L’intervention américaine en Iran vue de Russie

Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères :
Le vice-président américain Jay D. Vance : « La Russie et la Chine ne veulent pas que l’Iran se dote de l’arme nucléaire. » Il a ajouté que la prolifération nucléaire au Moyen-Orient serait « une catastrophe pour tous ».
Premièrement, la Russie et la Chine ne veulent aucune ingérence des États-Unis dans leurs affaires intérieures, sous quelque forme que ce soit. Et tous ceux qui font des déclarations au nom de nos deux pays, mais sans mandat de leur part, feraient bien de commencer par là.
Par exemple, ne pas fournir de missiles meurtriers au régime terroriste de Kiev, ne pas militariser Taïwan, etc.
Deuxièmement, la Russie et la Chine s’expriment elles-mêmes : les déclarations correspondantes sur l’agression d’Israël et des États-Unis ont été publiées par les ministères des Affaires étrangères des deux pays.
Troisièmement, la Russie et la Chine estiment que l’Iran (comme tout autre pays) peut et doit déterminer lui-même sa stratégie de développement de l’énergie nucléaire conformément au droit international, en particulier au TNP [Traité de non-prolifération, NDLR], et que les autres États peuvent également fonder leur position à cet égard sur le droit international.
Quatrièmement, l’Iran a développé l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, ce à quoi il a pleinement droit, et n’a pas fabriqué d’armes nucléaires, ce qui a été confirmé à plusieurs reprises tant par Téhéran que par l’AIEA.
Cinquièmement, un peu d’histoire. L’idée d’un Moyen-Orient exempt d’armes nucléaires a peut-être été évoquée pour la toute première fois dans une déclaration de l’agence de presse soviétique, qui était alors la voix officielle de Moscou, le 22 janvier 1958 : « Le Proche et le Moyen-Orient doivent et peuvent devenir une zone de paix, où il n’y a pas et ne doit pas y avoir d’armes nucléaires et de missiles, une zone de bon voisinage et de coopération amicale entre les États. »
En 1974, l’Iran, qui subit aujourd’hui les frappes d’Israël et des États-Unis, a lancé un débat sur ce sujet à l’Assemblée générale des Nations unies, qui s’est conclu par l’adoption de la résolution « Création d’une zone exempte d’armes nucléaires dans la région du Moyen-Orient ». 128 pays ont voté « pour », dont l’Union soviétique et les États-Unis. Israël s’est abstenu.
L’URSS/Russie s’est systématiquement prononcée en faveur de la création d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient.
À l’heure actuelle, le seul État de la région à posséder l’arme nucléaire est Israël, qui ignore systématiquement les initiatives visant à créer une zone exempte d’armes nucléaires au Proche-Orient et qui, désormais, bombarde conjointement avec les États-Unis l’Iran, qui ne possède pas l’arme nucléaire.
Alors, que voulait dire M. Vance ?
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Dmitri Medvedev, ancien président et vice-président de la fédération de Russie, actuel vice-président du Conseil de sécurité de Russie :
Qu’ont obtenu les Américains en frappant trois cibles en Iran au cours de la nuit ?
L’infrastructure critique du cycle nucléaire iranien ne semble pas avoir été touchée ou seulement légèrement endommagée.
L’enrichissement nucléaire – et maintenant, on peut le dire ouvertement, la production future d’armes nucléaires – se poursuivra.
Plusieurs pays sont prêts à fournir directement à l’Iran leurs propres arsenaux nucléaires.
Israël est attaqué, des explosions secouent le pays, les gens paniquent.
Les États-Unis sont désormais empêtrés dans un nouveau conflit, avec la possibilité réelle d’une opération terrestre.
Le régime politique iranien reste intact et, selon toute vraisemblance, il n’a fait que se renforcer.
La population se rallie à la direction spirituelle, y compris ceux qui étaient auparavant peu sympathiques.
Trump, qui est entré en fonction en tant que président de la paix, vient de déclencher une nouvelle guerre pour l’Amérique.
La grande majorité du monde s’oppose aux actions d’Israël et des États-Unis.
Avec de tels « succès », M. Trump peut dire adieu au prix Nobel de la paix, même si le processus de nomination est devenu très corrompu. Un excellent début, Monsieur le Président. Félicitations !
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Après la déclaration de la diplomate Maria Zakharova, et celle de Medvedev, plus « cowboy du far-east », il n’est pas inutile de pointer ce que ces deux éminents membres de l’administration russe ne peuvent dire de par leurs fonctions, et qui va dans une autre direction.
L’intervention américaine en Iran, que l’on a pu d’abord ressentir comme une trahison des engagements premiers de Donald Trump et un alignement sur Israël, peut aussi être vue sous un autre angle.
D’abord, le renseignement satellitaire permet de voir des mouvements autour des points touchés bien avant qu’ils ne le soient, indiquant une probable évacuation des sites. Ce qui implique que le pouvoir iranien se doutait d’une telle opération américaine, voire qu’il en avait été prévenu.
En outre, comme l’a souligné Sylvain Ferreira, Trump affirme dans sa conférence de presse que les États-Unis ont anéanti le programme nucléaire iranien. Plutôt que se focaliser sur une apparente forfanterie, inhérente à la personnalité fantasque du président américain, il serait plutôt juste de souligner que, ce faisant, il affirme que la raison de l’entrée en guerre d’Israël contre « le régime des mollahs » est désormais caduque. L’entrée des États-Unis de Trump dans ce conflit (actif) naissant à coups de grosses bombes afin de permettre à la paix de revenir ressemblerait ainsi à ces bombes que l’on lance sur les incendies : en consommant tout l’oxygène, elles privent l’incendie de son comburant et y mettent un terme aussi rapide que… spectaculaire.
- Source : E&R