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Venezuela : la presse française lâchée par sa source ?

Auteur : Resumen-Traduction Françoise López | Editeur : Walt | Vendredi, 07 Août 2015 - 01h18

Parmi les vieux tours de magie des médias français, de Jean-Hébert Armengaud (Courrier International) à Natacha Tatu (nouvel Observateur) (1), il y a la transformation de la droite vénézuélienne en sympathique club de combattants pour la démocratie. Une élite à laquelle la CIA accorde un crédit limité selon Wikileaks. Enchâssée dans son seizième siècle – avec domestiques mulâtres et modes fébrilement importées du monde blanc, elle reste dans l’impossibilité de sauter par dessus son propre être pour comprendre la démocratie participative (2), prête à “tout” pour revenir en arrière. D’où sa tendresse pour l’ère Pinochet, et depuis 2002, ses tentatives répétées de coup d’État, ses violences (comme au Salvador ou en Équateur) organisées avec l’appui du vaste réseau paramilitaire de l’ex-président colombien Alvaro Uribe. Si certains des leaders de “l’Aube Dorée” vénézuélienne – tels Leopoldo Lopez – sont arrêtés comme organisateurs de violences – celles de 2013 ont fait 43 morts, la plupart dans le camp bolivarien, et six membres des forces de l’ordre tués par balles – on peut compter sur les médias privés majoritaires au Venezuela et la presse française pour en faire… des prisonniers “d’opinion”.

Disons à sa décharge que la presse hexagonale relaie souvent l’états-unienne (3). Elle devrait donc être particulièrement intéressée par la dissonance de Foreign Policy, un média pourtant réputé peu sensible aux causes révolutionnaires. Sous le titre suggestif de « The Making of Leopoldo Lopez » (“La fabrication de Leopoldo Lopez”), la revue politique explique en effet le surgissement de la vedette internationale de la droite vénézuélienne comme un produit du marché des médias états-uniens tout en apportant des éléments qui mettent en doute ses soi-disant “principes démocratiques irréprochables”…

Newsweek a parlé de ses « yeux étincelants couleur chocolat et ses pommettes hautes » et a appelé Lopez « un révolutionnaire complet ». Le New York Times a publié une photo de lui, la bouche ouverte, le poing levé, criant devant une multitude de manifestants et lui a accordé une page sur sa plateforme éditoriale. A New York, quand les Nations Unies ont tenu session en septembre dernier, les manifestants se sont réunis pour montrer leur soutien à Lopez et le président Barack Obama l’a mentionné dans un groupe de prisonniers politiques de pays oppresseurs comme la Chine et l’Egypte qui « méritent d’être libres ».

Lopez, qui a donné des interviews sans chemise, est arrivé à incarner la liberté et la démocratie pour le monde entier, avec des stars comme Kevin Spacey jusqu’à Cher manifestant pour sa cause tandis que l’étiquette #freeleopoldo s’emballe sur Twitter, signale l’analyse.

Le profil inattendu, écrit par Roberto Lovato, un chercheur d’origine salvadorienne, révèle que pendant son séjour dans différents centres éducatifs pour les élites aux Etats-Unis, Lopez s’est fait d’étroites relations avec des hommes politiques et des entrepreneurs influents qui lui ont permis de se forger une image qui l’assimile à une combinaison de “Nelson Mandela, Gandhi, et de son grand-oncle éloigné, Simon Bolívar”.

Ces relations, parmi lesquelles se détachent les consultants politiques républicains Leonardo Alcivar et Rob Gluck ainsi que l’ancien membre de la banque d’investissement J.P. Morgan, le Vénézuélien Pedro Burelli qui, pendant l’ère pré-Chavez, fut directeur de PDVSA, l’entreprise pétrolière d’Etat du Venezuela.

Burelli fut, selon ce qu’il a assuré lors d’une interview, celui qui amena Lopez à travailler comme fonctionnaire du géant de l’énergie vénézuélien de 1996 à 1999 quand il organisa avec sa mère le scandale d’une donation de 120 000 dollars pour l’organisation politique qui précéda la formation du parti Primero Justicia.

Burelli se considère lui-même comme « un très bon ami » de Lopez et a dit qu’il a donné des conseils informels au leader de l’opposition lors de ses nombreuses transitions politiques polémiques depuis l’époque de Lopez au PDVSA aux plus récents affrontements avec le gouvernement de Maduro, précise l’article long et détaillé publié lundi dans Foreign Policy.

Selon le profil, Lopez a étudié à « l’Ecole Hun de Princeton, un internat privé d’élite au New Jersey. Ce fut à Hun, qui a parmi ses élèves des princes saoudiens, le fils d’un président des Etats-Unis et le fils d’un CEO de Fortune 500.”

Lopez est passé de Hun à Kenyon College, une université des arts libéraux dans l’Ohio où il a développé certaines des relations qui lui serviraient actuellement. Ce fut un ancien camarade de classe et consultant politique, Rob Gluck, qui dirigea ses efforts pour créer Friends of a Free Venezuela, le groupe de défense centré sur les médias qui fait aux Etats-Unis une forte campagne pour la libération de Lopez. Comme témoignage du « fort impact (que Lopez) a eu sur les gens », Gluck, porte-parole du groupe, me dit: « à quelques jours de l’arrestation, en réalité, à quelques heures, » des amis de Kenyon occupant des positions influentes dans le journalisme, les communications, la défense, et le gouvernement « ont envoyé un courrier électronique, une connexion, des volontaires (et) en demandant: « Que pourrions-nous faire? »

Certains de ces camarades de classe ont fondé la campagne Free Leopoldo, un groupe d’avocats avec beaucoup de relations qui a impulsé une campagne vibrante de réseaux sociaux au nom de Lopez. Parmi les camarades de classe de Kenyon, qui ont aidé Free Leopoldo aux Etats-Unis, se trouve le membre du Parti Républicain Leonardo Alcivar, qui a dirigé les stratégies de communication pour la campagne du pré-candidat Romney et pour la Convention Nationale Républicaine 2004 et qui travaille maintenant dans une entreprise de communications conseillant les entreprises sur leur stratégie on-line. Le même Gluck est aussi un ex stratège républicain qui a travaillé à la campagne présidentielle de Lamar Alexander et à la campagne réussie pour le bien connu gouverneur de California, Gray Davis, qui s’acheva par l’élection d’Arnold Schwarzenegger. Actuellement, il est gérant associé de High Lantern Group, une firme de stratégie de communication basée à Pasadena. Il a dit que Lopez « a toujours été progressiste » et que dans le spectre politique des Etats-Unis, il serait « à la gauche du centre ».

Gluck soutient Friends of a Free Venezuela – « temps personnel, passion, et les relations pour stimuler le travail », dit-il – mais son entreprise de communications a aussi été engagée par la famille Lopez, dit-il, pour « apporter le message sur la situation (de Lopez) ».

“Leopoldo marque mieux”

Le travail de recherche dessine les éléments esthétiques et symboliques qui entourent l’image de Lopez qui « se présente comme une étoile du rock parmi les jeunes activistes de l’opposition même après son arrestation ».

Par la voix des interviewés, il recueille les valeurs qu’il incarne et reproduit:  » Leopoldo est une personne extrêmement démocratique et catholique », me dit Alejandro Aguirre, membre du JAVU (Juventud Activa por Venezuela Unida), un des principaux groupes d’étudiants de la droite radicale qui étaient derrière les protestations de février. « C’est aussi un athlète » ajoute Aguirre que j’ai connu le 7 mai lors d’un forum de l’opposition intitulé « Penser différemment n’est pas un crime » qui fut organisé par El Nacional, un des journaux les plus importants du pays. « Les athlètes sont moralement propres, sans tache et mentalement plus forts que les autres. » Il a aussi dit que Lopez était un bon père de famille. “Leopoldo”, dit-il, est un exemple pour la jeunesse. »

Lovato souligne que dans les médias des Etats-Unis, on signale rarement les divisions profondes entre la MUD et son leader Henrique Capriles, et l’aile plus jeune, plus radicale de l’opposition vénézuélienne conduite par Lopez… » Il évoque le fait que cette confrontation est racontée avec l’émotion d’un roman feuilleton et cite un épisode révélé par un câble de l’ambassade des Etats-Unis à Caracas révélé par Wikileaks.

“Maria Ponte, membre distingué du parti d’opposition de centre-droite Primero Justicia a dit une fois, selon un câble diplomatique des Etats-Unis 2009 que « la seule différence entre les 2 est que Lopez marque bien mieux » (par opposition à Capriles).

« Dans une section du même câble de l’ambassade des Etats-Unis intitulé « Le Problème Lopez », des fonctionnaires du Département d’Etat des Etats-Unis décrivent Leopoldo Lopez comme une « figure qui divise à l’intérieur de l’opposition » qui est « souvent décrit comme arrogant, vindicatif et assoiffé de pouvoir – mais des fonctionnaires du parti reconnaissent aussi son éternelle popularité, son charisme et son talent d’organisateur ». Certainement, aucun leader antérieur de l’opposition vénézuélienne n’a réussi à se projeter sur la scène internationale comme l’a fait Lopez, ajoute le reportage. »

Le “défenseur de la démocratie” et son rôle dans le coup d’Etat de 2002.

Foreign Policy explique que « le soutien international à Lopez a dépendu en grande partie de son image en tant que défenseur inconditionnel de la démocratie – pour quelqu’un qui est à une certaine distance de la tentative de coup d’Etat hautement impopulaire d’avril 2002 lors de laquelle des éléments qui obéissaient aux leaders militaires et patronaux ont renversé le président Chavez pendant 47 heures. »

Ce point a été une grande préoccupation pour le leader d’opposition vénézuélien et ses partisans car « en juillet 2014 le « livre blanc » sur le procès, écrit par 2 avocats qui l’ont représenté, lui et sa famille – Jared Genser et José Antonio Maes – affirmait que « Lopez n’était pas un partisan du coup d’Etat et qu’il n’a pas signé la Loi de Constitution du gouvernement de Transition Démocratique et d’Unité Nationale (« Décret Carmona »), le document qui a tenté de renverser Chavez et de dissoudre la Cour Suprême et l’Assemblée Nationale… et qu’il n’était pas avec les leaders patronaux qui l’ont exécuté ».

Il ajoute que Lopez lui-même évoque souvent sa loyauté à la Constitution comme dans l’article d’opinion publié dans le New York Times en mars 2014 dans lequel il écrivait: « Un changement dans la direction peut être obtenu complètement dans le cadre constitutionnel et légal ».

Mais des interviews de figures clef du coup d’Etat de 2002, un coup d’oeil sur les proches collaborateurs de Lopez et une révision des reportages de la presse vénézuélienne, des événements enregistrés en vidéo et des documents du gouvernement états-unien dépeignent un cadre plus complexe concernant ces affirmations, explique Lovato en préambule aux découvertes frappantes et inattendues (pour le public états-unien).

Avec les années, l’argumentation avance. Lopez a souligné que lui, n’avait pas signé le décret Carmona – il y a des preuves qui indiquent qu’il l’a fait – et qu’il n’avait aucun rôle dans l’organisation de la tentative de coup d’Etat. « A aucun moment Lopez ne fut un défenseur du coup d’Etat et il n’était pas allié avec les leaders patronaux qui l’ont mis en oeuvre » peut-on lire dans les “white paper” de ses avocats.

Mais les rapports d’information, des registres parlementaires, des documents du gouvernement des Etats-Unis, des enregistrements vidéo et des interviews montrent que Lopez n’était pas si éloigné de la tentative de coup d’Etat et de ses conspirateurs que ce que lui-même et ses représentants affirment. Certains des putschistes et des signataires du décret Carmona étaient à ce moment-là ou sont maintenant membres du cercle intime de Lopez.

Leopoldo Martinez, un leader de l’opposition au parlement pendant de nombreuses années, qui a fait ses études à Harvard et qui a milité à Primero Justicia avec Lopez, a été nommé ministre des Finances du gouvernement putschiste (éclair) de Carmona. Maria Corina Machado, la plus proche alliée de Lopez qui s’est jointe à lui pour appeler aux protestations en février dernier, a signé ce décret, ainsi que Manuel Rosales, un ex dirigeant de Un Nuevo Tiempo, un parti auquel Lopez s’est joint et qu’il a aidé à construire en 2007 (et il en fut expulsé en 2009).

Notes:

(1) Natacha Tatu (“Nouvel Obs”, France) présente Maria Corina Machado comme une victime du pouvoir, égérie sympa de la lutte pour la démocratie. Héritière d’une des grandes familles de l’oligarchie, leader de l’extrême droite, Mme Machado signa en avril 2002 le décret de l’éphémère et meurtrier coup d’État contre le président Chavez, qui porta au pouvoir durant 48 heures le patron des patrons Pedro Carmona. Ce décret abolissait toutes les institutions démocratiques telles que la constitution et l’assemblée nationale, tandis que la police putschiste faisait la chasse aux opposants. En juin 2013, dans une conversation téléphonique, Machado évoque ses contacts avec les États-Unis et la nécessité de tenter un nouveau coup d’État précédé de « confrontations non-dialogantes » ( https://youtu.be/M5OOKvfj23w)…

Bilan de ces violences en 2014 : 43 morts, la plupart dans le camp bolivarien et six membres des forces de l’ordre tués par balles. “Il faut nettoyer cette porcherie, en commençant par la tête, profiter du climat mondial avec l’Ukraine et maintenant la Thaïlande” insiste-t-elle en 2014 dans un des mails échangés avec l’ambassadeur états-unien en poste à Bogota, Kevin Whitaker. “C’est l’heure de faire des efforts, de procéder aux appels nécessaires et d’obtenir le financement pour anéantir Maduro, le reste tombera de son propre poids » ajoute Machado. Dans une enquête récente, le journaliste Ignacio Ramonet explique que le 12 février 2015, le siège de la télévision publique Telesur où travaillent 800 employé(e)s et l’Assemblée Nationale devaient être bombardés lors d’une tentative de coup d’État. Sur tous ces faits, on peut lire également“C’est l’heure d’anéantir Maduro”, https://venezuelainfos.wordpress.com/2014/05/29/%C2%A8cest-lheure-daneantir-maduro-le-reste-tombera-de-son-propre-poids%C2%A8-les-visages-reveles-du-plan-de-coup-detat/.

(2) Sur le racisme et la misogynie de la droite vénézuélienne : La misogynie de l’opposition vénézuélienne, par Lidia Falcón O’Neill, https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/07/19/la-misogynie-de-lopposition-venezuelienne-par-lidia-falcon-oneill/ et https://venezuelainfos.wordpress.com/2012/05/26/afrique-mere-patiente-de-la-revolution-bolivarienne/

(3) Sur ce cordon ombilical, le triste exemple du service public: “Thomas Cluzel ou l’interdiction d’informer sur France Culture”, https://venezuelainfos.wordpress.com/2015/03/12/thomas-cluzel-ou-linterdiction-dinformer-sur-france-culture/


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