Pr Laurent Schwartz : J’ai l’espoir que le cancer soit bientôt classé maladie du passé
Cancérologue à l’AP-HP et chercheur à l’école Polytechnique, le Pr Laurent Schwartz considère le cancer comme une maladie simple du métabolisme des cellules tumorales, liée à un dérèglement enzymatique. Il mène des recherches pour élaborer un traitement non toxique, à base de produits de la pharmacopée courante. Sur des personnes incurables, les résultats de ses essais sont encourageants.
Alternative Santé: Vous défendez une vision métabolique du cancer, qui diffère de l’approche actuelle dominante tournée vers la génétique. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
Pr Laurent Schwartz: La piste des gènes, et de leurs anomalies, lesquelles seraient seules responsables du cancer, mobilise depuis quarante ans les chercheurs, engendrant des dépenses faramineuses.
Mais force est de constater qu’elle n’a pas permis de dégager de vraies solutions thérapeutiques. Les chimiothérapies, si elles peuvent fonctionner sur les enfants, sont le plus souvent dévastatrices sur les adultes.
La mortalité par le cancer n’a que très peu diminué depuis soixante ans, si l’on compare statistiquement en termes d’âge et de population, et les récentes thérapies ciblées n’inversent pas cette courbe. Dès la fin des années quatre-vingt-dix, face aux malades qu’on n’arrivait pas à soigner, j’ai commencé à envisager les choses autrement. Je me suis intéressé au fonctionnement de la cellule cancéreuse, à son métabolisme, et en particulier à la manière dont elle digère le glucose. Je ne considère pas le cancer comme une maladie génétique, mais plutôt énergétique, résultant du métabolisme anormal de la cellule tumorale. Le rôle des gènes dans le cancer est en fin de compte secondaire.
Au cours de mes recherches, j’ai compris que le cancer est une maladie simple en lien avec la digestion cellulaire et des dérèglements enzymatiques. Et ces mêmes mécanismes jouent sûrement un rôle crucial dans les maladies neurodégénératives, comme Parkinson et Alzheimer.
A. S. Pour comprendre le métabolisme perturbé de la cellule cancéreuse, vous avez exhumé les travaux du prix Nobel allemand de médecine en 1931, Otto Warburg…
Pr L. S. Jacques Leibowitch, codécouvreur du virus du sida, m’a un jour conseillé de relire les travaux du chercheur allemand Otto Warburg, lesquels étaient tombés dans l’oubli. Ça a été un long travail de décryptage, certains termes et notions de l’époque étant différents de ceux d’aujourd’hui.
Warburg a mis à jour il y a quatre-vingt- dix ans l’une des clés de compréhension du cancer. Il a montré que la cellule tumorale consomme d’énormes quantités de glucose, qui est son seul carburant, et qu’elle ne parvient pas ensuite à l’assimiler complètement.
Donc la cellule se met à grossir, elle fermente et produit de l’acide lactique, ce qui favorise sa division. Les cellules se multiplient alors de manière anormale, la tumeur augmente de taille et se trouve sous pression. De manière mécanique, des métastases s’échappent à distance dans l’organisme. La cellule cancéreuse est en quelque sorte en synthèse permanente. Incapable de brûler, elle ne peut s’arrêter de grossir. Mes recherches m’ont ensuite permis d’aller plus loin que Warburg. Le problème central se situe dans le système mitochondrial de la cellule tumorale, le lieu de la respiration cellulaire, qui est inactivé. C’est là que se concentrent nos efforts de compréhension.
A.S. Fort de ces découvertes sur le métabolisme défaillant de la cellule cancéreuse, vous avez alors commencé à faire des essais sur des souris. Que cherchiez-vous ?
Pr L. S. À mettre au point un traitement efficace et non toxique permettant de freiner la progression du cancer. L’idée est de changer de paradigme : il ne s’agit plus de tuer les cellules cancéreuses, comme avec les chimiothérapies, mais d’influer directement sur leur métabolisme. Avec l’aide du docteur Maurice Israël, un des plus grands neurochimistes français, nous avons retenu une centaine d’enzymes potentiellement responsables de cette synthèse qui ne s’arrête jamais dans la cellule tumorale. Nous avons ensuite procédé à des tests sur près de 12 000 souris, en utilisant des produits courants de la pharmacopée. Nous avons sélectionné une combinaison de deux molécules : l’acide alpha-lipoïque, qui est un traitement reconnu des neuropathies diabétiques, et l’hydroxycitrate, un complément alimentaire utilisé pour perdre du poids. Les résultats, que nous avons fait confirmer dans un laboratoire en Allemagne, ont mis en avant un ralentissement de l’évolution de la tumeur chez toutes les souris, sur tous types de cancer confondus, ce qui laisse supposer une universalité du traitement. En moyenne, les souris vivent trois fois plus longtemps.
En 2007, un de mes proches, un collègue de Polytechnique, a eu un diagnostic de cancer du côlon avancé, avec dix-huit mois d’espérance de vie. Il n’avait rien à perdre, il a essayé la combinaison de médicaments que j’avais au préalable testée sur moi-même, et ce, afin d’évaluer ses effets secondaires.
Il a survécu cinq ans. C’était un résultat très encourageant.
A. S. Avec la publication de votre livre « Cancer : guérir tous les malades ? », en 2013, les choses se sont accélérées, des malades sont venus jusqu’à vous, intéressés par vos recherches et souhaitant y participer…
Pr. L. S. Malgré mes nombreuses publications scientifiques, restées sans écho, je n’ai pas reçu de soutien financier de la part des administrations sollicitées pour poursuivre mes recherches et mener des essais cliniques. Parallèlement, des malades sont venus spontanément à moi et ont constitué en 2014 l’association Cancer et Métabolisme, qui compte aujourd’hui 800 membres. Je m’occupe personnellement et gratuitement de certains d’entre eux, notamment via ma consultation de cancérologie à la clinique Alleray-Labrouste, à Paris. Je leur propose une combinaison de trois médicaments, les deux précédemment cités, plus le Naltrexone à faible dose, un produit utilisé contre les inflammations chroniques comme la sclérose en plaques. Certains présentent un ralentissement de la maladie, voire des régressions de la tumeur, avec des améliorations parfois miraculeuses. Sur une vidéo récemment mise en ligne*, je relate les résultats thérapeutiques et le détail du traitement donné à onze patients volontaires. Ils étaient tous considérés comme condamnés, avec trois à six mois d’espérance de vie, et ont été renvoyés chez eux. Cinq d’entre eux sont toujours en vie, deux ans et demi après le début du traitement.
A. S. Pourquoi avoir constitué un groupe de recherche fondamentale interdisciplinaire sur le cancer à l’école Polytechnique ? C’est une démarche atypique…
Pr L. S. C’est la seule manière de travailler pour faire émerger des idées radicalement nouvelles. J’ai constitué ce groupe au fil des rencontres et des amitiés, dans lequel se croisent bio-informaticiens, neurochimistes, mathématiciens, physiciens, chirurgiens… Nous travaillons aussi en réseau avec l’étranger, avec Harvard, où j’ai fait mes études de cancérologie, ou avec l’institut Pasteur à Téhéran.
Pour changer de paradigme, il est bon de sortir des sentiers battus rigides et austères de l’institution.
Tous ces scientifiques et ces intellectuels sont des gens libres, c’est à cette unique condition qu’ils sont capables de générer des hypothèses novatrices. De fait, nos recherches sont indépendantes des laboratoires pharmaceutiques, qui ne s’y intéressent pas car il n’y a aucune rentabilité à la clé. Les molécules que j’utilise et sur lesquelles je fais des essais sont déjà sur le marché, et elles sont peu chères. Notre budget de recherche est de l’ordre de 2 à 3 millions d’euros depuis les débuts, il y a vingt ans. C’est une somme dérisoire, à l’échelle des programmes de recherche habituels sur le cancer. J’y ai de plus investi une partie de mon argent personnel.
A. S. Vous dites « avoir l’impression d’avoir trouvé un traitement contre le cancer ayant une efficacité réelle »…
Pr L. S. Cela peut paraître surprenant, tant la vision commune du cancer est celle d’une maladie compliquée, longue à combattre et qui coûte cher. Mon équipe et moi avons la sensation d’avoir compris quelque chose de décisif.
Nos recherches s’accélèrent depuis quelques mois, nous testons de nouvelles molécules, avec des résultats probants. Le soutien et la participation des malades, qui ont le courage de parler en dépit du tabou que cela représente, sont fondamentaux dans ces avancées. La situation actuelle de la lutte contre le cancer, qui se trouve dans l’impasse, n’est pas viable à court terme. Il faut aller vite, le temps du cancéreux n’est pas celui de la recherche. La vision métabolique du cancer progresse partout dans le monde. J’ai l’espoir que le cancer soit classé maladie du passé.
Entretien réalisé par Isabelle Fontaine
Le Pr Laurent Schwartz est un cancérologue de l’AP-HP, détaché à l’école Polytechnique. Major de sa promotion de la faculté de médecine de Strasbourg, puis major en oncologie à Harvard, il commence sa carrière aux États-Unis, puis regagne la France où il travaille dans plusieurs hôpitaux. En 2001, il publie un premier essai « Métastases, vérité sur le cancer » (Éd. Hachette) dans lequel il pointe du doigt l’impasse dans laquelle se trouve la lutte contre la maladie. Il fonde il y a une quinzaine d’années un groupe de recherche pluridisciplinaire sur le cancer à l’école Polytechnique, regroupant des scientifiques d’horizons différents, tous investis dans une approche nouvelle de la maladie, centrée sur la compréhension du métabolisme défaillant de la cellule cancéreuse.
- Source : Alternative Santé