Etats-Unis: Un défaut de paiement, c’est Lehman Brothers puissance dix
« La propagation serait immédiate et très violente », explique Thibault Prébay, spécialiste du marché obligataire. Interview.
Drôle d’ambiance à Washington, où le gouvernement a fermé une partie de l’administration fédérale faute d’accord budgétaire au Congrès. Dans ce climat de défiance entre Républicains et Démocrates, une échéance inquiète : le 17 octobre, les Etats-Unis ne devraient plus pouvoir emprunter s’ils ne relèvent pas le plafond de la dette. Un scénario de faillite aux conséquences si terrible qu’il semble peu probable pour Thibault Prébay, directeur du département taux du fonds d’investissement Quilvest gestion.
Pourquoi les Etats-Unis pourraient être en faillite ?
- Chose assez peu courant dans le monde, les Etats-Unis ont fait le choix de plafonner leur dette, c’est-à-dire que le gouvernement ne peut pas emprunter au-delà d’une certaine somme sans l’accord du Congrès. Or celui-ci est en partie contrôlé par les Républicains, dont certains réclament que Barack Obama retarde l’application de sa réforme de l’assurance santé, ce qu’il refuse de faire. Si ce blocage perdure, les Etats-Unis ne pourront plus emprunter à partir du 17 octobre. Ils ne pourront donc plus non plus honorer le remboursement des dettes qu’ils ont déjà émises. Ce serait un défaut de paiement.
Cela peut-il se produire ?
- C’est extrêmement peu probable. Des discussions de ce genre se sont produites à de nombreuses reprises par le passé, même si cette fois le « shutdown » du budget ajoute une touche de folklore. A chaque fois le parti qui bloque la situation fini par se mettre l’opinion publique à dos. D’autant plus qu’il remet en cause une décision d’un président élu.
Que se passerait-il si cela avait lieu ?
- Le gouvernement se verrait dans l’impossibilité de proposer un budget avec un déficit, qui ne peut être financé que par une hausse de la dette. Il devrait d’abord réduire les dépenses publiques de quelque 4% de PIB. Barack Obama a ensuite la possibilité de s’appuyer sur la Constitution, qui dit que l’Etat doit faire face à ses obligations, et donc au remboursement des emprunts qu’il a contracté. Le problème, c’est que si cette décision s’avère infondée juridiquement, il risque la destitution. Enfin, l’Etat fédéral peut dire à ses créanciers : je ne peux pas payer.
Et ensuite ?
- Dans la pratique, les marchés accordent encore une journée, en cas de problème technique. Ensuite, le gouvernement doit déclarer un défaut « sélectif » : il s’engage à tout payer, sauf une obligation qu’il paiera avec un certain retard. Et s’il ne peut pas, il se déclare en défaut. Les obligations qu’il a émises dépassent leur terme jusqu’à ce que les Etats-Unis aient renégocié les modalités de remboursement avec ses créanciers.
Quelles en seraient les conséquences ?
- Les agences de notation placeraient les Etats-Unis au plus bas de l’échelle de notation. Plus personne ne voudrait prêter aux Etats-Unis, et la valeur de leurs obligations souveraines chuterait. Cela créerait un trou dans le bilan des banques du monde entier, qui sont obligées d’en détenir par sécurité. Elles feraient faillites, entraînant d’autres banques dans leur sillage. Dans de nombreux pays, les retraites, les systèmes de santé ou les fonds de pension qui détiennent ces obligations ne seraient plus financés. La propagation serait immédiate et très violente. A côté, les faillites de Lehman Brothers ou de la Grèce sembleraient ridicules. Et l’Etat américain serait dans l’incapacité d’agir. Mettre à terre l’économie mondiale, tout cela pour repousser l’Obamacare d’un an ? Il est impossible d’envisager que le Congrès ne parvienne pas à trouver un accord.
Pourtant Barack Obama a invité Wall street à s’inquiéter du comportement des Républicains. Les extrémistes des « Tea parties » semblent prêts à tout…
- Chacun à intérêt à se montrer inflexible, afin que l’autre parti passe pour le responsable du blocage. Mais cela n’inquiète pas vraiment les marchés financiers. Les fluctuations de ces dernières semaines sont surtout dues aux doutes sur la croissance potentielle des Etats-Unis. Si Wall street prenait la menace au sérieux, la bourse aurait perdu au moins 15%.
- Source : Le Nouvel Observateur