Chavez, la mort du chef de la Révolution bolivarienne vue de Cuba
Auteur : Arnold August | Editeur : Stan | Lundi, 18 Mars 2013 - 10h49
Le mardi 5 mars dernier, j’accompagnais le président de la Unión de Periodistas de Cuba – UPEC (Association cubaine des journalistes), Tubal Páez, lors d’une cérémonie visant à honorer un journaliste cubain exceptionnel. L’événement se déroulait dans le petit village de Juan Gualberto Gómez, dans la province de Matanzas. Par son nom, la ville rend hommage au fils d’esclaves mulâtres né ici, en 1854, sur une plantation de canne à sucre. Après la Première Guerre d’indépendance (1868-1878), Juan Gualberto Gómez a créé La Fraternidad, un journal qui se consacrait à l’harmonie raciale, à la liberté et au progrès social à l’intention des gens de couleur. En mars 1880, on l’arrêtait pour avoir appuyé des combattants de l’indépendance cubaine puis il était déporté en Espagne. Il a néanmoins continué à fournir des articles et des lettres à La Fraternidad et à El Abolicionista (« L’abolitionniste », pour l’abolition de l’esclavage). Il est retourné à Cuba en 1890. Pendant la Troisième Guerre d’indépendance (1895-1898), il a obtenu le titre de général et est devenu un proche collaborateur de José Martí. Après la guerre, lorsque la victoire de Cuba contre l’Espagne a été récupérée par les États-Unis, qui ont imposé leur domination, il a continué à travailler comme journaliste. Juan Gualberto Gómez l’a fait de manières diverses, en opposition au contrôle néocolonialiste étasunien. Il a combiné journalisme et activisme politique. Il est reconnu pour son opposition directe à l’Amendement Platt commandité par les États-Unis, modification qui, selon lui, réduisait l’indépendance et la souveraineté de la République cubaine à l’état de mythe. Par conséquent, il était fortement opposé à l’annexion de Cuba aux États-Unis. Il est décédé il y a 80 ans, en 1933. C’est alors que le village de plantations de cannes à sucre a pris son nom.
Pendant la cérémonie solennelle dirigée par les villageois à Juan Gualberto Gómez, laquelle se déroulait devant la sculpture de son buste, j’ai entendu un téléphone cellulaire sonner à 17 h. Tubal s’est retourné vers moi et m’a chuchoté : « Murió Chávez » (Chávez est décédé). Quel choc! Bien que la une du quotidien du parti communiste Granma, ce jour-là, affirmait clairement que la situation médicale du chef vénézuélien était extrêmement précaire en raison de la détérioration de son état de santé, je n’arrivais pas à y croire. Est-ce que c’était vrai? Comment se fait-il que ce Chávez dynamique, relativement jeune et souriant ne soit plus physiquement vivant? Après avoir repris mes esprits, j’ai dit à Tubal qu’il y a des moments dans la vie qu’on n’oublie jamais. Ces deux mots murmurés, « Murió Chávez », prononcés à la fois avec tristesse et fermeté ce 5 mars, quelques minutes après que le chef de la Révolution bolivarienne ne s’éteigne, font partie de ces moments.
Depuis les années 1960, plusieurs moments sont gravés à jamais dans la mémoire des individus et des peuples à la suite de nouvelles déterminantes. Les manchettes qui ont eu de l’importance pour une personne ou pour un peuple dépendent, somme toute, de leur perspective de l’histoire. Lors de chaque anniversaire de l’assassinat de J.F. Kennedy et, bien entendu, lors de l’attentat terroriste en sol étasunien du 11 septembre 2011, nous nous en remettons aux médias grand public pour nous rappeler où nous nous trouvions précisément lorsque ces événements se sont produits et quelle a été notre réaction à ce moment. Dans le cas du 11 septembre 2011, ce geste abominable est indescriptible. Toutefois, chaque année, ma réaction spontanée à la date du 11 septembre est également de me rappeler le coup d’État au Chili orchestré par les États-Unis le 11 septembre 1973, lequel s’est traduit par l’assassinat du chef chilien élu, Salvador Allende, et une dictature fasciste. Je me souviens précisément de l’endroit où je me trouvais ce jour-là et de mon dégoût lorsque j’ai appris la nouvelle. Auparavant, le 9 octobre 1967, je me souviens de l’endroit exact où je me tenais, sur le campus de l’Université McGill, à Montréal, lorsqu’un collègue étudiant m’a appris qu’Ernesto Che Guevara avait été assassiné en Bolivie. Il y a des moments précis, évocateurs, dont je me souviens, tout comme plusieurs personnes, partout dans le monde.
Désormais, il y a un autre moment mémorable pour moi : le 5 mars 2013, à Juan Gualberto Gómez, Matanzas, Cuba. L’île et son peuple et ses chefs ont ouvert la voie, en 1959, à une nouvelle Amérique latine en développement, encouragés par Hugo Chávez. Au cours des jours qui ont suivi son décès, nous étions en mesure de vivre, à Cuba et par l’entremise des émissions télévisées cubaines provenant du Venezuela, que, de son vivant et par son décès, le Comandante Chávez était l’architecte d’une Amérique latine et de Caraïbes nouvelles qui ne sont plus « l’arrière-cour » des États-Unis, tel qu’ils l’envisagent. Cette réalisation s’illustrait très clairement par la présence de chefs d’État et de représentants hauts gradés provenant de toute la région au sud du Rio Grande à la cérémonie funéraire officielle de Hugo Chávez. De plus, des représentants de tous les continents étaient présents pour reconnaître et rendre hommage à cette réalisation extraordinaire, entre autres. Cette intégration régionale est toujours en mouvement; un rêve en devenir. Elle contribue à la création d’un monde nouveau où aucune super puissance ne domine et où chaque pays et ses habitants sont libres de développer la démocratie de même que le système socio-économique de leur choix – et de le faire eux-mêmes.
- Source : Arnold August
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