réserves en dollars en abondance.

La guerre, partout et toujours, pour résoudre les problèmes monétaires

Les Américains ont toujours résolu leurs problèmes monétaires par des guerres exportées en dehors de leur territoire. Là, ils se trouvent confrontés à une double problématique : la fin du statut du dollar comme monnaie étalon et la fin du contrôle de la production énergétique, avec en particulier les cotations du gaz et du pétrole en dollar. Sous ce prisme, on comprend mieux ce qui se passe en Ukraine ou au Proche-Orient. Le contrôle par les États-Unis des productions de ces pays garantit qu’elles vont continuer à être cotées en dollars. L’Amérique évite ainsi le scénario catastrophe que nous venons de décrire, où les réserves en dollars des pays qui n’en auront plus besoin disparaîtraient. Israël et le gouvernement de Kiev jouent ainsi le même rôle de protection des intérêts américains, le premier dans la riche zone du Proche-Orient, le second par son rôle prépondérant de vecteur de transmission de ces énergies (via les gazoducs), ainsi que par la richesse de ses sous-sols.

Grâce à cette politique monétaire en circuit fermé, les banques américaines s’enrichissent sur le dos du contribuable

Comme nous l’avons expliqué plus haut, le gros problème actuel des Américains est qu’ils fonctionnent totalement en circuit fermé, les USA n’arrivant plus à placer leurs émissions obligataires sur les marchés étrangers. Dans ce contexte, la FED crée de la monnaie pour les banques privées (qui sont de plus ses propres actionnaires), ces dernières prêtant ces créations avec marge… à l’État américain.

Cela n’a de sens que s’il y a un risque pour les banques, la justification du taux d’intérêt étant la rémunération du risque. Dans la mesure où ce risque n’existe plus, puisque l’État lui-même contre-garantit les banques prêteuses, ce taux devient donc un enrichissement sans cause, une spoliation totale du contribuable américain. Cette notion d’enrichissement sans cause devrait d’ailleurs être développée et discutée ouvertement, car elle fait référence à des notions philosophiques et religieuses. Ces notions sont à mon avis plus éclairantes que les idéologies économiques du XIXe siècle pour analyser notre société actuelle et son régime de dette. Mais ce n’est pas l’objet de ce billet.

Redonner le pouvoir régalien au peuple et autoriser la puissance publique à créer de la monnaie

Concernant les taux, la même démarche s’applique totalement à l’Europe, si ce n’est que les banques européennes ne sont pas actionnaires de la BCE. Aujourd’hui, à l’heure où la BCE a décidé que les taux négatifs sont la solution pour les pays européens, il apparaitrait logique et cohérent que s’ensuive la monétisation directe de la BCE aux États, leur permettant ainsi, grâce à ces taux négatifs, de faire baisser leur dette, et ainsi de réaliser des économies budgétaires extrêmement importantes.

Un tel scénario supposerait que le pouvoir régalien autorise la puissance publique à créer de la monnaie, donc implicitement que le pouvoir régalien soit rendu au peuple, pour qu’à nouveau, le politique puisse reprendre la main sur le financier et non être soumis à une caste d’intérêts privés, qui n’ont que faire de l’intérêt général, et qui n’agissent qu’en fonction des désidérata de leurs actionnaires. En effet, dans le contexte actuel, quand un État émet des obligations, dont la vente sera assortie d’intérêts financiers, celui qui achète ces obligations s’enrichit sans justification : il obtient de l’argent à taux négatif et il spolie de façon inique la population de cet État, elle qui aura à en payer le prix !

Le dernier tour de passe-passe du magicien Draghi avec ses taux négatifs doit IMPÉRATIVEMENT OBLIGER les hommes et femmes politiques européens à choisir leur camp. Accepteront-ils que cette mesure profite uniquement aux intérêts financiers et au système monétaire européen, comme tous les tours de baguette magique précédents ? Ou bien exigeront-ils que cette nouvelle baisse des taux soit pour une fois utile aux peuples européens eux-mêmes, en faisant baisser la dette des États ? Afin que la dernière formule en date de notre président « Aller plus loin, plus vite et plus fort dans le redressement du pays : telle est notre ambition, tel est notre défi. Notre pays, notre économie, notre société, ont plus que jamais besoin de la mobilisation de tous ! » ne soit pas qu’un slogan politique de plus.


- Source : C&F

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