Guerres économiques mondiales - La cession du pôle énergie d’Alstom à General Electric

Partie 3 - La cession du pôle énergie d’Alstom à General Electric (GE)
En quelques mois, Frédéric Pierucci est passé brutalement de la direction de la filiale « chaudière » d’Alstom à celui de détenu soumis à des conditions drastiques de la vie carcérale états-unienne.
Il a été notamment responsable mondial des ventes pour la division des « Centrales Vapeurs », en charge de la négociation des grands contrats internationaux pour la fourniture de centrales électriques au charbon clef en main et des ilots conventionnels de centrales nucléaires.
Jusqu’à la mi-2013, il dirigeait depuis Singapour le business « Chaudières » (ALSTOM Boilers) représentant 1,4 M€ de CA et 4 000 employés.
Arrêté sans ménagement par le FBI en avril 2013 à l’aéroport JFK de New York et immédiatement mis à l’isolement pour violation des règles du Foreign Corrupt Pactrices Act (FCPA), pour une affaire de corruption en Indonésie remontant au début des années 2000, son arrestation intervient un an avant l’annonce du rachat éclair de la branche énergie d’Alstom par GE au printemps 2014, le tout sous fond d’extraterritorialité du droit US.
Selon Frédéric Pierucci, les poursuites US sont bien à l’origine de la décomposition d’Alstom et notamment de la vente des turbines Arabelle fabriquées à Belfort (Ces machines représentent la moitié du marché mondial, face à celles des concurrents comme Mitsubishi ou Siemens). Convaincu qu’il n’a rien à se reprocher, d’autant qu’il avait été blanchi par une enquête interne d’Alstom, le dirigeant au départ croit à une libération rapide, mais il réalise ultérieurement que la justice US vise en fait la direction générale d’Alstom.
Pour échapper aux procureurs états-uniens, vendre au groupe US General Electric (GE) l’ensemble des activités énergies d’Alstom que les USA convoitaient depuis des années paraissait peut-être la solution aux yeux de l’ancien patron d’Alstom, Patrick Kron, même s’il se défend de toute pression sur lui dans cette opération.
Cette vente a été réalisée officiellement sans la moindre réflexion stratégique de la part de l’État français, non seulement sur le plan industriel, mais également sur le plan de l’indépendance nationale. Toutefois, à la suite d’une indiscrétion de David Azéma, directeur de l’Agence des participations de l’État (APE) au moment des faits, on apprend l’existence d’un rapport réalisé dès la fin de 2012 sur l’avenir d’Alstom. Ce rapport avait été demandé dans le plus grand secret, à l’initiative d’Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Élysée, qui s’était emparé du dossier dès son arrivée au pouvoir. L’APE s’était exécuté et avait passé commande au cabinet A.T. Kearney. L’objet de ce rapport était clair : étudier les scénarios permettant à Bouygues, principal actionnaire d’Alstom, de se désengager. Le rapport recommandait une scission d’Alstom : les actifs d’énergie devant être vendus à GE et le ferroviaire à Siemens. En fait, beaucoup de monde est alors intéressé au démantèlement d’Alstom : des banquiers d’affaires, avocats, responsables de communication,… sont impliqués dans le dossier. Une commission d’enquête est alors lancée.
Mais, une chose frappe le président de la commission d’enquête, Olivier Marleix, c’est l’étrange similitude entre les conseils dans cette affaire et la liste des grands donateurs pour la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. On y retrouve bien évidemment un certain nombre de banquiers de la maison Rothschild, venus en soutien de leur ancien associé, mais aussi des avocats d’affaires, des conseillers, d’autres banquiers d’affaires, des communicants.
S’il est évident que la décision d’Emmanuel Macron d’autoriser cette cession a conduit à une perte de souveraineté française sur un secteur stratégique, le choix de GE était également mauvais. En effet, lors de la vente, GE n’était alors plus le conglomérat industriel glorieux qu’il a été mais un fonds d’investissement industriel agissant en lien étroit avec le gouvernement américain. La division la plus importante de GE au début des années 2000 était GE Capital. Cette filiale a participé au scandale financier des subprimes – pour lequel le groupe a payé une amende de 1,5 milliard de dollars aux États-Unis en 2019 – dont la bulle a lourdement endetté le groupe.
Dès le printemps 2021, le ministre français de l'Économie Bruno Le Maire annonce toutefois chercher « une solution française pour les turbines Arabelle », afin de « sécuriser cet actif unique, les compétences qui vont avec et qui sont indispensables à notre avenir énergétique ». Les turbines sont une pièce essentielle de la centrale nucléaire : la vapeur générée par les réacteurs fait tourner la turbine, entraînant l'alternateur qui produit l'électricité
Le 10 février 2022, EDF signe un accord d'exclusivité pour le rachat d'une partie de l'activité nucléaire de GE Steam Power, dont les turbines à vapeur Arabelle. L'accord définitif de cession de la branche nucléaire de GE à EDF sera signé en novembre 2022, en pleine renationalisation de l'énergéticien français.
Le rachat par EDF des activités nucléaires de General Electric (GE) a enfin été finalisé le 31 mai 2024. L'opération porte sur les équipements d'îlots conventionnels de GE Steam Power pour les nouvelles centrales nucléaires - dont les turbines Arabelle, ainsi que sur la maintenance et les mises à niveau des centrales nucléaires existantes.
Toutefois, la branche nucléaire qui revient sous pavillon français a été singulièrement américanisée. Comme l’a rapporté Marianne, l’État s’est rendu compte que GE avait remplacé le contrôle commande historique d’Alstom (nommé ALSPA) par son propre contrôle commande (Mark) pour assurer la supervision de la turbine par l’opérateur. EDF n’a pas découvert cette information à l’occasion de ces négociations puisque l’entreprise française achète des turbines Arabelle pour ses projets d’EPR en France et à l’étranger. Dès lors, EDF a déjà accepté d’être livrée de turbines Arabelle avec le contrôle commande propriétaire de GE. Peut-être est-il aujourd’hui plus performant qu’ALSPA, mais GE a-t-il suffisamment investi pour le maintenir au plus haut niveau d’excellence ? En tout état de cause, EDF et l’État ont accepté que les turbines Arabelle soient opérées par un logiciel dont le brevet est américain et dont les évolutions seront assurées par GE. Ainsi, les États-Unis disposent d’un levier d’influence sur les nouveaux EPR français et devront valider chaque projet d’exportation français.
Les autres activités de la branche énergie de GE en France (hydraulique, éolien, réseaux électriques et gaz) ont quant à elles été complètement sacrifiées par le gouvernement français. La lecture de la presse locale et nationale rappelle la casse sociale et la destruction des compétences opérées par GE partout en France, dans la branche gaz, dans l’éolien en mer, les réseaux électriques et les activités support. Il n’y a plus de production de turbines hydrauliques en France depuis 2019.
Partie 4 à venir
Parties 1 : L’explosion des Nord Streams et la crise financière de 2008
Partie 2 : la déstabilisation d'Atos
- Source : France-Soir