Bruxelles VIII : Pots-de-vin européens pour la rétention des déplacés syriens hors de leur pays
Le site de la Commission européenne a informé le monde assoiffé d’empathie et de compassion que « la huitième conférence de Bruxelles renouvelle l’aide internationale en faveur de la Syrie et des pays de la région en récoltant plus de 7,5 milliards d’euros ». Il a ajouté que cet engagement « témoigne une fois de plus de la volonté de l’UE et de la communauté internationale d’atténuer les conséquences de la crise syrienne et de soutenir les populations tant en Syrie que dans les pays voisins » [1].
Néanmoins, cette aide n’est clairement et obligatoirement destinée qu’aux déplacés syriens qui resteront dans les pays voisins et, vraisemblablement, aux déplacés rendus dans les régions syriennes occupées par les États-Unis d’Amérique ou la Turquie via leurs proxys respectifs, séparatistes et/ou terroristes. Une option dite réaliste par le chef de la diplomatie européenne qui a déclaré : « Nous convenons avec les Nations unies que les conditions ne sont actuellement pas réunies pour des retours sûrs, volontaires et dignes en Syrie… Nous insistons sur le fait que c’est au régime de Bachar al-Assad qu’il incombe d’instaurer ces conditions » [2]. Et ce, évidemment, en acceptant l’application de la résolution 2254 (2015), laquelle avalise l’instauration d’une instance de gouvernement provisoire acquis à l’Occident, chose que ni M. Borell ni ses alliés n’ont pu instaurer malgré une guerre sans merci qui dure depuis treize longues années.
Et, une fois de plus, Bruxelles avait réuni un monde fou pour en discuter et en décider, mais en l’absence de représentants des premiers concernés : le gouvernement syrien et ses institutions légitimes [3].
Par conséquent, il faut admettre que rien n’a changé depuis que l’ex-représentant de la Syrie auprès des Nations Unies, le Dr Bachar al-Jaafari, a déclaré que les conférences de Bruxelles ne sont que pure propagande [4], et que l’Union européenne est une partie du problème plutôt qu’une partie de la solution, ajoutant qu’« il est ironique de la voir imposer des mesures économiques coercitives unilatérales criminelles contre le peuple syrien et de clamer, en même temps, sa détermination et son engagement à aider ce même peuple syrien » [5].
Mais laissons la parole à la journaliste libanaise, Mme Sonia Rizk, qui a intitulé son article : « Le Liban a tiré la sonnette d’alarme à Bruxelles… et l’Union européenne a ‘’arrangé’’ le dossier des déplacés avec des pots-de-vin ».
Mouna Alno-Nakhal
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Alors que les yeux des Libanais étaient tournés vers la huitième édition de la Conférence de Bruxelles, tenue le 27 mai dernier, ce qui était attendu s’est produit.
L’Union européenne s’est engagée à verser plus de deux milliards d’euros pour soutenir les Syriens déplacés dans les pays de la région et, en même temps, s’est opposée à tout retour possible dans leur pays, considérant que les conditions d’un retour sûr et volontaire ne sont pas réunies. En tout cas, c’est ce qui a été clairement exprimé par le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, lequel a également déclaré :
« Notre engagement ne peut pas se limiter à des promesses financières, et nous devons redoubler d’efforts pour trouver une solution politique au conflit, qui soutienne les aspirations du peuple syrien à un avenir pacifique et démocratique ».
C’est là une position qui avait été fortement exprimée en juillet 2023, le Parlement européen ayant voté à une écrasante majorité une résolution soutenant le maintien des déplacés syriens au Liban. Entretemps, l’Union européenne avait manifesté une certaine compréhension de la situation et de ses répercussions accumulées sur le Liban depuis 2011. Néanmoins, ces derniers jours ont prouvé que cette dernière Conférence de Bruxelles est conforme à l’adage qui dit « La neige a fondu et la prairie est dévoilée », vu que la dernière phrase prononcée signifiait que le Liban doit se conformer à la décision de l’Union européenne, comme si la tutelle occidentale sur le pays était revenue ; mais, cette fois-ci, par la porte européenne [6].
Autrement dit, l’Union européenne, qui agit dans son propre intérêt et tente d’échapper aux conséquences de ses actes, a décidé que le Liban doit encaisser l’argent et garder les Syriens déplacés sur son territoire, point à la ligne. Ce faisant, comme d’habitude, elle met le Liban face à la tempête, en dépit de son plan d’action limpide destiné à organiser le dossier des déplacés syriens dans la région.
Un plan qui invite à la coordination entre les différents ministères et agences compétentes du pays, parallèlement à la formation d’un comité dirigé par le vice-Premier ministre libanais et plusieurs de ses ministres, afin de discuter du dossier avec Damas, en plus de la coordination avec la Jordanie, l’Égypte et l’Irak visant à adopter un plan unifié en liaison avec le gouvernement syrien, comme l’a indiqué le Premier ministre intérimaire, Najib Mikati, le mardi 28 mai.
Cette contradiction entre les positions libanaise et européenne ne laisse présager rien de bon. Par conséquent, face à cette situation, l’inquiétude est de mise et le tableau reste sombre, car une telle directive n’est pas née d’aujourd’hui. En réalité, de tels messages internationaux se sont succédé depuis 2016, et les plans inavoués visant à maintenir les déplacés syriens au Liban se sont poursuivis, tandis que le gouvernement intérimaire libanais était occupé par les conflits entre ses ministres sur l’identité de celui qui dirigera la délégation ministérielle en Syrie.
En d’autres termes, le traitement de ce dossier n’est pas sérieux et la corruption joue toujours son rôle politique au Liban, étant donné que les devises fortes ouvrent toujours l’appétit de certains responsables et que la communauté européenne le sait bien. C’est pourquoi, elle prétend se préoccuper de l’avenir des déplacés aux dépens du Liban, alors que la seule chose importante à ses yeux est que les déplacés ne rejoignent ses territoires, par terre ou par mer [7]. Par conséquent, les intérêts particuliers jouent parfaitement leur rôle, pendant que les « grands » jouent avec le sort du Liban qui paie toujours les factures politiques d’autrui.
Pourtant, à Bruxelles, le Liban a tiré la sonnette d’alarme par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, lequel a signifié que le Liban avait atteint un point de non-retour et que la poursuite du financement des déplacés « là où ils se trouvent » constitue un danger pour les pays voisins de la Syrie. Il a appelé à une révision des politiques des pays donateurs et a souligné que l’explosion libanaise, si elle se produisait, aurait aussi des répercussions sur l’Europe.
C’est pourquoi, il se dit que cette fois-ci la position du Liban sera ferme, et qu’il insistera auprès des responsables européens sur la nécessité de prendre en compte les mesures pratiques prises, depuis plus d’un an, par son Conseil des ministres et ses services de sécurité ; des mesures justifiées par l’intitulé : « Le Liban est un pays de transit et non un pays d’asile ». Un intitulé qui implique que l’aide financière soit accordée à ceux qui retournent en Syrie et non à ceux qui se trouvent au Liban, le refus absolu de lier le retour des déplacés à une solution politique de la crise syrienne, et la levée des sanctions imposées à la Syrie par l’abrogation de la « loi César ».
Il n’empêche que nombreux sont les Libanais qui n’espèrent aucun changement de la position européenne et de son scénario fin prêt pour la région. C’est pourquoi, la majorité des partis politiques opposés au maintien des déplacés syriens au Liban considère que le concours de pays arabes est nécessaire via les efforts de la Jordanie, de l’Egypte et de l’Irak, afin d’aider le Liban à résoudre cette crise. Sinon, le Liban ne pourra plus s’en sortir, conformément aux observateurs bien informés sur le dossier en question.
Lesquels observateurs, bien informés, affirment que l’Occident s’est habitué aux positions prises par certains piliers du pouvoir libanais ; c’est-à-dire : accepter de l’argent en échange de la résolution de problèmes en suspens, même si cela se fait aux dépens du pays et de ses habitants.
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
Notes :
[1] La huitième conférence de Bruxelles renouvelle l’aide internationale en faveur de la Syrie et des pays de la région en récoltant plus de 7,5 milliards d’euros
https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_24_2843
[2] L’UE promet plus de 2 milliards d’euros pour les réfugiés syriens
[3] Un monde fou en l’absence des représentants légitimes du gouvernement syrien. Voir la liste des participants ici :
https://www.eeas.europa.eu/eeas/syria-brussels-viii-conference-2024_en
[4] Syrie : Les conférences de Bruxelles ne sont que pure propagande…
[5] Syrie / L’Union européenne est désormais une partie du problème plutôt qu’une partie de la solution
[6] Résolution du Parlement européen du 12 juillet 2023: déclaration d’un mandat colonial sur le Liban?
[7]Accord UE-Liban pour empêcher le départ de réfugiés syriens vers Chypre
« L’Union européenne va allouer 1 milliard d’euros à Beyrouth en échange d’une coopération des autorités libanaises dans la lutte contre l’immigration clandestine vers l’Europe ».
L'auteur, Sonia Rizk, est une journaliste libanaise, actuellement rédactrice d’articles et d’analyses politiques pour le quotidien libanais Addiyar et le site web Lebtalks.
- Source : Addiyar (Liban)