Le désastre syrien: lettre émouvante du Métropolite Grec Catholique d'Alep
Un grand nombre d'entre vous s'inquiètent de notre situation et nombreux sont ceux qui ont essayé de m'appeler pour avoir des nouvelles qui puissent les tranquilliser. Malheureusement les communications ont été très perturbées ces deux derniers mois, I'internet ne fonctionnait plus et de toute façon, iI y a quelques mois, lors d'une incursion de gens armés dans notre archevéché, on m'avait pris mon lap-top avec mon ancienne adresse mail... Ce qui fait, que j'ai jugé bon de changer d'adresse pour éviter toute utilisation indésirable du site. Vous pouvez dorénavant me contacter à [email protected], ma nouvelle adresse.
Quent à notre situation, je dois dire cette fois-ci qu'elle est vraiment désastreuse et je vous I'assure sans hésitation aucune, ce n'est pas qu'un vain mot mais bien la douloureuse réalité que nous vérifions jour après jour, dans cette Chère ville métropole, plusieurs fois millénaire, qui avait su dans le passé accueillir les richesses des civilisations les plus anciennes et qui rassemble de nos jours dans son enceinte pour les protéger, des citoyens appartenant à une grande variété d'ethnies et de religions, vivant ensemble dans une atmosphère faite d'entente, de respect mutuel et d'amitié.
Malheureusement, cette guerre ignoble qui malmène la Syrie depuis bientôt deux ans, a trouvé son foyer le plus chaud à AIep. Des morts par centaines jonchent aussi bien les rues de la ville que les ruelles de sa banlieue. Les destructions qui ont endommagé des immeubles par centaines, des Eglises et des Mosquées, des structures socio-culturelles et des institutions scolaires et hospitalières innombrables rendent le tableau encore plus sombre et l'atmosphere nauséabonde. Des larmes nous viennent aux yeux en voyant tous ces malheurs frapper les aleppins qui, depuis des mois vivent jours et nuits sous les bombes. ls ont perdu des personnes chères, ils ont vu leur commerce anéanti et leurs usines saccagées et volées. Les ouvriers n'ont plus d'emploi et les artisans ne travaillent plus. Les gens sont dans la détresse et la misère frappe un grand nombre d'entre eux. IIs manquent de tout: électricité, chauffage et même parfois de quoi manger. Cela nous attriste et nous rend tous très malheureux.
Ces derniers mois à AIep, 1400 usines et grands ateliers ont été démontés, vidés et démolis ou brûlés. Plus de deux mille écoles ont été dévastées et mises hors d'usage et quelques trente deux hopitaux et un millier de petites cliniques et dispensaires vandalisés un peu partout dans le pays. Plusieurs silos de bIé ont été bombés et vidés, nombre de centrales électriques endomagées ou rendues hors d'usage et pour comble des lignes de chemins de fer démantelées et des routes bloquées et rendues dangereuses et impraticables à cause des bandes arméees qui terrorisent les voyageurs qui osent se déplacer et se hasarder en dehors de la ville. Tout cela fait que la situation à Alep devient de plus en plus difficile ce qui rend notre vie et la vie des gens autour de nous très pénible et déprimante.
Ce qui nous rend plus malheureux encore, ce sont les exécutions à bras levé, les assassinats, les enlèvements de personnes innocentes et les voitures piégées. Il y a deux jours nous avons eu le malheur d'apprendre que deux de nos jeunes prêtres à Alep avaient été enlevés à la sortie de la ville. Un arménien catholique, le Père Michel Kayal et un autre Grec Orthodoxe le Père Isaac Mahfouz. En janvier dernier, plusieurs explosions dans l'enceinte de la cité universitaire ont causé la mort d'une centaine de victimes innocentes dont une religieuse et plusieurs jeunes étudiants et professeurs. Tous les jours des parents angoissés viennent me prier de les aider à retrouver leurs enfants kidnappés ou disparus on ne sait comment. Aujourd'hui même est venue me trouver en pleurant, une femme en désarroi et dans une désolation totale, pour me supplier de lui venir en aide et de la secourir. Elle est mère de six enfants mineurs, son mari a été enlevé par les rebelles il y a bientôt deux mois, elle est sans nouvelles de lui, sans ressources et ne sait comment nourrir sa famine nombreuse toute seule. Le 4 décembre dernier, en vue d'illustrer ce que nous subissons actuellement en Syrie, j'ai présenté au Congrès des Patriarches et Evêques Catholiques du Moyen-Orient , un cas d'enlèvement significatif et révélateur de ce qui se passe chez nous. Je suis persuadé que ce cas que je vous cite me dispense de tout commentaire ou discours supplémentaire pour décrire la désolation et le malheur dens lequel vivent nos pauvres fidèles d'Alep:
C'était vers la fin d'octobre dernier et plus précisément le 19 du mois, un autobus transportant des passagers civils venant de Beyrouth, fut arrêté a Sarakeb, une petite ville sous la domination des gens armés de l'opposition aux environs d'Alep.
11 passagers tous chretiens dont 7 arméniens ont été enlevés et une rançon importante fut demandée pour leur libération.Georges Rabbath et son père Bechara ont pu être relâchés contre le paiement d'une grosse somme d'argent pour laquelle la famille a dû vendre sa maison et s'endetter. Georges et son père ont rapporté qu'ils avaient été mal traités et que le groupe salafite qui les tenait, a forcé Georges désormais à s'appeler Abdallah, à apostasier et à déclarer son Islam. Ces combattants de Jabhet AI-Nosra ( ka.,.da ), etaient de diverses nationalités : syriens, turcs, libanais, tchéchènes et même belges et Français ces derniers qui à leur avis, semblaient être les plus acharnés et durs.
Face à ces adversités et au malheur dans lequel nous sommes plongés, nous ne pouvons que nous remettre à la Miséricorde Divine, qui seule est capable de nous libérer en rétablissant la paix dans le pays. Nous comptons aussi sur les hommes de bonne volonté et sur les croyants qui aiment le Seigneur, pour qu'ils se joignent à nous dans nos prières et nos efforts menés en vue de consoler le peuple de Dieu dans son amertume et sa peine. Nous faisons ce que nous pouvons, mais nous sommes sûrs que nous pourrions faire beaucoup plus si nous etions soutenus et aidés par tous les amis qui nous veulent du bien et qui se soucient des plus faibles et de ceux qui souffrent. Souhaitons qu'un jour prochain, la reconciliation viendra remettre la Concorde entre les syriens et la paix dans ce cher pays et que cela nous permette de nous mobiliser tous ensemble pour le reconstruire.
Laissez-moi dire pour terminer, un grand merci à tous les amis qui ont eu la bonté de nous tendre la main et de nous exprimer, d'une façon ou d'une autre, leurs sentiments fraternels et leur solidarité, en ces temps d'épreuves et de souffrances. Que le Seigneur bénisse tous nos bienfaiteurs et leur donne santé et bonheur dans leur vie.
Alep, le 14 février 2013
Jean C. Jeanbart, Métropolite Grec Catholique d'Alep
Visiteur Apostolique pour l'Europe Occidentale