Le révélateur grec
La fermeture décidée par le gouvernement grec des chaînes de radio et de télévision publiques (ERT) a provoqué une énorme émotion, tant en Grèce qu’à l’étranger. Les chaînes publiques italiennes ont inséré le logo de la compagnie d’État grecque et des mouvements de solidarité se sont produits dans toute l’Europe. D’importantes manifestations ont eu lieu à Athènes, et l’émotion légitime provoquée par ce geste n’est pas prête de s’éteindre. Cet acte, qui est en réalité en contravention avec les règles de l’Union européennes stipulant que chaque pays doit avoir une radio et une télévision publiques, n’est que la réaction de panique du gouvernement devant l’effondrement des ressources fiscales.
La Grèce est en réalité sur la voie fatale de toutes les économies où l’on essaye d’imposer une austérité brutale. Le gouvernement cherche à réduire un déficit budgétaire qu’il estime excessif. Il commence par supprimer des dépenses et augmenter les impôts, mais, le multiplicateur des dépenses publiques, cette relation entre les dépenses et la croissance, est en réalité très supérieur à 1 (1), comme l’a reconnu au début de cette année l’économiste en chef du FMI (2). Il en résulte une baisse de l’activité, qui se traduit par une baisse des recettes fiscales. Tout cela est bien connu des économistes (3), même si l’Union Européenne continue de prétendre, contre toutes les évidences, que le multiplicateur est inférieur à 1 et que la contraction tant budgétaire que fiscale n’a pas d’impact sur l’activité économique.
Face à la reconduction du déficit, le gouvernement s’affole et procède à un nouvel ajustement budgétaire (réductions des dépenses) et fiscal (augmentation des impôts). Ce faisant, il ne fait qu’accélérer la chute de la production et de la richesse, et donc des recettes. Le déficit n’a donc pas diminué en pourcentage, même si en valeur absolue il s’est réduit. Le gouvernement persiste donc, et l’économie entre dans un cycle mortifère de réduction des dépenses, d’accroissement des impôts et de contraction de l’activité.
Mais, au bout de quelque temps, d’autres mécanismes se mettent en place qui vont aggraver la situation. D’une part, quand des politiques d’austérité sont menées simultanément dans plusieurs pays voisins, leurs effets s’additionnent (4). Mais, de plus, la fiscalité elle-même pose problème. Les entreprises, surchargées par une fiscalité excessive, entrent dans ce que l’on appelle « l’économie grise » et ne facturent plus leurs services ni ce qu’elles payent. Les recettes d’un impôt comme la TVA en diminuent d’autant.
Ou bien, n’étant plus payées par l’État, en raison de la compression des dépenses, elles accumulent lesretards de paiements des impôts. Quant aux ménages, qui ont vu leurs impôts directs augmenter de manière considérable en Grèc e alors que les revenus baissaient, ils sont dans l’impossibilité de s’acquitter de leurs impôts. Au bout du compte, l’effondrement de la fiscalité est encore plus dramatique que celui de la production, tandis que, dans le même temps, le chômage explose. C’est ce que l’on constate en Grèce.
Mais ceci n’est pas tout. Dans le même temps, les investissements s’effondrent dans tous les pays soumis à ces politiques assassines. La chute est particulièrement forte en ce qui concerne la Grèce, bien sûr, mais aussi l’Espagne et l’Irlande. Elle est importante au Portugal et en Italie. Or, sans investissement, non seulement il ne peut pas y avoir de modernisation de l’appareil productif, mais ce dernier en réalité se dégrade rapidement. Ceci touche en premier lieu l’industrie manufacturière.
La productivité horaire du travail va donc baisser en valeur absolue et, ce qui est encore plus grave, en valeur relative par rapport aux autres pays. Cela signifie que tous les efforts réalisés, tous les sacrifices consentis en particulier sur la baisse des salaires, pour accroître la compétitivité de ces économies vont être réduits à peu de chose si ce n’est à rien. Les pays concernés voient leurs chances de sortir de la crise diminuées à mesure même qu’ils appliquent des politiques censées porter remède à leurs problèmes. Ici encore, il y a une dimension cumulative dans cette situation. Avec plusieurs pays entraînés dans une dépression de longue durée, c’est toute l’Europe qui est désormais tirée vers la bas par les politiques imposées par l’Union Européenne et la Banque Centrale Européenne.
En fait, si l’on compare le total des investissements exprimés à prix constants dans les 9 pays représentants 95% du PIB de la Zone Euro, on constate que l’on est en 2012 à 79% du niveau de 2007. C’est dire l’ampleur et la gravité de cette crise, dont les événements de Grèce ne sont que la pointe avancée. De fait, le poids exprimé en pourcentage du PIB de la dette publique ne fait que monter, en dépit des politiques mises en œuvre pour le diminuer.
Ceci est bien le plus terrible aveu d’échec d’une politique dont les effets contreproductifs sont désormais évidents. Dans ces conditions, le répit constaté actuellement de la crise de l’Euro ne saurait durer éternellement. Il pourrait bien ne pas aller au-delà de cet été.
- Source : Agence de Presse Russe