Isolationnisme économique et politique protectionniste : Donald Trump est-il un nouveau Herbert Hoover?
« Considérer les importations [américaines] d’automobiles comme une menace à la sécurité nationale serait une catastrophe économique auto-infligée pour les consommateurs américains, les concessionnaires et les employés des concessionnaires. » Cody Lusk, président de l’American International Automobile Dealers Association, le mercredi 23 mai, 2018.
« Beaucoup de pays ont eu recours au protectionnisme douanier quand leurs économies allaient mal. Cela ne fonctionne presque jamais. Mais Donald Trump serait le premier dirigeant à le faire quand l’économie est en plein essor. Il essaie de résoudre un problème qui n’existe pas. L’industrie automobile américaine est en bonne santé. » Rufus Yerxa, président du National Foreign Trade Council, le mercredi 23 mai, 2018.
« La dépression de 1929 était si généralisée, si profonde et si longue parce que le système économique international était déstabilisé due à l’incapacité du gouvernement britannique et au refus des États-Unis d’assumer la responsabilité de le stabiliser en s’acquittant de cinq fonctions :
(1) Maintenir un marché relativement ouvert pour les marchandises excédentaires;
(2) fournir des prêts anticycliques à long terme, ou à tout le moins des prêts à long terme, stables ;
3) assurer un système de taux de change relativement stable ;
(4) faire en sorte de coordonner les politiques macroéconomiques ;
(5) servir de prêteur de dernier recours en actualisant ou en fournissant des liquidités en cas de crise financière. » Charles Kindleberger (1910-2003), historien économique américain, et auteur du livre La Grande Crise mondiale 1929-1939, 1973, (révisé et complété en 1986).
« Lorsque tous les pays se tournèrent vers la protection de leurs intérêts particuliers, l’intérêt public mondial tomba à l’eau et avec lui les intérêts privés de tout le monde. » Charles Kindleberger (1910-2003), historien économique américain et auteur de La Grande Crise 1929-1939, (1973, révisé et complété en 1986).
Le président étasunien Donald Trump semble orienter ses politiques de manière à isoler l’économie américaine des économies voisines, et même de l’économie mondiale, et semble ainsi disposé à rompre avec trois quarts de siècle de coopération économique plus étroite entre les pays, telle qu’élaborée après la Seconde Guerre mondiale. Ce faisant, il y a un danger réel que le système économique international soit structurellement déstabilisé pour des années à venir, ce qui ne signifie pas qu’un tel système n’ait guère besoin de subir des réformes.
Ce que de nombreux économistes appréhendent, c’est cette approche de Trump en matière de coopération économique internationale — ou absence de coopération — laquelle semble être un dangereux retour aux années ’30. — Si son gouvernement allait poursuivre sur cette lancée, cela pourrait se traduire par d’importants effets de distorsion des échanges internationaux et provoquer des dislocations économiques dans de nombreux pays, avec des conséquences économiques et industrielles fortement négatives, tant pour l’économie américaine que pour les autres économies industrielles, dont une grande part de la présente prospérité repose sur les échanges internationaux.
En effet, compte tenu de la forte interdépendance des économies modernes et de la coopération technologique et industrielle qui s’est tissée entre elles au cours des dernières décennies, grâce à une forte expansion du commerce international réciproque, la perspective d’un retour en arrière pourrait s’avérer fort risquée et pourrait s’accompagner de conséquences économiques graves, possiblement très graves.
Donald Trump : un apprenti sorcier dans le commerce international ?
Est-il possible que le président américain Donald Trump se révèle être une sorte d’apprenti sorcier, eu égard à sa politique commerciale protectionniste ? Ce politicien semble, en effet, se complaire à provoquer des conflits commerciaux avec les autres pays industriels, allant du Canada, en passant par l’Europe, jusqu’à la Chine. Ce faisant, il pourrait déclencher une série d’événements, lesquels pourraient s’avérer être impossibles à contrôler ou à arrêter une fois mis en marche, avec des conséquences économiques très négatives. Quelles conséquences ? Ce pourrait être une sévère récession économique, du genre de celle vécue en 2008-2009 avec la Grand Récession, ou, potentiellement, dans le cas le plus extrême, ce pourrait mener à une dépression économique, semblable à celle que le monde a connue avant la Seconde Guerre mondiale.
En effet, pendant la grande dépression de 1929-1939, le commerce international, mesuré en dollars, chuta de 65 %, la production totale des États-Unis baissa de 47 %, les salaires de 42 % et le taux de chômage atteignit le niveau de 25 %. Ce fut véritablement un désastre économique, causé en grande partie par de mauvaises politiques économiques. Qui voudrait répéter une telle catastrophe ?
Donald Trump est-il prêt à répéter les erreurs des années 1930 ?
Aujourd’hui, la plupart des gens ont compris que le propriétaire d’hôtels et de casinos Donald Trump est un individu égocentrique à l’extrême, lequel gère le gouvernement américain comme il le faisait pour sa propre entreprise, alors qu’il était considéré dans le monde immobilier de New York être un opérateur impitoyable. Selon ses biographes, Trump était toujours à l’affût pour tirer la couverture de son côté et il n’hésitait pas à violer des règles et des contrats, lorsque cela pouvait faire son affaire. — Cependant, un gouvernement n’est pas une entreprise privée. Le citoyen Donald Trump n’a aucun titre de « propriété » sur le gouvernement américain. Celui-ci appartient au peuple américain et sa fonction première consiste à mettre en œuvre des politiques qui favorisent le bien commun, et non les intérêts privés d’un politicien mégalomane, ou ceux des membres de sa famille ou de ses donateurs électoraux.
Nous avons une idée de la pensée économique tordue de Donald Trump, si nous considérons ce qu’il a dit, en mars dernier, quand il a déclaré, dans un médium social, que « les guerres commerciales internationales sont bonnes et faciles à gagner » ! Je n’ai jamais entendu une déclaration aussi scandaleuse et aussi irresponsable sortir de la bouche d’un chef d’État, quoique dans le cas de Trump, cela semble être devenue monnaie courante.
Trump semble ignorer les leçons de l’histoire et de l’économie. Il ne semble pas avoir la moindre idée de la façon dont le commerce international et l’investissement international fonctionnent. De même, il ne semble pas comprendre que la raison première pour laquelle le dollar américain sert de moyen de paiement international largement accepté, et de devise clé pour les banques centrales de beaucoup de pays, est la conséquence directe de la politique américaine qui, dans le passé, visait à promouvoir des relations économiques internationales harmonieuses et multilatérales. C’est une position privilégiée qui a permis aux États-Unis de retirer des avantages économiques et financiers considérables.
Les idées économiques du président étasunien Donald Trump sont primitives, obsolètes et mercantilistes. Prenons, par exemple, sa prétention absurde selon laquelle un pays ne peut sortir « gagnant » d’une relation commerciale, à moins de dégager un excédent commercial avec tout le monde. Dans un contexte de commerce multilatéral, cela est impossible, en pratique. En effet, un pays peut enregistrer des excédents dans sa balance extérieure courante avec quelques pays, mais il est normal qu’il ait aussi des déficits avec d’autres pays. C’est là une conséquence normale du commerce multilatéral, si nous supposons, pour l’instant, une absence de mouvements de capitaux entre les pays.
Cependant, quand un pays peut faire appel à l’épargne internationale pour financer ses investissements au-delà de ses épargnes intérieures, comme c’est le cas de nos jours, cela lui permet d’avoir un excès d’investissements intérieurs par rapport à son épargne intérieure (sans inflation), et de stimuler ainsi son économie. En contrepartie des entrées nettes de capitaux, il enregistrera un déficit dans sa balance courante extérieure et ses importations annuelles de biens et de services dépasseront ses exportations. En effet, quand un pays emprunte des capitaux de l’étranger, sa dette extérieure nette s’accroît, mais cela lui permet de financer une hausse dans ses importations au-delà de ses exportations et d’accroître ses investissements. Ce faisant, le pays accroît sa dette extérieure nette (le passif moins les actifs du pays vis-à-vis le reste du monde), mais bénéficie d’une croissance économique accrue.
Or, à la fin de 2017, les États-Unis avaient une dette extérieure nette qui atteignait 7 845,8 milliards de dollars. Si le gouvernement de Donald Trump voulait sérieusement que l’économie américaine dégage un excédent commercial, plutôt qu’un déficit, dans sa balance courante extérieure, il devrait cesser lui-même d’emprunter massivement auprès d’autres pays pour financer son déficit budgétaire ($ 400 milliards en 2018), et il devrait prendre les mesures appropriées pour accroître l’épargne intérieure de manière à financer la totalité des investissements intérieurs américains.
Si les États-Unis sont un emprunteur net d’épargne étrangère, au cours d’une année donnée, ils doivent nécessairement enregistrer un déficit dans leur balance courante extérieure. Et, ce ne sont pas les incantations des politiciens américains qui peuvent changer quoi que ce soit à cette situation.
Le principe général ici est que la balance des paiements d’un pays s’équilibre toujours et qu’il y a un ajustement économique, (à travers les taux d’intérêt, les taux de change et les revenus), qui fait en sorte que ce soit le cas.
Qu’un individu, en position de chef d’état d’un important pays comme les États-Unis, ne semble pas comprendre ces principes économiques et comptables élémentaires, est un véritable scandale.
Donald Trump perd les pédales lorsqu’il parle de commerce international et veut hausser les taxes frontalières étasuniennes
Le jeudi 31 mai 2018 passera peut-être à l’histoire comme la date à laquelle Donald Trump déclencha une guerre commerciale à l’encontre de nombreux pays alliés, comme c’est le cas du Canada, membre du NORAD, et comme c’est aussi le cas de nombreux pays européens, membres de l’OTAN. Trump a aussi eu le culot de prétendre qu’il se lançait dans une guerre des tarifs pour des motifs de « sécurité nationale », ce qui n’est pas loin d’être une énorme supercherie, comme Trump en est capable car, pour lui, la fin justifie les moyens. En effet, Trump a fait reposer ses décisions sur un obscur article légal, l’article 232 de la loi commerciale américaine de 1962 (le ‘Trade Expansion Act’ de 1962), afin de n’avoir pas à soumettre ses décisions controversées à l’approbation du Congrès américain.
Dans le cas du Canada, l’une des demandes de Trump pour le maintien de la Zone de libre-échange nord-américaine de 1994 (ALÉNA) est d’insérer une clause temporelle pour mettre automatiquement fin à l’accord commercial pour le renégocier, à tous les cinq (5) ans. Considérant que les entreprises planifient leurs investissements vingt ou trente ans à l’avance, seules des intentions malveillantes ou malicieuses pourraient expliquer pourquoi une telle demande aussi peu réaliste a pu être envisagée.
Quelles sont les conséquences négatives probables d’une guerre commerciale généralisée pour ses participants ?
– Tout d’abord, les industries exportatrices américaines, leur production et leur emploi seront fortement pénalisés et perturbés par les nouvelles taxes frontalières et les taxes similaires imposées par les autres pays, en représailles, sur les exportations américaines.
– Deuxièmement, les industries importatrices des États-Unis feront face à des prix plus élevés pour leurs approvisionnements, ce qui augmentera les prix pour les consommateurs et augmentera le taux d’inflation pour toute l’économie. N’oublions pas que les taxes à la frontière sont des taxes, et elles sont finalement payées par les consommateurs lorsqu’ils achètent des biens, allant des achats de jeans jusqu’à l’achat de maisons.
– Troisièmement, les entreprises américaines qui ont des installations à travers monde verront leur chaîne d’approvisionnement perturbée. Elles peuvent également faire face à un climat réglementaire moins favorable dans certains pays, en raison des politiques économiques hostiles de l’administration Trump. — Leur ligne de profit devrait en souffrir. Par exemple, pour l’année 2012 (dernière année pour laquelle des données sont disponibles), les sociétés américaines ont déclaré des bénéfices réalisés par leurs filiales étrangères de l’ordre de plus de mille milliards $. Les investisseurs américains ont bénéficié directement de ces revenus étrangers des filiales américaines.
– Quatrièmement, une hausse intérieure de l’inflation se traduira inévitablement par des taux d’intérêt plus élevés, laquelle hausse pourrait, tôt ou tard, faire dérailler le marché boursier, avec des pertes à prévoir possiblement fort importantes.
– Cinquièmement, à mesure que l’incertitude économique gagnera en intensité, les entreprises pourraient retarder leurs investissements, avec un danger de spirale économique à la baisse, un déclin de la productivité, des revenus abaissés, une contraction de l’emploi et des baisses dans les dépenses de consommation.
Les autres pays subiront des contractions similaires dans leurs économies de sorte que les répercussions multipliées seront mondiales.
C’est là un sombre scénario que le monde a déjà vécu dans le passé et que personne ne voudrait répéter. Pour ma part, je ne connais aucun économiste qui conseillerait un plan d’action comme celui que l’administration Trump semble vouloir entreprendre.
Ceux qui ignorent l’histoire sont condamnés à la répéter
En effet, les attaques frontales de l’administration républicaine Trump contre le commerce multilatéral semblent aussi irresponsables et risquées que la politique protectionniste du gouvernement républicain de Herbert Hoover, adoptée officiellement, le 17 juin 1930. Ce fut à cette date, en effet, que le président Hoover signa la fameuse Loi Smoot-Hawley, une loi qui imposait de lourdes taxes à l’importation et qui résulta en une baisse brutale des importations américaines. Cette politique protectionniste de l’administration Hoover provoqua une série de représailles commerciales de la part des autres pays, et elle contribua fortement à contracter le volume du commerce international. Le résultat fut de transformer une récession économique en une dépression économique mondiale qui dura dix ans.
Il est relativement facile pour les politiciens de déclencher une guerre commerciale. C’est beaucoup plus difficile d’y mettre un terme. Donald Trump n’a aucune connaissance ou compétence en matière d’économie et de finance internationales, et il ignore probablement aussi les dommages que l’administration républicaine Herbert Hoover a fait subir à l’économie américaine, quand il a précipité une baisse du commerce international et contracté les flux financiers internationaux.
Que Donald Trump veuille répéter, 88 ans plus tard, les erreurs de l’administration Hoover est difficile à comprendre. [N.B. : Le Président Herbert Hoover (1874-1964) fut rondement défait par Franklin D. Roosevelt (1882-1945), lors de l’élection présidentielle de 1932]. En effet, pourquoi Donald Trump voudrait-il épouser la dangereuse doctrine de l’isolationnisme économique et, tôt ou tard, celle de l’isolationnisme politique pour les États-Unis, avec ses attaques à l’emporte-pièce et mal avisées contre le commerce international, et risquer ainsi la prospérité de économie mondiale ? Il devrait savoir qu’en ce faisant, il fera beaucoup de tort à l’économie américaine, aux sociétés américaines, aux travailleurs américains et aux consommateurs américains, ainsi qu’à l’économie mondiale.
En fait, Trump risque rien de moins que de détruire le système de coopération économique internationale, érigé après la Seconde Guerre mondiale, lequel a été immensément profitable aux États-Unis, et lequel a permis d’élever le niveau de vie, non seulement aux États-Unis, mais dans beaucoup d’autres pays. Les sociétés américaines et les banques américaines, et leurs employés, ont particulièrement bénéficié des économies d’échelle, de la spécialisation économique et des gains de productivité (la baisse des coûts de production) que l’ouverture et la stabilité des marchés ont permis.
Les motivations politiques partisanes de Donald Trump
Pourquoi l’administration Trump voudrait-elle emprunter la voie fort risquée du protectionnisme des années 1930 ? Ce n’est certainement pas pour des motifs économiques immédiats, puisque l’économie américaine fonctionne présentement à plein… À moins, bien sûr, que ce qui guide vraiment Donald Trump soit une obsession politique personnelle à mesure que l’on se rapproche des élections américaines de mi-mandat de novembre prochain. Les sondages indiquent, en effet, que les politiques fiscales de Trump et d’autres politiques mises de l’avant au profit des ploutocrates, tout en augmentant la dette publique, ne sont pas très populaires parmi la population en général.
C’est pourquoi, un recours à des politiques commerciales populistes pourrait offrir aux Républicains, du moins à court terme et dans quelques états en perte de vitesse industrielle, une possible bouée de sauvetage électorale. En d’autres termes, Donald Trump et le Parti républicain pourraient penser bénéficier politiquement d’une montée du nationalisme économique et du protectionnisme douanier, dans quelques états industriels clés. Ce ne serait pas avant plusieurs mois que les effets pervers d’une guerre commerciale apparaîtront aux yeux du public américain.
Si cela était le cas, ce serait un exemple d’opportunisme politique dans le but d’engranger des gains politiques partisans. Ce serait un cas de gain politique à court terme, au prix d’une douleur économique à plus long terme.
Conclusion
La conclusion est inéluctable. Ce serait fort irresponsable pour Donald Trump de déclencher une guerre commerciale, notamment contre des pays alliés, alors que l’économie américaine est déjà en pleine phase de prospérité. Règle générale, les politiciens ne devraient pas jouer avec l’économie à des fins politiques partisanes.
La plupart des Américains, qu’ils soient travailleurs ou consommateurs, devront payer un prix élevé lorsque les entreprises américaines subiront le contrecoup des nouvelles taxes douanières et devront hausser leurs prix. La même chose se produira dans les autres pays victimes des taxes américaines à l’importation. Le protectionnisme a déjà été essayé et cela ne fonctionne pas.
L'auteur, Le Prof. Rodrigue Tremblay, est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et un ancien ministre dans le gouvernement québécois.
- Source : Rodrigue Tremblay Blogspot (Canada)