www.zejournal.mobi
Mercredi, 30 Avr. 2025

La diplomatie de Trump gagne du terrain et fait taire les sceptiques

Auteur : M.K. Bhadrakumar | Editeur : Walt | Mercredi, 30 Avr. 2025 - 13h50

Le président américain Donald Trump est un solitaire sur la scène internationale et un praticien avoué de la maxime absolue du Premier ministre Narendra Modi selon laquelle notre époque n’est pas une ère de guerres, quel que soit le « casus belli ». Il se fixe des critères élevés et s’expose aux attaques des faiseurs d’opinion va-t-en-guerre dans son pays, bien qu’il soit un nationaliste convaincu qui place les intérêts américains au premier plan, quelle que soit leur légitimité.

Les membres du cabinet Trump ne souscrivent pas nécessairement à sa ligne de conduite, comme le suggère la remarque au vitriol et intrusive de la directrice du renseignement national des États-Unis, Tulsi Gabbard, concernant les tensions en cascade dans les relations entre l’Inde et le Pakistan.

Ce qui est étonnant dans l’état d’esprit de Trump, c’est qu’il est aussi un homme de convictions. Peu de gens savent ou choisissent de se rappeler que cette personne extraordinaire, des décennies avant de se lancer dans la politique américaine et de se lancer dans la course à la présidence en tant qu’outsider, avait payé au New York Times la somme princière de 98 000 dollars de sa poche (d’homme d’affaires) pour publier un supplément d’une page à l’aube de la présidence de Ronald Reagan, vantant les charmes cachés d’une détente avec l’Union soviétique et proposant ses services en tant qu’envoyé spécial chargé de cette tâche.

Les politiciens ordinaires peuvent pontifier de nobles pensées, mais les mettent rarement en pratique lorsque vient le moment crucial. Au contraire, ses fortes convictions ont un effet multiplicateur sur les actions de Trump, et c’est ce qui distingue sa diplomatie jusqu’à présent. L’image de son tête-à-tête avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky au Vatican samedi restera gravée dans les mémoires pendant très longtemps.

Dans la situation internationale chaotique d’aujourd’hui, alors que l’ordre mondial passe d’une ère historique – près de cinq siècles de domination occidentale – à une autre encore incertaine, la tentation est toujours là pour les États-Unis, de loin la plus grande puissance militaire de la planète, de tirer parti de leurs prouesses et de leurs moyens coercitifs pour parvenir à leurs fins. En fait, le mondialisme et l’idéologie néoconservatrice de l’interventionnisme constituent toujours le principal courant de conscience des élites américaines, civiles et militaires, et il s’agit également d’un consensus bipartisan.

Tulsi Gabbard n’est pas une exception ; les journaux d’aujourd’hui ont rapporté qu’un membre d’un groupe de réflexion néoconservateur américain bien connu sur l’Asie du Sud et spécialiste de la sécurité dans cette région, Christine Fair, s’est fait l’écho du même refrain « main libre pour l’Inde ». Contrairement à Gabbard, qui porte un nom hindou, Christine Fair a effectué un travail approfondi sur la région et est reconnue pour ses connaissances sur l’utilisation des terroristes par le Pakistan dans le cadre de sa politique d’État. « C’est le bon message à envoyer, même si c’est par accident. Pourquoi les États-Unis devraient-ils aider le Pakistan en essayant de retenir l’Inde ? Le Pakistan doit recevoir une leçon… de la part de l’Inde », a posté Fair sur X.

Il est évident que sur les trois principaux vecteurs de la situation internationale actuelle, Trump freine les instincts naturels des États-Unis en matière de recours à la force – la crise ukrainienne, la situation autour de l’Iran et l’Indo-Pacifique dévolue aux relations entre les États-Unis et la Chine. Et cela a déjà un effet apaisant sur la sécurité internationale.

C’est à Trump que l’on doit le recul du président russe Vladimir Poutine qui, le 14 juin dernier, dans son discours historique au ministère des affaires étrangères à Moscou, avait posé certaines conditions impossibles à remplir pour entamer un dialogue avec l’Ukraine, dont, aussi étonnant que cela puisse paraître, un retrait sommaire des forces ukrainiennes des territoires qu’elles détiennent encore dans les oblasts de Donetsk, Kherson et Zaporizhzhia, dans les régions du sud-est de leur pays !

Certes, Poutine est un pragmatique mais s’il s’est senti enhardi à faire des concessions, en voyant le stupéfiant smart power que Trump a déployé pour faire fléchir l’obstination de Zelensky en le poussant à accepter que la Crimée fasse partie intégrante de la Russie !

D’autre part, Trump a dispersé le projet farfelu du Premier ministre britannique Keir Starmer et du président français Emmanuel Macron visant à créer une « coalition de volontaires » qui se déploierait en Ukraine pour faire rempart à la Russie. Sur le plan politique, Trump a écrasé d’un seul coup la résistance de l’Europe à ses plans de paix pour l’Ukraine et a affirmé le leadership des États-Unis.

Plus important encore, Trump a forcé Zelensky (et ses soutiens européens) à réaliser l’évidence que le choix est entre suivre la voie qu’il ouvre vers des pourparlers de paix ou rendre inéluctable l’annexion de son pays par la Russie. Et pendant toute cette négociation, pas une volée de coups de feu n’a été tirée par le Pentagone.

En ce qui concerne la question nucléaire iranienne et la Chine, Trump adopte essentiellement la même approche. Bien que, dans le cas de l’Iran, les fioritures rhétoriques aiguës se poursuivent – que l’Iran ignore habituellement comme étant des fanfaronnades – tous les rapports suggèrent que les négociations ont gagné du terrain.

Cela se reflète dans la remarque du ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araqchi, après le troisième cycle de négociations avec l’envoyé spécial américain Steve Witkoff à Mascate samedi. Araqchi a déclaré  » Je suis satisfait de l’avancement des négociations et de leur rythme. Elles se déroulent bien et demeurent satisfaisantes. » Il est important de noter qu’il a estimé que “il était tout à fait évident que les deux parties étaient sérieuses et ont entamé les pourparlers avec détermination. Cela crée une atmosphère qui nous donne l’espoir de progresser dans les négociations.”

Des experts nucléaires des deux côtés et l’AIEA participeront probablement à la prochaine série de pourparlers. Araqchi a reconnu que des différences “très sérieuses » et d’autres différences moins graves existent toujours, mais le fait est que “les expériences passées nous aident à progresser plus facilement et plus rapidement, mais je crois que jusqu’à présent, nos progrès ont été bons.”

De même, les États-Unis et la Chine se dirigent sur la pointe des pieds vers la table des négociations. Le paradoxe est que l’impasse dramatique sur les taxes douanières a aidé les deux parties à regarder dans l’abîme et à se rendre compte qu’elles n’aiment pas ce qu’elles y voient. Trump a concédé que des droits de douane élevés ne sont à l’avantage d’aucune des parties et a exprimé la confiance qu’un accord équilibré est possible à l’avenir. Pendant ce temps, notamment, il n’y a eu aucune démonstration belliqueuse d’affirmation de la « liberté de navigation » dans les eaux autour de Taiwan par la marine américaine depuis le retour de Trump dans le bureau ovale.

Dans les trois cas — Ukraine, Iran et Chine — Trump cherche également à générer des opportunités commerciales pour l’économie américaine. En fait, la Russie et l’Iran ont déjà exprimé au plus haut niveau de leadership leur intérêt et leur ouverture à développer des partenariats économiques mutuellement bénéfiques avec les États-Unis si seulement leurs relations étaient normalisées. En effet, la Chine ne peut pas non plus être loin derrière, une fois la poussière retombée.

Le résultat le plus profond de l’odyssée diplomatique de Trump pourrait être son impact sur la situation mondiale. Bien qu’il soit trop tôt pour parler d’un « effet papillon« , à terme, un tel phénomène est à prévoir. On peut soutenir que l’intervention de Trump devrait être bien acceuillie. Il ne devrait y avoir aucune fausse fierté à l’égard de la médiation par une tierce partie lorsque les protagonistes sont manifestement incapables de régler leurs vieux différends et que les tensions qui en résultent menacent la sécurité internationale.

Si Poutine peut voir le caractère raisonnable de la médiation de Trump, Modi peut-il être loin derrière ? Au 21ème siècle, il est irréaliste d’essayer d’imposer des solutions unilatéralement. Inversement, si la « superpuissance solitaire » et une ancienne « puissance civilisationnelle » peuvent montrer l’humilité d’accepter la médiation d’un petit pays comme Oman, cela ne fait que souligner leur confiance en eux et leur ordre de priorités.

Les négociations sur la question nucléaire ukrainienne et iranienne témoignent de la justesse de la prophétie de Modi selon laquelle notre époque n’est pas une ère de guerres. De même, son corollaire naturel est que les solutions ne peuvent pas être imposées unilatéralement par les États-nations dans l’ordre mondial émergent du 21e siècle.

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

Photo d'illustration: Le président américain Donald Trump (G) a rencontré en privé le président ukrainien Volodymyr Zelensky à la basilique Saint-Pierre en marge des funérailles du pape François, Vatican, 26 avril 2025.


Cela peut vous intéresser

Commentaires

Envoyer votre commentaire avec :



Fermé

Recherche
Vous aimez notre site ?
(230 K)
Derniers Articles
Articles les plus lus
Loading...
Loading...
Loading...