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Avec Russia Today, la Russie a-t-elle gagné la guerre de l'information?

Auteur : Alexandra Del Peral | Editeur : Walt | Mercredi, 29 Juill. 2015 - 20h03

Un rapport publié en avril dernier par l'institution en charge des médias publics américains affirme que les Etats-Unis sont en train de perdre la guerre de l'information face à la Russie. Comment en l'espace d'une décennie, Moscou a-t-il réussi à s'imposer dans le paysage médiatique international?

Les cadres du Broadcasting Board of Governors, l'institution en charge des médias publics américains tels que Voice of America ou Radio Liberty sont formels: les Etats-Unis se font distancer par la Russie dans la guerre de l'information: "Nos concurrents qui véhiculent un message anti-américain sont en train de gagner la guerre de l'information qu'ils ont eux même lancée... La stratégie des médias américains doit être revue". 

En l'espace d'une décennie, la Russie a su s'imposer durablement sur la scène médiatique internationale grâce notamment à sa chaîne RT, acronyme de Russia Today, qui émet aujourd'hui en huit langues. Lancée le 10 décembre 2005, par le président Vladimir Poutine, elle s'est vue assigner deux objectifs officiels: briser le monopole des médias anglo-saxons et dresser un portrait "non biaisé" de la Russie. 

Depuis 2012, elle est dotée du statut juridique d'entreprise stratégique veillant aux intérêts de la Russie, ce qui la protège d'éventuelles coupes budgétaires. D'ailleurs, pour la seule année 2015 sa dotation s'élève à 220 millions de dollars. Un record depuis le lancement de la chaine.

L'incarnation de la nouvelle diplomatie Russe

"Il serait grand temps que les représentants occidentaux se réveillent et se rendent compte de ce que les Russes ont concocté depuis une décennie" ! s'exclame Anne Nivat, grand reporter et écrivain, spécialiste de la Russie. Selon elle, RT serait "une nouvelle forme de diplomatie", une façon pour la fédération russe de transmettre au monde sa vision de la politique étrangère : "Personne n'est dupe. RT est un média aux ordres. D'ailleurs, les Russes se moquent totalement de l'argent investi car ils ont bien conscience que RT est une arme". 

Avec plus d'un million et demi d'abonnés, RT est la première chaîne d'information sur le réseau Youtube, loin devant CNN ou encore Al Jazeera qui comptent respectivement 875.000 et 716.000 abonnés. C'est également la première chaîne d'information à avoir atteint le milliard de vues sur Youtube. Un record.  

Tout commence en 2003 lorsque Vladimir Poutine commande un sondage sur la perception de la Russie par les Américains. Le résultat du sondage est sans équivoque. Le maître du Kremlin comprend alors que son pays a un problème d'image. Pour y remédier, il décide de frapper un gros coup et de créer une chaîne d'information internationale en langue anglaise. Celle-ci doit permettre à Moscou de contrecarrer la couverture des journalistes étrangers, qui se concentrent sur la corruption et les droits de l'homme et dressent un portrait à charge de la fédération russe.  

Deux évènements vont venir conforter le Kremlin dans l'idée de développer la chaîne. La crise du gaz avec l'Ukraine, en 2006, et la crise géorgienne, en 2008. Durant ces deux épisodes, la Russie a été vivement attaquée et son image à l'étranger s'en trouve dégradée. 

Le Kremlin décide alors d'agir et d'intensifier sa stratégie de relations publiques. La contre-attaque se fait dès 2007 avec le lancement de Rusiya Al Yaum, une chaîne entièrement dédiée au public arabophone. Deux ans plus tard, RT s'attaque au public hispanophone et lance "RT en español". Là encore, l'objectif est clair : séduire l'audimat sud-américain déjà convoité par la version espagnole de CNN : CNNE. En 2010, le marché américain découvre RT America. Puis à l'automne 2014, RT UK voit le jour suivi au printemps 2014 de RT Deutchland et de RT Chinese. Depuis sa création, RT n'a cessé d'étendre son influence.. La France ne dispose pas à ce jour d'une antenne de télévision mais d'un site internet qui couvre l'actualité française et internationale dans la langue de Molière.

Une chaîne politiquement incorrecte

Si RT se veut le porte- voix des intérêts russes, elle le fait avec une subtilité qui échappait totalement aux bulletins officiels diffusés naguère par Radio-Moscou, au temps de l'Union soviétique et de la guerre froide. Ainsi, la chaîne prétend rompre avec les médias traditionnels qu'elle qualifie de "mainstream" et se propose d'offrir un point de vue alternatif sur l'actualité : "En prenant le contrepied des médias traditionnels, elle assoit sa légitimité", explique Anne Nivat. Rien de tel, en effet, pour attirer les déçus des médias traditionnels, parmi lesquels figurent de nombreux conspirationnistes. Les vidéos : "5 choses que les médias dominants ne vous disent pas sur l'Ukraine" ou encore "5 livres censurés qui racontent une histoire que l'Establishment veut cacher" sont parmi les plus populaires sur Youtube. 

Pourtant, si le point de vue se veut alternatif, la forme elle ne l'est pas : " La chaîne utilise les habillages télévisuels modernes des démocraties occidentales. Elle copie le rythme, le jingle. Et elle le fait avec talent !" poursuit Anne Nivat. Ainsi, à l'instar des chaînes d'info, RT dispose d'un bandeau, d'une newsroom...Tout est fait pour ne pas dépayser le spectateur lambda habitué aux codes médiatiques. 

Grâce à une stratégie bien ficelée, la chaîne a su trouver son public. En effet, en s'affirmant seule voix alternative, elle affirme son unicité face à une offre médiatique homogène. Pour autant, la chaîne comble-t-elle un vide ou l'institue-t-elle ? Car RT n'est pas la première chaîne à revendiquer un point de vue alternatif. Lorsque la chaîne Al Jazeera s'installe aux Etats Unis en août 2013, elle fait campagne sur le fait qu'elle représente une alternative face aux médias comme Fox ou CNN... 

Bien que populaire, RT est régulièrement accusée d'être un instrument de propagande au service du Kremlin. En mars 2014, la journaliste américaine Liz Wahl démissionne en direct et accuse la chaîne de manipulations dans la couverture du conflit ukrainien. Elle est suivie quelques mois plus tard par sa consoeur britannique Sarah Firth qui explique sur son compte twitter qu'elle est "du côté de la vérité". Par ailleurs, le régulateur britannique OFCOM, l'équivalent du CSA Français a menacé de fermer la chaîne au motif que cette dernière n'informe pas de façon objective.

Un succès en apparence ?

Si la chaîne n'a de cesse de s'enorgueillir de ses succès d'audience, les chiffres fournis demeurent quelque peu flous. Ainsi, le site français de RT explique que "RT touche aujourd'hui 700 millions de personnes dans plus de cent pays". La version américaine n'est pas beaucoup plus précise et expose que : "640 millions de personnes ont accès à la chaîne". Si 640 millions de personnes peuvent si elles le souhaitent regarder RT cela ne veut pas dire qu'elles le font. Avoir accès via le câble à la chaîne ne veut pas dire forcément la regarder. RT joue avec cette nuance. Par le même procédé, la chaîne revendique 350 millions de spectateurs pour sa chaîne arabe. 

Des méthodes qui ne surprennent pas. En février dernier, la journaliste Lyudmila Savchuk révélait au journal de Saint Petersburg, Moi Raion, que le régime avait créé une armée de trolls (personnes qui génèrent de la polémique) chargée de diffuser la propagande pro-Poutine sur internet. La journaliste russe qui a travaillé un peu plus de deux mois dans cette agence enregistrée sous le nom 'd'Agence d'Investigation de l'internet' raconte documents à l'appui le fonctionnement de cette agence. Les 'cyber soldats' doivent tenir des blogues et inonder quotidiennement les discussions en ligne de commentaires pro- Poutine. Cachés derrière de faux comptes Twitter et Facebook, ils répandent rumeurs et défendent l'image de la Russie. Ces cyber soldats doivent par ailleurs laisser à la fin de leur commentaire un ou plusieurs liens qui renvoient notamment au site internet de RT. Si l'on ne peut affirmer que les chiffres avancés par RT sont 'gonflés' il est certain que les trolls de St Petersbourg renvoient eux systématiquement à ce site internet.

Sputnik, dernière corde à l'arc Russe

Malgré les polémiques, la Russie ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. En novembre dernier, elle lance un nouveau média, un site internet qui couvre l'actualité international en 29 langues ! "Sputnik est une nouvelle marque d'information possédant des centres multimédia modernes dans plusieurs dizaines de pays. Sputnik dévoile ce dont les autres ne disent pas." Ce nouveau média reprend la dialectique de RT puisque lui aussi se revendique alternatif. 

Le nom n'a pas été choisi au hasard. En réalité, c'est un véritable pied de nez aux Américains. Sputnik fait référence au premier satellite artificiel de la terre mis sur orbite par l'URSS en 1957. A l'époque, le lancement de ce premier satellite avait été qualifié de "Pearl Harbor technologique" par la presse américaine.


- Source : Alexandra Del Peral

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