Immobilier à Dubaï : la grande blanchisseuse des criminels internationaux
Selon un récent rapport dévoilé par le New York Times, le marché immobilier de Dubaï servirait de couverture aux avoirs de nombreux profiteurs de guerre, financiers du terrorisme et autres trafiquants de drogue.
Le rapport, publié par le Center for Advanced Defense Studies (C4ADS), basé à Washington, repose sur des documents ayant fuité depuis la cité-État. Il présente des preuves donnant crédit aux rumeurs récurrentes concernant le boom de l’immobilier à Dubaï. Le document, dont le New York Times publie les bonnes feuilles dans son édition du 12 juin, identifie pas moins de 100 millions de dollars d’acquisitions immobilières suspectes à travers la ville des Émirats arabes unis (EAU), où les constructions commandées par des investisseurs étrangers excèdent désormais la demande locale.
Le rapport accable les pratiques en œuvre dans le marché immobilier dubaïote, où l’anonymat, le secret et le manque de régulation sont la règle. Une permissivité qui n’est pas sans conséquence sur la sécurité du globe. « Dans une économie mondiale interconnectée, avec très peu de barrières empêchant les flux financiers de circuler, un seul maillon faible au sein du système de régulation peut donner des ailes aux criminels en tout genre », écrit le C4ADS.
Parmi les biens immobiliers ciblés figurent de nombreux appartements modestes, mais aussi plusieurs villas luxueuses, et même un appartement situé dans les étages du Burj Khalifa, l’un des plus hauts gratte-ciel au monde. Mais c’est bien la liste et l’identité des propriétaires de ces biens immobiliers qui inquiètent les chercheurs américains.
De bien peu recommandables propriétaires de résidences
À commencer par un certain Rami Makhlouf, cousin du président syrien Bachar al-Assad et l’un des hommes d’affaires les plus fortunés de son pays. Makhlouf, qui dirige l’une des plus importantes compagnies de téléphonie syriennes, est sous le coup de sanctions de la part des États-Unis en raison de sa proximité avec le camp du président. Avec son frère, il possède une propriété aux EAU, alors que Dubaï est officiellement opposé au régime de Damas.
Bien que les EAU s’opposent également au Hamas libanais, cela n’a pas empêché Kamel et Issam Amhaz, deux businessmans libanais, d’acheter eux aussi des propriétés à Dubaï, évaluées à 70 millions de dollars. Et ce alors que les deux frères ont été sanctionnés par les États-Unis en 2014 pour avoir commandé, sous couverture, des composés électroniques destinés à équiper des drones militaires.
Le rapport identifie aussi quelque 21 millions de dollars de biens immobiliers liés à l’organisation de blanchiment d’argent d’Altaf Khanani, un ressortissant pakistanais impliqué dans le trafic de drogue et le terrorisme islamiste, notamment avec Al-Qaïda. Hassein Eduardo Figueroa Gemez, un Mexicain poursuivi par les États-Unis pour avoir importé des quantités massives de précurseurs chimiques nécessaires à la production de méthamphétamine, possède également des biens dans les EAU. Idem pour deux Iraniens impliqués dans le programme nucléaire de leur pays.
Le Département d’État américain inquiet
Dubaï, explique le New York Times, est depuis longtemps un port d’entrée apprécié de tous ceux qui veulent échapper à la loi. Cargaisons d’armes, de drogues et d’autres produits illicites transitent régulièrement par les EAU. Depuis 2002, les facilités accordées aux investisseurs étrangers par le pays ont entrainé un véritable boom de l’immobilier de luxe, permettant à tous ceux qui disposent d’argent qu’ils ne peuvent pas dépenser de le stocker et de le blanchir au soleil de Dubaï. Les experts estiment qu’un milliard de dollars serait blanchi chaque année aux EAU.
Paradoxalement, l’argent investi aux EAU proviendrait en grande partie de zones et pays avec lesquels les États-Unis sont récemment entrés en conflit. En 2009, 190 millions de dollars en cash auraient ainsi été transférés de Kaboul à Dubaï. Et en 2008, 600 millions de dollars, 100 millions d’euros et 80 millions de livres britanniques auraient fait le même voyage. Plusieurs hommes d’affaires et politiciens afghans seraient également impliqués dans l’immobilier dubaïote.
Au Pakistan, les autorités soupçonnent leurs citoyens d’avoir investi la bagatelle de 8 milliards de dollars dans des biens immobiliers aux EAU, principalement dans le but d’échapper à l’administration fiscale. Un parrain de la drogue australien, arrêté l’année dernière sur le territoire de Dubaï, possédait lui aussi des biens immobiliers dans le pays. Certains hauts dirigeants du Nigeria et de l’Afrique du Sud se serviraient également des EAU pour blanchir de l’argent.
Le problème, estime le New York Times, est que Dubaï ne publie aucune donnée officielle quant aux acheteurs et vendeurs en immobilier sur son territoire. Les sources sur lesquelles se basent les travaux du C4ADS reposent donc sur des données ayant fuité depuis des professionnels de l’immobilier dubaïotes.
Le phénomène est suffisamment inquiétant pour que le Secrétariat d’État américain s’en émeuve officiellement. Dans un rapport récemment publié sur le trafic de drogue international, le ministère des Affaires étrangères américain s’alarme en effet de l’ampleur du blanchiment d’argent à Dubaï. Si Washington salue les efforts engagés par les EAU, ces derniers « doivent augmenter les ressources allouées aux enquêtes, aux procédures judiciaires et au combat contre le blanchiment d’argent ». Une manière très diplomatique de dire que Dubaï est loin du compte.
- Source : Secret défense