Mainstream : retour à l'objectivité ou nouvelle stratégie de développement ?
On vit véritablement dans une époque fort intéressante. Celle de grands changements.
Durant le début et le milieu des années 1990 et même jusqu’au début des années 2000, peu de gens auraient cru en le retour de la Russie sur la grande scène internationale, de même qu’en l’établissement et le renforcement d’unions telles que les BRICS ou encore l’Union économique eurasiatique. Pourtant on y est.
D'autre part, ce qui est particulièrement intéressant de suivre c'est le rôle des médias. En particulier ceux du mainstream. Depuis l'éclatement de l'URSS, ces médias n'ont fait que renforcer le sentiment d'unipolarité dans lequel le monde était plongé: un gendarme du monde et des médias qui ne faisaient que renforcer ce sentiment d'ultra-domination. Et les attentes d'une bien large partie de l'humanité pour modifier les rapports dans la politique internationale étaient tout aussi importantes que d'obtenir des sources alternatives d'information. Avec l'arrivée de la chaîne de télévision d'information continue RT en 2005, on connaitra le début d'une ère nouvelle dans l'information. Mais ce ne sera pas du jour au lendemain que les rapports de force vont s'inverser, ou plutôt s'équilibrer.
Il suffit de prendre l'exemple d'août 2008 lorsque le président géorgien de l'époque Saakachvili (aujourd'hui gouverneur d'Odessa en Ukraine), en pleine trêve olympique des JO d'été de Pékin, se lance avec l'aide de militaires étasuniens dans une guerre contre l'Ossétie du Sud et sa capitale Tskhinval, eu tuant dès les premières heures les représentants des forces de maintien de la paix de la CEI, ainsi que les civils ossètes, pris totalement à l'imprévu. Beaucoup parleront de début d'un génocide programmé depuis plusieurs années. Néanmoins, la Russie interviendra et stoppera l'aventure guerrière de Saakachvili et de ses soutiens washingtoniens. Tout en reconnaissant par la suite l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie qui étaient déjà de-facto indépendants depuis 1992 ayant refusé de faire partie de la Géorgie suite à l'éclatement de l'Union soviétique.
Mais en parlant des médias, cette page de l'histoire a été fort révélatrice puisque dès les déclenchements des hostilités, les médias du mainstream ne feront que parler « d'agression russe » contre la « petite Géorgie », en oubliant de mentionner qui a lancé l'agression, qui a massacré les civils ossètes et les forces de maintien de la paix. Plus encore, certains médias étasuniens utilisaient des images de civils ossètes blessés pour les présenter comme « des victimes géorgiennes ». On se souvient d'ailleurs de l'image de cette femme ossète en sang pleurante et appelant à l'aide que certains sans vergogne présentaient comme étant géorgienne. Les médias du mainstream n'hésiteront pas en outre à couper la parole aux témoins ossètes, comme ce fut d'ailleurs le cas avec la chaîne étasunienne Fox News.
Venal American Media FOX NEWS about South Ossetian Conflict
Le présentateur pensait avoir affaire à des gens qui allaient témoigner de la supposée « agression russe » mais qui en réalité étaient des Ossètes (une jeune fille et sa tante) qui se trouvaient en Ossétie au moment des faits et qui ont ouvertement accusé Saakachvili d'être un criminel ayant lancé cette aventure guerrière et que sans les troupes russes, elles ne seraient peut-être pas en vie au moment de l'interview. Comme par hasard, le présentateur US fera tout pour rapidement rendre l'antenne.
Ceci étant un exemple parmi tant d'autres mais qui nous avait effectivement marqué. En tout cas aujourd'hui, personne ne remet plus en cause le fait que c'est bien la Géorgie de Saakachvili qui avait lancé l'agression à l'encontre de l'Ossétie du Sud.
L'apparition d'une alternative informationnelle était devenue criante. Depuis, le temps a en effet bien changé. Le développement d'internet a il faut le dire contribué à l'avènement d'un grand nombre de sources d'information qui permettent à toute personne désireuse d'en savoir plus de trier et de pouvoir se faire une analyse, avec sa propre opinion sur tel ou tel sujet à la clé. En tant qu'observateur ayant vécu à différents endroits du monde, je peux également témoigner de l'évolution de l'opinion publique ne serait-ce qu'en France ou au Maroc: d'une époque de quasi-totale confiance en les « médias les plus libres qui soient » (Le Monde, Le Figaro, Libération & Co.) on est passé à un rejet évident ou du moins à une large remise en cause de l'éthique professionnelle des dits médias. Pourtant les années qui nous séparent des deux périodes sont loin d'être longues.
Et aujourd'hui en voyant la nouvelle approche de certains médias du mainstream, on commence à se poser certaines questions: retrouvent-ils de l'objectivité? Le ciel leur est-il tombé sur la tête? Pourquoi ce brusque changement de ton et d'approche? Il suffit de prendre pour exemple le documentaire récent sur l'Ukraine du journaliste français Paul Moreira pour Canal+. Un documentaire ayant fait et qui continue de faire tellement de bruit en France et dans le monde francophone, le documentaire faisant maintenant figure presque d'un blockbuster hollywoodien, dont la diffusion ne désemplit pas les salles de cinéma. Pourtant l'auteur reprend des faits qui étaient déjà connus de nous bien avant la diffusion du documentaire. Des faits relayés bien avant ledit reportage par Sputnik et RT mais taxés de « propagande russe » par les autorités putschistes de Kiev et leurs soutiens occidentaux, sans oublier les « experts » médiatiques du mainstream. Et aujourd'hui, un média du mainstream reprendrait donc ces faits car devenus tellement évidents? La « propagande » serait-elle devenue la vérité? Pourrait-on donc affirmer que ce qui était annoncé au départ comme la plus pure des vérités sur les événements en Ukraine était en vérité de la propagande? Chacun fera sa propre conclusion.
En tout cas et personnellement, je pense que le travail de Paul Moreira était sincère. En revanche, l'acceptation de la diffusion de son travail par le leadership de Canal+ serait peut-être bien moins le désir de diffuser la vérité mais plutôt une nouvelle stratégie de certains médias du mainstream de se positionner en tant que sources d'informations alternatives auprès de leurs spectateurs. Pourquoi? Car sachant analyser l'opinion publique de leurs concitoyens et voyant le désir criant d'un autre type d'information, non pas propagandiste mais avec des éléments permettant d'analyser soi-même telle ou telle situation d'actualité. Et surtout une approche qui permet désormais à Canal+ d'attirer un auditoire encore plus large. Et qui dit auditoire plus large dit plus de moyens financiers et plus de marge de manœuvre.
Autre exemple tout récent: le documentaire de la chaîne TV France 2 sur la Syrie
Un oeil sur la planète - Syrie : le grand aveuglement - 18 février 2016
(Un œil sur la planète — Syrie: le grande aveuglement), où on retrouve une approche fortement différente de ce qu'on l'habitude de voir dans les médias occidentaux, dont français, lorsqu'ils traitent de la Syrie. Une approche beaucoup plus objective, n'en déplaira au philosophe de la guerre BHL. Pourtant on ne fait qu'y retrouver des faits dont on parle déjà depuis plusieurs années. Mes amis européens et africains m'appellent et m'écrivent pour savoir ce qu'il se passe. Les médias mainstrimois sont-ils soudainement devenus objectifs? Je ne pense pas. Certains journalistes peut-être (dans le cas de Moreira, son approche critique était déjà appréciée depuis son documentaire sur la Côte d'Ivoire de 2004). Mais qu'en-est-il du leadership de ces médias? Il est vraisemblablement à penser qu'il s'agit bel et bien d'une nouvelle stratégie pour retrouver la confiance d'une bonne partie du public et ne pas perdre complètement la face. Objectifs donc surtout commerciaux. Mais c'est déjà pas mal. Ah, la multipolarité…
- Source : Sputnik (Russie)