Une surproduction de pénuries
Alors que jusqu’à présent, écran plat, iPhone dernier cri ou silencieuse Tesla semblait devoir être l’accessoire à la mode de l’individu moderne, on constate en mars 2020 que cet élément indispensable devient le papier hygiénique, de préférence en grosses quantités : les supermarchés, assaillis, se retrouvent même en rupture de stock de précieux rouleaux qui s’écoulent dans des quantités jamais observées jusqu’alors.
Bien sûr, les choses se calment par la suite : rapidement, les rayons se remplissent et les consommations reprennent leurs volumes habituels. Arrive octobre 2021 et une question s’impose soudainement : et si les pécuphiles n’avaient eu tort que d’avoir eu raison bien trop tôt ? On apprend en effet que Lotus, le célèbre fabricant de papier toilette, a bien du mal à continuer à produire ses précieux rouleaux.
En mars dernier, certains journalistes affûtés, notaient que la production de pâte à papier et des produits dérivés commençait à marquer des difficultés avec une augmentation notoire des prix liée à certains problèmes logistiques dont l’approvisionnement. Fin septembre, le constat ne peut plus être évité : la production ne peut plus suivre aux prix actuels, de trop graves tensions apparaissant dans la chaîne ; les prix étant trop faibles devront augmenter.
Augmentation du prix ? Devrait-on parler d’inflation ?
Allons, rassurez-vous tout de suite (c’est un ordre !), rien n’est plus faux : tout ceci n’est que purement temporaire (ou « transitoire »), et parfaitement sous contrôle. C’est d’autant plus crédible que ce sont nos banquiers centraux et certain ministre de l’Économie qui le répètent un peu partout à qui veut l’entendre. En fait, c’est même bon signe puisque cela veut dire que l’économie mondiale a repris son petit vélo et recommence à grimper fièrement !
Le fait que le prix du gaz se tape un petit +57% depuis le début de l’année ? Du transitoire, monsieur, rien que du temporaire contrôlé ! Que dis-je, c’est de la bonne santé économique en grosses bouteilles de butane, ça, madame !
En fait, à lire la presse qui n’évoque ce sujet que d’une façon relativement détendue, sans l’air d’y toucher vraiment, ou les économistes gouvernementaux qui résument essentiellement la situation à une simple péripétie qu’on oubliera sans doute très vite, on aurait tort d’en faire tout un plat : quelques prix augmentent, ce sont de simples ajustement structurels parce que l’économie, quasiment à l’arrêt en 2020, redémarre à présent et que cette reprise d’activité, puissante et vigoureuse, entraîne forcément des tensions qui se traduisent ainsi. Voilà tout.
Et puis moyennant quelques interventions calculées de nos gouvernants, dont les précédentes actions ont amplement prouvé leur pertinence, tout va bien vite rentrer dans l’ordre.
On pourra cependant noter que, malgré la bonne humeur affichée par les uns et les autres et malgré les articles d’une presse finalement assez peu diserte sur le sujet, cette inflation aussi transitoire que contrôlée provoque malgré tout quelques effets de bords qui sont tout sauf franchement réjouissants pour ceux qui les subissent.
Eh oui : si l’augmentation rapide de certains cours de bourse réjouissent certains porteurs (et à raison lorsque cette augmentation traduit des avancées technologiques, des projets réussis et des ventes solides), toutes les augmentations de prix ne provoquent pas des sourires partout. Lorsque cela commence à toucher fébrilement les matières premières et les sources d’énergies, les sourires se crispent très vite.
La suite logique de cette crispation, c’est l’apparition de trous dans les rayonnages de supermarchés : Ikea, par exemple, fait l’étonnante expérience d’une pénurie sur 20% de ses produits. Ce qui se traduira clairement par une réduction de son chiffre d’affaire (on vend toujours moins ce qu’on a pas en rayon, forcément).
D’autres pénuries apparaissent, qui sont soit directement liées au renchérissement des matières premières, soit la conséquence indirecte d’une chaîne logistique lourdement touchée par des réorganisations drastiques, qu’elles soient provoquées par des redistributions de capitaux importantes, ou par des pénuries de main-d’œuvre comme au Royaume-Uni actuellement qui constate un manque de bras chez les routiers chargés d’acheminer l’essence dans les stations…
Ce manque de main-d’œuvre est finalement une pénurie de même ordre que les autres : le prix du travail, c’est-à-dire le salaire, doit effectivement suivre le reste du marché et si l’inflation touche progressivement plus de biens et de produits, il est inévitable que l’emploi soit concerné à un moment ou un autre. En outre, les aides d’État massives de l’année 2020 ont engendré une importante concurrence au travail qui ne manque pas maintenant de se répercuter sur les emplois.
Ce qu’on observe en France ou en Grande-Bretagne s’observe aussi ailleurs, à divers degrés : outre les pénuries connues de semi-conducteurs, ce sont toutes les chaînes de production qui sont maintenant touchées, et ce mot de « pénurie » commence à trouver sa place dans les titres économiques de nos gazettes spécialisées. Plus inquiétant, on voit se développer des carences dans la production énergétique, comme en Chine, ce qui se traduit là encore par une hausse des coûts de production et, inévitablement, des prix jusqu’au consommateur final.
Rassurez-vous : moyennant quelques ajustements structurels, tout va très bien se passer, surtout lorsque les nations vont devoir faire des choix pour savoir où devront partir leurs productions essentielles. Les fertilisants par exemple font justement partie de ces productions fortement dépendante des prix de l’énergie ; au fait, est-il utile de mentionner que le prix du baril de pétrole suit globalement la même courbe que celle du gaz, et qu’en conséquence, le prix de ces fertilisants grimpe gentiment ? … Au point que la Chine envisage d’en arrêter partiellement l’exportation.
On pourra regarder rapidement les cours de bourse de certains producteurs de fertilisants, pour se convaincre que tout va bien.
Or, une augmentation de prix voire une diminution de production veut dire qu’il va être plus dur pour nos agriculteurs locaux de fertiliser leurs terres. Ce qui se traduira dans quelques mois par des rendements moins bons voire médiocres et (au mieux) des hausses de prix sur les productions agricoles ou (au pire) des pénuries.
Heureusement, avec la solide équipe de clowns improvisateurs qui nous gouverne actuellement, on est immédiatement rassuré : il n’y aura pas de problème d’énergie en France dans les prochains mois, et les rayons des supermarchés seront tous bien garnis. Tous les choix futés qui ont été empilés jusqu’à présent et qui sont directement responsables de ce qu’on observe actuellement seront reconduits avec frétillements par ces mêmes clowns, ce qui améliorera grandement la situation, soyez-en sûr, comme à chaque fois que le collectivisme a été imposé d’une façon ou d’une autre.
À tout hasard, faites tout de même quelques stocks. Cette année, l’hiver arrive très vite.
- Source : HASHTABLE