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Mardi, 22 Avr. 2025

Les chantiers de Donald Trump (2/2) par Thierry Meyssan

Auteur : Thierry Meyssan | Editeur : Walt | Mardi, 22 Avr. 2025 - 14h15

Le cœur de l’action du président Donald Trump, c’est de réformer l’économie occidentale en mettant fin à la « globalisation américaine », selon laquelle les composants de produits complexes doivent être fabriqués dans de multiples pays avant d’être assemblés. Il entend rapatrier le plus grand nombre possible d’usines dans son pays afin qu’il devienne capable de fabriquer des objets complexes de A à Z.

Contrairement à ce que nous pouvons penser, la Première Guerre commerciale mondiale n’oppose pas Washington à Beijing, mais deux formes de capitalisme entre elles.

Après avoir expliqué les efforts de Donald Trump contre « l’impérialisme américain » et contre la bureaucratie fédérale [1], je voudrais en venir à son action économique et particulièrement à sa conception des droits de douane.

Initialement, Donald Trump n’était pas un homme politique, mais un chef d’entreprise et c’est en tant qu’entrepreneur qu’il a abordé le monde politique dans les années 80. Il avait alors publié une pleine page de publicité dans trois grands quotidiens états-uniens pour dénoncer le déséquilibre des échanges entre son pays et la Chine. Il s’opposait ainsi à la globalisation américaine qui faisait des États-Unis le centre de l’Empire et de la Chine « l’atelier du monde » .

Il n’est entré que plus tard en politique, d’abord aux côtés des Clinton, puis en soutenant le Tea Party et, enfin, en s’emparant du Parti républicain.

Pour comprendre Donald Trump, on doit toujours garder son parcours à l’esprit : ce n’est ni un démocrate, ni un républicain, mais un « jacksonien » [2]. Et son cheval de bataille, c’est de ramener dans son pays la production des biens de consommation.
Il nous est beaucoup plus facile de comprendre ses adversaires aux États-Unis car ils agissent presque tous, non pas à partir de leurs expériences, mais de leur idéologie unique : « l’impérialisme américain ».
Et nous devons conserver à l’esprit que, d’une manière générale, les universitaires confondent les idéologies économiques, sur lesquelles ils dissertent, et le fonctionnement de l’économie réelle, qu’ils ignorent.

Lorsque, devenu président fédéral, Donald Trump réforme l’économie, il annonce vouloir Make America Great Again (MAGA), c’est-à-dire faire de l’Amérique à nouveau une grande puissance. Il précise qu’il n’entend pas mener des guerres, mais comme le président Andrew Jackson, leur substituer le commerce international. Nous ne devons donc pas comprendre MAGA comme faire de l’Amérique une grande puissance militaire, mais une grande puissance économique, c’est à dire rendre à l’Amérique sa grandeur.

Andrew Jackson n’était ni libre-échangiste, ni protectionniste. Il envisageait les droits de douane comme le moyen non pas de protéger les productions états-uniennes de leurs concurrents internationaux, mais comme le seul moyen de financer l’État fédéral. C’est très exactement la position de Donald Trump aujourd’hui : il entend supprimer la totalité des impôts fédéraux et ne plus financer son administration que par des droits de douane. Il laisse par contre chaque État fédéré lever les impôts qui lui paraissent indispensables.

Ce cadre de pensée ayant été posé, Donald Trump organise le passage de l’ancien système au nouveau selon sa méthode, qu’il a décrite dans son livre, The Art of the Deal : déstabiliser ses interlocuteurs. Il a donc débuté en annonçant des droits de douane généralisés et prohibitifs, puis a accepté de les réduire à 10 % pour trois mois, sauf pour la Chine.

Chacun, s’est alors précipité à ses pieds, à la fois pour remercier notre bon « maître du monde » de ces taxes et pour le prier de ne pas trop les augmenter. L’exemple absolu de cette démarche de soumission ayant été donné par l’Italie de Giorgia Meloni. La Première ministre s’est affichée comme une groupie de l’ogre qui lui a tout imposé [3]. Au contraire, l’exemple inverse a été fourni par la Chine qui a d’abord réagi en prenant des droits de douanes réciproques, puis s’est ravisée. Elle a alors choisi de répondre « à la chinoise », c’est-à-dire sur un terrain où on ne l’attendait pas : elle a interrompu sa collaboration avec les deux géants mondiaux des semi-conducteurs, ASML et TSMC, a considérablement ralenti l’exportation de « terres rares » utilisées dans les équipements hi-tech, civils et militaires, et a interdit l’importation de Boeings.

En l’absence de stocks, dans quelques semaines, les États-Unis n’auront plus de semi-conducteurs, ni de pièces détachées pour leurs moteurs de missiles, leurs systèmes de radar, leurs capteurs de guidage, leurs revêtements anticorrosion, leurs lasers de désignation de cibles, leurs têtes chercheuses, leurs drones tactiques, leurs moteurs d’avions de combat, et leurs systèmes de guerre électronique.

Sans attendre, le président Donald Trump a exonéré de taxes les produits de consommation hi-tech : ordinateurs personnels, téléphones portables etc, mais pas les matières premières et composants indispensables au complexe militaro-industriel.
On en est là. Dans quelques semaines le complexe mitaro-industriel, pas seulement états-unien, mais occidental (y compris italien), devra déclarer le lock out de ses usines.

Du point de vue de Donald Trump, les États-Unis ne sont plus une économie performante parce qu’ils ne produisent plus de biens de consommation, mais surtout des armes et des « produits financiers ». Ils ont, en pratique, une économie de guerre. Il entend donc serrer la ceinture du complexe militaro-industriel et développer les productions locales, notamment celle des « terres rares » et des énergies fossiles indispensables à l’industrie moderne. Contrairement à une idée reçue, les terres rares ne sont pas rares en elles-mêmes. Il en existe partout, ce sont les capacités de filtrage de ces minéraux qui sont rares. Elles sont, aujourd’hui, à 90 % en Chine. Le président Trump trouve donc, à l’occasion du bras de fer actuel, l’argument pour exploiter les « terres rares » états-uniennes, auquel les écologistes de tous bords sont opposés [4]. En effet, il est difficile de les extraire sans épuiser les réserves d’eau et sans polluer les régions avoisinantes.

De même que le libertarisme du dirigeant du DOGE, Elon Musk, masque la volonté de Donald Trump de restituer aux États fédérés des fonctions exercées par l’État fédéral, hors de la Constitution, de même les positions de son conseiller au Commerce, Peter Navarro, masquent ses propres conceptions économiques. Navarro, ancien professeur d’Économie à Harvard, est un polémiste, connu pour avoir alerté —en forçant le trait— sur le déséquilibre des relations avec la Chine. Il déclarait à « Meet the Press » (NBC) [5], le 13 avril, que l’équipe Trump n’est pas surprise par les réactions, y compris chinoises, à la hausse des droits de douane. Mais il ne faut pas en conclure pour autant que le président Trump est anti-Chinois.

La sénatrice démocrate Elizabeth Warren, qui ne cherche pas à comprendre ses adversaires politiques et les prend pour des milliardaires sans scrupules, assoiffés d’argent, a accusé le président Trump et son entourage d’avoir décidé de droits de douanes uniquement pour pouvoir s’enrichir personnellement en commettant des délits d’initiés. Elle a donc exhorté la Securities and Exchange Commission (SEC) à ouvrir une enquête sur les fortunes personnelles de Trump et de Musk. Elle a déclaré à « State of the Union » (CNN) [6], le 13 avril, que la récente exemption de l’administration Trump pour les téléphones portables, les ordinateurs personnels et autres appareils électroniques était un « accord spécial » avec le PDG d’Apple, Tim Cook, qui lui a fait don d’un million de dollars à l’occasion de son investiture. « Comme si le chaos ne suffisait pas, il ajoute une couche de corruption bien visible ! » [7].

N’en déplaise à l’ancienne professeur d’Économie de Harvard, Madame Warren, ce qui se passe n’est ni une affaire de corruption, ni une volonté de s’enrichir sur le dos des plus pauvres, mais une guerre. Non pas une guerre entre les États-Unis et la Chine, mais entre deux formes de capitalisme à l’échelle globale : celle des producteurs contre celle des assembleurs [8].


- Source : Réseau Voltaire

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