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Vendredi, 03 Mai 2024

Cécile Duflot, la "bobeauf" des Verts

Auteur : Tugdual Denis | Editeur : Walt | Mercredi, 19 Nov. 2014 - 22h25

Le drame de Sivens a remis sur le devant de la scène l'ancienne ministre écologiste. Prête à tout - de la parole à outrance à la minute de silence - pour se placer dans la course pour 2017.

Insupportable Cécile Duflot. La députée écologiste de Paris ressemble tant à ces amis qui vous gâchent la vie sur Facebook à force de trop raconter la leur. Sauf qu'il s'agit là d'une ancienne ministre et qu'elle le fait sur Twitter. 20 octobre : sur la route de Bègles - pardon, "#ontheroadtobègles". Une Toyota Auris avale le bitume de l'autoroute A62. On connaît le modèle de la voiture car ses occupants, ne trouvant pas la manière d'éteindre les feux antibrouillard, lancent un SOS sur les réseaux sociaux. 

Paris-Bègles, 587 kilomètres, et presque autant de tweets et de réponses à des tweets (on exagère beaucoup) gazouillés par la passagère la plus bavarde de la voiture, dont ces essentiels : "#nonmaislaonestdansunculdesac", ou "N'insistez pas c'est inutile il n'y aura pas de photo de la pause technique. de Noël en forêt...".

Cécile Duflot, la bonne copine

Noël Mamère et Cécile Duflot sont dans une auto. Le premier démissionne d'Europe Ecologie-les Verts il y a un an parce que ce parti, façonné depuis 2006 par la seconde, est devenu "un syndicat d'élus", prisonnier de ses "calculs et de ses plans". Dans une interview au Monde, l'ancien présentateur du JT d'Antenne 2 regrette également l'attitude d'une Cécile Duflot, alors ministre du Logement, ne parvenant pas à "lâcher la direction des Verts", qu'elle pilote en sous-main.  

En bonne chrétienne, elle possède un sens aigu de la miséricorde, puisque la voilà dans le véhicule du moustachu Mamère. Depuis sa sortie du gouvernement, l'ancienne secrétaire nationale d'EELV cherche à prendre le leadership sur le groupe écologiste à l'Assemblée nationale. Ses actuels présidents, François de Rugy et Barbara Pompili, présentent le double désavantage d'être à la fois les patrons de ces députés Verts et sur une ligne plus réformiste et socialo-compatible que l'ex-chouchoute de François Hollande. Qu'à cela ne tienne : coup de barre à gauche, retour aux idées de jeunesse. Tous les parlementaires les plus critiques à l'égard de Manuel Valls ont vocation à devenir les nouveaux amis de Cécile Duflot. A commencer par le médiatique et iconique Noël Mamère, dont les positions ont toujours été à l'antithèse de la social-démocratie. 

A cette date, personne n'est mort

Géniale Cécile Duflot. Le flair politique et sociétal de la plus célèbre "girl next door" des Verts ne se dément pas: le 20 octobre, ce n'est pas seulement vers Bègles qu'elle se rend, mais plus au sud encore, dans le Tarn, afin de rejoindre le chantier du barrage de Sivens. A cette date, personne ou presque ne connaît ce projet, et la contestation qu'il engendre. A cette date, personne n'est mort. Sur Twitter - si vous la cherchez, vous savez désormais où elle se trouve -, après avoir dénoncé un ouvrage "inutile", relevant du "scandale écologique", Cécile Duflot publie ces 129 caractères aujourd'hui si troublants: "Une surprise: les méthodes des forces de l'ordre ont franchi les limites du tolérable voire la loi. Dépôts de plainte justifiés."  

Rémi Fraisse meurt six jours plus tard. Cécile Duflot est sous le choc. Guillaume Cros, le responsable du groupe écologiste au conseil régional de Midi-Pyrénées, l'abreuve d'informations que le pouvoir en général, le ministère de l'Intérieur en particulier, mettront le temps que l'on connaît désormais à dévoiler. En bonne ex-chef de parti, l'écologiste possède un immense réseau en région. Pompiers volontaires, petits élus locaux, membres d'associations: depuis le Tarn remonte vers elle la certitude que Bernard Cazeneuve ne dit pas tout ce qu'il sait aux Français. L'entourage de l'ancienne ministre du Logement affirme même que le locataire de la place Beauvau ment à son ancienne collègue, lors d'une discussion téléphonique le dimanche soir, dans les heures suivant? Le décès de Rémi Fraisse. Marqueur ultime de la gauche depuis la nuit des temps, la mort d'un manifestant, et les conditions troubles qui accompagnent celle-ci, vont devenir la préoccupation essentielle de la députée de Paris.

"Heureusement qu'elle leur chie sur la tête à ces couilles molles!"

Fatigante Cécile Duflot. Elle qui connaît la variété française mieux que le classique a déjà écouté la chanson Fatigante de Louise Attaque décrivant une femme "intelligente, intéressante et attirante", mais in fine désespérément "fatigante", donc. Cette émotion sincère qu'elle ressent au moment du décès de Rémi Fraisse, la responsable politique parvient, dans la perception générale, à la transformer en indignation de lycéenne.  

Tweets incessants, déclarations grandiloquentes, vocabulaire hyperbolique ("cette mort laissera une tache indélébile sur l'action de ce gouvernement"), trémolos dans la voix à chaque intervention, et, clou de ce mauvais spectacle: le 4 novembre, dans l'enceinte de l'Assemblée, la demande d'une minute de silence en mémoire de Rémi.  

Après coup, un membre du gouvernement qui la connaît bien se désole: "On ne peut pas jouer avec l'affect, avec le deuil d'une famille." Cette minute de silence, initiative totalement personnelle de la part de l'ancienne ministre, son entourage tente de l'en dissuader. Sans succès. Et elle ne prendra pas la peine de prévenir ses camarades du groupe écologiste, en amont de son happening. Une stratégie que l'un de ses amis justifie ainsi: "Heureusement qu'elle leur chie sur la tête à ces couilles molles! Si elle prévient le groupe de son intention, dans les dix minutes qui suivent, un député Vert appelle le cabinet de Valls pour balancer." Un proche, tentant de la réconforter après cette minute de silence censurée par Claude Bartolone, le président de l'Assemblée, huée par la droite, et presque pas suivie par la gauche, lui glisse : "C'est bien, tu auras tenu tout de même 15 secondes..." "Quarante-cinq!" lui renvoie-t-elle. La vérité de ce calcul glauque: 38.

Agaçante Cécile Duflot. Une fois dévêtue de son costume institutionnel de ministre, elle réapparaît dans la nudité de son personnage. Depuis six mois, ses suiveurs assistent au grand retour du récit de ses menus dans #sonamileTGV et la voilà, au désespoir de ses spin doctors, plus que jamais commentatrice de la moindre petite actualité politicienne. Elle a écrit un livre, De l'intérieur (Fayard), qui s'est très bien vendu. Elle y compte ses anecdotes de ministre et se justifie d'avoir eu à participer à une telle équipe gouvernementale si peu à gauche. Mais au sortir de cette lecture, que saiton de plus sur le Duflotisme? Quelle est sa ligne politique? Impossible à fixer. Sa ligne médiatique? Elle se situe entre Libération, Le Grand Journal de Canal +, et le journal d'extrême gauche Politis.

Politique du ni-ni

Impossible synthèse. A l'image du morphotype sociologique qu'elle invente: une "bobeauf". Ni totalement bobo, ni complètement beauf. Cécile Duflot possède, avec l'autobiographie de Nelson Mandela, le livre de chevet le plus consensuel de la place de Paris; elle a très vite téléchargé l'application Talking Tom, le jeu du chat qui pète, sur son Ipad... 

Ni branchée ni populaire, elle peine à convaincre les députés socialistes frondeurs qu'elle peut être leur nouveau chef de file. Avec Jean-Luc Mélenchon, les ambitions sont trop similaires et les tempéraments trop différents pour que le courant passe durablement. Contrairement à l'anachronique leader du Front de gauche, elle est une femme bien de son temps: "Son caractère autocentrée correspond parfaitement à l'époque", remarque un influent écologiste, qui ajoute, cruel: "je la méprise car elle représente charnellement le désenchantement en politique." 

Aujourd'hui, par la grâce d'un accord avec les socialistes, la jeune femme est élue d'une circonscription de Paris acquise à la gauche. Mais demain? Jean-Marie Le Guen, le secrétaire d'Etat aux Relations au Parlement, menace avec gourmandise : "Madame Duflot n'est propriétaire de rien. Pas même de son siège." En 2017, outre les législatives, se profile une présidentielle pour laquelle elle se déclare, auprès de la revue Charles, "avoir les épaules". Mais elle se condamne, selon la prédiction de son ancien allié Jean-Vincent Placé dans L'Obs, à obtenir "un score de 1%". "2%", corrige un député de ses soutiens. Alors il ne reste plus qu'à se débattre. "A l'école, comme j'étais timide, on disait que j'étais snob", confie-t-elle un matin de 2011. Les temps changent.


- Source : Tugdual Denis

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