Pierre Moscovici capitule une seconde fois devant la finance
Décidément Pierre Moscovici est un cas. Le ministre de l’Economie s’obstine à travailler dans une seule et unique direction : édulcorer systématiquement les réformes promises par François Hollande. Ainsi, alors qu’il aurait du être le bras armé de la lutte contre la finance, « l’ennemi invisible » désigné par le candidat socialiste à la présidentielle lors du discours du Bourget, il s’acharne au contraire à apparaître comme l’agent des financiers dans l’Etat. L’année dernière il avait frappé un premier coup avec sa loi de « séparation des banques », qui ne séparait…rien du tout. A l’époque, Marianne l’avait accusé d’avoir capitulé et d’entraîner ainsi François Hollande dans la voie de la collaboration avec l’adversaire.
Et voici qu’à la veille de l’été notre Mosco récidive, en plaidant cette fois contre la taxe sur les transactions financières -autre engagement majeur du François Hollande- au motif qu’elle serait trop ambitieuse !
Alors que la taxe en question est dans sa dernière ligne droite et doit être appliquée le 1er janvier 2014 par onze pays européens (dont l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne…), le ministre français a tout d’un coup des vapeurs. Devant l’establishment de la finance française réuni par Paris-Europlace, il déclare : la « mise en œuvre (de la TTF) rencontre de nombreux obstacles : pour y parvenir il nous faut être pragmatiques et réalistes. La proposition de la Commission m’apparait en effet excessive et risque d’aboutir au résultat inverse de ce qui est souhaité par le Gouvernement, en agissant comme repoussoir pour une vraie taxe européenne généralisable à toute l’Union. »
On est loin de l’avis des députés socialistes français au Parlement européen, qui triomphaient le 4 juillet en s’écriant: « les responsables de la crise vont payer ! »
Joli volte-face donc pour Moscovici et les socialistes. Désormais la France, qui avait été à l’origine de la TTF, freine des quatre fers : selon Bercy, le projet aurait une assiette trop large. Il faudrait en exclure les emprunts d’Etat et aussi les prêts entre banques (Repo). Et surtout le taux frappant les produits dérivés (0,01%) serait trop élevé. Des arguments qui révèle le travail de sape d’un lobby bancaire n’ayant jamais accepté la taxe Tobin. La thèse en vogue cet été serait la menace sur la « compétitivité de la place de Paris ». Pensez donc, avec une taxe pareille, les banquiers français seraient en position d’infériorité par rapport à leurs homologues britanniques ou américaines… Une antienne bien –ou trop- connue. Un élément d’actualité est venu la renforcer: la bourse de Paris va bientôt être à vendre ! Explication : NYSE-Euronext (1), issu en 2006 de la fusion du New York Stock Exchange et de Euronext (bourses de Paris, Bruxelles et Lisbonne) a décidé de se débarrasser de ses entités européennes (Paris, Lisbonne, Bruxelles, Amsterdam) en les introduisant en bourse. Gérard Mestrallet, grand manitou de la finance française en tant que président de Paris-Europlace, cherche à constituer un tour de table pour contrôler ce « machin ». Il agite la crainte que les produits dérivés, taxés en dans les pays appliquant la TFF, aillent se faire coter ailleurs, réduisant le nombre de transactions (sur lesquelles se rémunèrent les bourses) et donc diminuant l’intérêt des investisseurs à placer leur argent dans le futur Euronext…
On comprend que les financiers fassent tout pour garder leur poule aux œufs d’or, car ces produits dérivés sont ceux avec qui on fait le maximum de profit, comme l’a prouvé l’affaire Kerviel. Mais est-ce l’intérêt pour la France de vouloir exonérer la fiance la plus spéculative (les produits dérivés) tout en taxant à 0,1% la finance productive, c’est à dire les actions et obligations des entreprises? Certes pas. L’exemple du Canada est là pour le démontrer : ce pays avait, au contraire des Etats-Unis, un secteur bancaire très peu développé. Il fut parmi ceux qui souffrirent le moins de la crise des subprimes…
L’enjeu pour les banquiers est de quelques milliards… à quelques dizaines de milliards. Les calculs de l'ONG Oxfam fixaient le rendement de la taxe de 4,5 à 35 milliards d’euros, selon l’assiette choisie. Selon le groupe socialiste du Parlement européen, la version actuelle (celle de la commission modifiée par le parlement européen apporterait environ 20 milliards d’euros par an, pour onze pays. On est donc loin d’une vision maximaliste ! Mais pour un banquier un euro, c'ets un euro...
Le dossier sur le site de l’Europarlement ici
(1) En 2006, les financiers français qui contrôlaient la bourse de Paris avaient préféré la fusion avec New York plutôt qu'un projet soutenu par Jacques Chirac d'un rapprochement avec Francfort. Décidément nos banquiers ne sont pas des aigles!
- Source : marianne.net