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Mercredi, 19 Mars 2025

Après l’Ukraine, l’Iran ? par Thierry Meyssan

Auteur : Thierry Meyssan | Editeur : Walt | Mercredi, 19 Mars 2025 - 12h27

Pour les « sionistes révisionnistes » (c’est-à-dire pour les successeurs de Zeev Jabotinsky et de Benzion Netanyahou — à ne pas confondre avec les « sionistes » de Theodor Herzl —), le moment est venu, après la victoire sur le Hamas, sur le Hezbollah et sur les Assad, d’écraser l’Iran.

Au contraire, pour Donald Trump, après la pacification du conflit ukrainien, il convient prioritairement de pacifier celui autour de l’Iran.

La presse a les yeux tournés vers la Palestine, mais c’est autour de Téhéran que se joue la paix au Moyen-Orient.

À Téhéran, les Iraniens se demandent avec angoisse si, une fois leur économie épuisée et qu’ils ne pourront plus se défendre, les Israéliens et les États-uniens vont les bombarder. Dans ces circonstances, doivent-ils ou non négocier avec l’énigmatique président Donald Trump ?

Le 2 mars 2025, le Majlis iranien (Parlement) a voté la défiance du ministre de l’Économie et des Finances, Abdolnaser Hemmati, en raison de sa manière de faire face au blocus économique occidental et à la crise économique qui en découle. Le même jour, son ami Mohammad Javad Zarif, ancien négociateur de l’accord sur le nucléaire (JcPoA) et actuel vice-président, a présenté sa démission.

Le président Donald Trump a révélé le 7 mars avoir envoyé une lettre à l’Iran. La presse internationale avait annoncé qu’elle avait été remise le jour même par Sergueï Riabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, à Abbas Araghchi, ministre iranien des Affaires étrangères. Mais Nournews a révélé que la Russie avait refusé de jouer les intermédiaires. Selon Esmail Baghaei, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, c’est en définitive Anwar Gargash, conseiller diplomatique du président des Émirats arabes unis, qui l’a remise, le 12 mars.

Quoi qu’il en soit, sans attendre d’en avoir connaissance, l’ayatollah Ali Khamenei, guide la Révolution, a déclaré : « Quel intérêt avons-nous à négocier quand nous savons qu’il ne respectera pas ses engagements ? Nous nous sommes assis à la même table et avons négocié pendant plusieurs années, et une fois l’accord achevé, finalisé et signé, il a renversé la table et a déchiré l’accord ».

Mohammad Javad Zarif et le secrétaire d’État John Kerry déambulent dans les rues de Genève lors des négociations sur le JCPoA.

Le passif de l’accord JCPoA

En effet, en 2013, l’Iran négociait un accord général avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ainsi qu’avec l’Allemagne, les 5+1, à Genève. Ils aboutirent à l’arrêt temporaire du programme nucléaire iranien et à une levée partielle des mesures coercitives unilatérales occidentales et des sanctions économiques du Conseil de sécurité. Les négociations 5+1 s’interrompirent alors, tandis que des discussions directes entre l’Iran et les États-Unis se poursuivaient en coulisse. En définitive, elles reprirent, en 2015, à Lausanne. L’accord public fut signé, à Vienne, à peu près dans les mêmes termes que le brouillon qui avait été rédigé deux ans plus tôt. Il est connu sous le nom de Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA).

Les États-Unis reconnaissaient enfin le droit de la République islamique à développer son programme nucléaire civil. En échange, l’Iran s’engageait à laisser l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) vérifier qu’il ne développait pas parallèlement de programme militaire. Pour cela, il s’engageait à ne pas posséder plus de 5 060 centrifugeuses, à ne pas enrichir d’uranium à plus de 3,67 %, et à limiter sa production de plutonium.

La France et le Royaume-Uni se déclaraient satisfaits, alors que le négociateur français, le sayan Laurent Fabius, reconnaissait avoir, au fur et à mesure des pourparlers, informé le Premier ministre israélien, son ami Benyamin Netanyahou, à l’insu des autres diplomates.

La Russie et la Chine retenaient de ces débats, confirmés par leurs propres observations sur place, que l’Iran avait clos son programme nucléaire militaire, en 1988, conformément à une fatwa de l’ayatollah Rouhollah Khomeini, et ne l’avait jamais repris [1].

Le 30 avril 2018, Benjamin Netanyahou présente les 100 000 documents que le Mossad a volé à Téhéran. Selon lui, ils prouvent que l’Iran a menti et prépare une bombe atomique pour anéantir la population de l’État hébreu.

Le 30 avril 2018, Benyamin Netanyahou rendait publics 100 000 documents volés par le Mossad dans des archives à Téhéran relatifs au projet AMAD. Il expliquait que, recourant au principe musulman de la Taqîya, l’Iran avait menti. Téhéran avait développé de 1989 à 2003 un programme nucléaire militaire sous la direction du physicien Mohsen Fakhrizadeh.

Une semaine plus tard, le 8 mai 2018, le président Donald Trump annonçait le retrait des États-Unis de l’accord signé par l’administration Obama à Vienne. Les mesures coercitives unilatérales occidentales qui persistent sont maintenues et renforcées.

« Depuis lors, l’Iran a perdu 100 milliards de dollars par an », selon l’ancien président Hassan Rohani. Selon cette mesure, le retrait états-unien aurait provoqué 650 milliards de dollars de pertes au cours des six années et demie écoulées.

Par la suite, les experts nucléaires, qui ont étudié les documents iraniens fournis par Israël, assureront tous que ce n’est pas l’Iran qui a menti, mais Israël. La seule pièce du projet AMAD que l’on pourrait relier à la fabrication d’une bombe atomique est un générateur d’onde de choc qui entre dans la fabrication d’un détonateur pour ce type de bombe [2].

L’Iran, à son tour, s’est retiré du JCPoA et des accords secrets signés avec les États-Unis. Son stock d’uranium enrichi à 60 % est passé à 182 kg au cours du dernier trimestre 2024.

En 2020, Israël a assassiné Mohsen Fakhrizadeh, à Téhéran.

Le 14 mars, la Chine organise une rencontre entre la Russie et l’Iran. Il s’agit pour Beijing de manifester son soutien à la position des deux pays.

Vers de nouvelles négociations

Interrogé par la presse iranienne sur d’éventuels contacts via Oman, Abbas Araghchi a déclaré : « Oui, ce n’est pas une méthode étrange, et cela s’est produit à plusieurs reprises tout au long de l’histoire. Par conséquent, une négociation indirecte est réalisable... Ce qui est important, c’est que la volonté de négocier et de parvenir à un accord juste et équitable se présente dans des conditions d’égalité entre les États. La forme de la négociation n’a pas d’importance ».

Le 12 mars, c’est-à-dire lors de la remise de la lettre du président Trump, la France, la Grèce, le Panama, la Corée du Sud, le Royaume-Uni …et les États-Unis, ont réuni le Conseil de sécurité, à huis clos, pour examiner le non-respect persistant par l’Iran des demandes d’information de l’AIEA.

Le lendemain, 13 mars, Mohammad Hassan-Nejad Pirkouhi, directeur général pour la Paix et la Sécurité internationales au ministère iranien des Affaires étrangères, a convoqué les ambassadeurs des États-Unis, de France et du Royaume-Uni. Il leur a reproché une convocation « irresponsable et provocatrice » du Conseil de sécurité en abusant des mécanismes des Nations unies. Il a souligné que si l’Iran ne respecte plus l’engagement de ne pas enrichir d’uranium à plus de 3,67 %, il respecte toujours les engagements du JCPoA vis-à-vis des inspecteurs de l’AIEA et s’acquitte de ses obligations au titre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

Le Royaume-Uni a indiqué qu’il était prêt, au plus tard le 18 octobre, à rétablir les sanctions de l’ONU si l’Iran ne freine pas son enrichissement de l’uranium. Celles-ci ont en effet été suspendues et non pas abrogées.

Simultanément, les États-Unis ont pris des mesures coercitives unilatérales contre Mohsen Paknejad , ministre iranien du pétrole.

Le 14 mars, le Russe Sergueï Riabkov et l’Iranien Kazem Gharibabadi ont été reçus par leur homologue chinois, Ma Zhaoxu, à Beijing. Ce dernier a souligné que « les parties concernées devraient s’engager à s’attaquer aux causes profondes de la situation actuelle et à abandonner les sanctions, les pressions ou les menaces d’usage de la force ». Lors d’une conférence de presse, Kazem Gharibabadi a déclaré que « toute les négociations et les discussions seront exclusivement centrées sur la question nucléaire et la levée des sanctions ». L’ancien négociateur du JCPoA a, de son côté, déclaré à la BBC que « les négociations ne devraient pas inclure le programme de missiles de l’Iran ou son influence régionale. Ajouter ces sujets compliquerait le processus et le rendrait ingérable. » Enfin Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, a déclaré à la presse qu’ajouter des conditions supplémentaires aux négociations les condamneraient à échouer. Enfin Mao Ning, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a souligné que « dans la situation actuelle, nous pensons que toutes les parties doivent maintenir le calme et la retenue afin d’éviter l’escalade de la situation nucléaire iranienne ou de marcher vers l’affrontement et le conflit ».

Pendant ce temps, les ministres des Affaires étrangères du G7, réunis à La Malbaie (Canada), ont débattu des détentions arbitraires en Iran et des tentatives d’assassinats perpétrées par les services secrets iraniens à l’étranger.

Le 15 mars, l’ancien président Hassan Rohani a souligné que le guide, Ali Khamenei, « n’a pas d’opposition absolue aux négociations ». Il a poursuivi : « N’avons-nous pas négocié avec les États-Unis sur l’Iraq, l’Afghanistan et l’accord nucléaire ? Même à l’époque, lorsque j’étais secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, le guide lui-même écrivait que les négociations devaient adhérer à certains principes ».

Toutefois, le même jour, le Pentagone bombardait Ansar Allah (qualifiés de « Houthis » par la propagande atlantiste) au Yémen, tuant neuf civils. Sur son réseau TruthSocial, le président Donald Trump postait ce message : « À l’Iran : le soutien aux terroristes houthistes doit finir IMMEDIATEMENT. Ne menacez PAS le peuple américain, son président, qui a reçu l’un des mandats les plus importants de l’histoire présidentielle, ou des voies de navigation mondiales. Si vous le faites, AVEC les Houthis, l’Amérique vous tiendra pleinement responsable et nous ne serons pas gentils ». [3]

Depuis le département d’État, où il est en charge du Venezuela, Elliott Abrams, qui a réuni les straussiens et les sionistes révisionnistes au sein de la Vandenberg Coalition, plaide pour une attaque de l’Iran.

Les enjeux des nouvelles négociations

Si de nouveaux contacts ont lieu (et il est probable qu’ils aient déjà débuté), la pacification des relations états-uno-iraniennes bouleverseraient à nouveau de Moyen-Orient élargi.

Actuellement, l’Iran a perdu en Palestine, au Liban et en Syrie. Téhéran ne maintient son influence militaire qu’au Yémen. Économiquement, le pays, soumis à des mesures coercitives unilatérales occidentales, est au bord de la famine, comme l’Iraq avant le renversement de Saddam Hussein (2002) et la Syrie avant le renversement de Bachar el-Assad (2024). Il ne résisterait pas plus à une invasion au sol.

La nature ayant horreur du vide, Israël et la Türkiye tentent de se partager les ruines de la région. La pacification interne de la question kurde en Türkiye, délégitime la position des mercenaires kurdes du pseudo-État formé en Syrie (Rojava) et les rend disponibles pour une éventuelle invasion au sol de l’Iran pour le compte d’Israël.

En coulisses, l’homme qui se tient derrière Benyamin Netanyahou, Elliott Abrams [4], fait tout son possible pour retourner le président Donald Trump contre Téhéran [5].

Photo d'illustration: Anwar Gargash s’est rendu, le 12 mars, à Téhéran apporter une lettre de Donald Trump à la République islamique d’Iran.

Notes:

[1] « Qui a peur du nucléaire civil iranien ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 30 juin 2010.

[2] "Shock Wave Generator for Iran’sNuclear Weapons Program:More than a Feasibility Study", David Albright and Olli Heinonen, Foundation for Defense of Democraties (FDD), May 7, 2019. (PDF - 4.3 Mo).

[3] « Donald J. Trump », Truth Social, March 15, 2025.

[4] « Le coup d’État des straussiens en Israël », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 7 mars 2023.

[5] « Deals of the Century : Solving the Middle East », The Vanderberg Coalition, January 2025. (PDF - 12,2 Mo)


- Source : Réseau Voltaire

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