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Comment le FMI et la Banque mondiale ont pris le contrôle de la Tunisie

Auteur : Agnès Rousseaux | Editeur : Stanislas | Jeudi, 18 Avr. 2013 - 14h34

Le FMI a décidé d’appliquer ses célèbres méthodes en Tunisie. Un document confidentiel, révélé fin mars par des médias tunisiens, a provoqué l’embarras des responsables politiques. En échange d’argent frais de la part du FMI [1], ceux-ci se sont engagés sur un planning de réformes structurelles, à un rythme effréné. Au programme : augmentation du prix des carburants, baisse des impôts pour les entreprises, déplafonnement des taux d’intérêt (pour permettre aux banques d’améliorer leur rentabilité), audit des entreprises publiques de l’énergie – gaz, électricité et raffinage des produits pétroliers... Ce qui laisse présager des privatisations. Un alléchant menu néolibéral, que le gouvernement prévoit de concocter en 9 mois.

La recette, elle, semble avoir été préparée par les institutions financières internationales. Dans une lettre à Christine Lagarde, patronne du FMI, le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque Centrale tunisienne s’engagent à consulter les services du FMI pour « toute re?vision » de ce programme de dérégulation. L’opposition et la société civile s’indignent de cette ingérence dans la politique économique du pays. « La Tunisie est le laboratoire du FMI et de la Banque mondiale, qui profitent du non-professionnalisme des élus et du gouvernement », analyse Chafik Ben Rouine, porte-parole de l’ACET (Auditons les créances envers la Tunisie).

Une dette héritée de la dictature

Pourquoi un tel traitement ? Pas le choix, avance le gouvernement. Ce sont les contre-parties du prêt accordé. Un prêt qui vient alourdir une dette tunisienne déjà importante : 30 milliards de dinars (15 milliards d’euros) [2]. Le remboursement de la dette constitue le premier poste de dépense publique. Soit trois fois le budget de la santé et cinq fois celui consacré à l’emploi ! Les créanciers ? La France, principal partenaire économique de la Tunisie [3], la Banque mondiale et la Banque européenne d’Investissement (BEI), dont la France est un des actionnaires principaux. Plus de la moitié de la dette tunisienne serait issue de la période du régime de Ben Ali (1987-2011). Chaque Tunisien hérite ainsi à la naissance d’une dette de 3 000 dinars (1 500 euros) qui appartient essentiellement à Ben Ali, décrit l’analyste Mehdi Khodjet El Khil.

La Tunisie doit-elle honorer ces dettes ? « Reconnaître la dette du dictateur, en décidant de poursuivre son remboursement, constitue un acte antinational, antidémocratique et une complicité de fait avec sa dictature », affirme Fathi Chamkhi, membre du Front populaire, et porte-parole du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde (CADTM) Tunisie. « Payer cette dette prive la Tunisie de moyens financiers très précieux, à un moment très critique de son histoire, et aggrave son endettement extérieur. » Des études [4] montrent que la Tunisie a perdu 29 milliards d’euros entre 1970 et 2010 à cause de la fuite de capitaux. Une raison de plus pour faire le point sur la situation financière du pays.

Qui a peur d’un audit ?

Avant l’élection de l’Assemblée nationale Constituante (ANC), en octobre 2011, tous les partis sont d’accord pour réaliser un audit. Et déterminer si une part – jugée illégitime – de la dette doit être annulée. Plus de cent parlementaires européens soutiennent la suspension des paiements de la dette, jusqu’à la réalisation d’un audit indépendant [5]. En 2012, des députés tunisiens déposent une proposition de loi en ce sens. Coup de théâtre en février 2013 : en pleine crise politique, suite à l’assassinat du leader politique Chokri Belaïd, le secrétaire d’État aux Finances, Slim Besbès, annonce le retrait du projet d’audit. Motif : le niveau de l’endettement de la Tunisie serait « gérable », affirme-t-il !

« C’est une ingérence inadmissible du pouvoir exécutif dans le travail législatif », s’indigne Chafik Ben Rouine. « C’est contre-révolutionnaire et illégal d’outrepasser la souveraineté de l’ANC en préférant suivre les instructions du FMI », s’insurge la députée Mabrouka M’Barek (Congrès pour la république, membre de la majorité au pouvoir), qui interpelle le secrétaire d’Etat sur les réseaux sociaux : « Pourquoi le FMI a si peur d’un simple audit !!! (…) M. Besbes, rappelez-moi pour qui vous travaillez ? Le peuple tunisien ? Non, le FMI bien sûr ! Alors dites à vos employeurs que le peuple tunisien est souverain, il est résolu à examiner 23 années de dictature et à déceler qui a financé ces années de torture et de surveillance policière. » Ambiance. Fin mars, le Front populaire appelle à suspendre pour trois ans le remboursement de la dette, en suivant l’exemple de l’Argentine, l’Equateur ou l’Islande.

La France reconnaîtra-t-elle ses erreurs ?

Du côté des créanciers, on préfère discuter nouveaux prêts, plutôt que moratoire ou annulation de dette. Des prêts qui servent à payer les dépenses courantes, dénonce l’ACET, et non des investissements, qui permettraient de pouvoir à terme rembourser cette dette. Cercle vicieux : la Tunisie doit s’endetter pour payer les intérêts de sa dette ! Et accroît sa dépendance vis-a-vis des créanciers internationaux. L’endettement de la Tunisie aurait ainsi augmenté de 20% ces deux dernières années...

Deauville, mai 2011. Le G8 décide de « soutenir » la transition de la Tunisie vers la démocratie. Et vers l’économie de marché. Pour l’occasion, le Qatar, le Koweit, l’Arabie saoudite et l’Union européenne avancent main dans la main. Alors ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé se rend en Tunisie pour demander au gouvernement provisoire d’élaborer un plan économique sur 5 ans. C’est sur cette base qu’un prêt d’un milliard de dollars est accordé à la Tunisie par l’Union européenne, la Banque mondiale et l’Agence Française de Développement [6]. « Comment un gouvernement provisoire, non élu, peut-il être légitime pour engager financièrement le pays, pour une telle somme ? », s’indigne Chafik Ben Rouine. Une question qui ne semble pas avoir effleuré le G8. Et une dette de plus pour la Tunisie.

Fin mars, l’Allemagne a décidé de transformer 60 millions d’euros de dette tunisienne en projets de développement. Pascal Canfin, ministre délégué au développement, a annoncé que la France envisagerait de suivre l’exemple allemand. L’Europe commencerait-elle à bouger pour soutenir la transition démocratique ? « La Tunisie ne représente rien pour les créanciers, mais ils ont peur de la contagion. Tous les pays autour de la Méditerranée sont concernés », interprète Chafik Ben Rouine. Reconnaître une dette illégitime, c’est aussi admettre qu’on a soutenu financièrement une dictature. Un aveu parfois difficile, visiblement, pour certains.


- Source : Agnès Rousseaux

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