Sarkozy et les «30% d'enseignants en moins», une histoire sans fin
Retour sur une proposition de l'ancien président annoncée, puis démentie, puis confirmée, puis oubliée...
En politique, une formule simple, qui claque, c’est utile pour chauffer une salle dans des meetings. Mais ça peut finir par devenir embarrassant. L’équipe de Nicolas Sarkozy doit en savoir quelque chose, depuis que le candidat s’est entiché tout seul de la promesse intenable de supprimer 30% des profs en France. Une promesse à laquelle il s’accroche, par démagogie ou orgueil, obligeant son staff à de cocasses revirements.
Episode 1. Sarkozy ressort une ancienne promesse de campagne d’augmentation du temps de travail des professeurs
Pour son retour à la politique dans le cadre de la course à la présidence de l’UMP, Nicolas Sarkozy a ressorti de sa besace une proposition de campagne de 2012 : il défend une augmentation du temps de travail des enseignants, en contrepartie de quoi il annonce qu’il augmentera aussi leur rémunération.
Le 6 octobre, à Vélizy, l’ex-Président dit ainsi : «Il faut augmenter de 30% le temps de travail des enseignants, et de 30% leur rémunération.» Ajoutant qu’il fallait poser la question de la baisse des effectifs dans l’Education nationale. Sans plus de précisions.
Episode 2 : Sarkozy propose de supprimer 30% des professeurs
A Toulouse, le 8 octobre, Nicolas Sarkozy va beaucoup plus loin : «30% d’heures en plus pour les enseignants, 30% de rémunération en plus pour les enseignants et 30% d’enseignants en moins: cela me semble une politique adaptée à la situation que connaît notre pays.» 30%, 30%, 30%, c’est joli. Ça fait penser à un autre slogan sarkozyste (totalement inapplicable lui aussi, et donc jamais appliqué) : la règle des trois tiers (à propos de la répartition des profits entre salaires, dividendes et investissements).
Episode 3 : Darmanin, porte-parole de Sarkozy, affirme qu’il n’est pas question de supprimer 30% des profs
L’annonce, qui revient à faire disparaître quelque 250 000 enseignants, est reçue avec scepticisme, voire hilarité, par les commentateurs. En y réfléchissant deux secondes, la proposition n’a aucun sens. Augmenter de 30% le temps de travail des professeurs tout en squeezant 30% des postes revient à une baisse globale de 10% du temps de présence des profs devant les élèves.
Pire, si on va au bout de la proposition de Sarkozy (qui affirme dans ses meetings que le temps de travail supplémentaire des profs doit être utilisé pour de l’accompagnement en dehors de la classe), sa proposition revient purement et simplement à baisser de 30% le temps de présence des enseignants devant les classes françaises. Intenable.
Du coup Gérald Darmanin, porte-parole de Nicolas Sarkozy, joue les pompiers de service. Interrogé par le Huffington Post, il tente d’abord d’affirmer que Nicolas Sarkozy n’avait jamais parlé de suppressions de postes… Avant de déclarer – les enregistrements faisant foi – que si le candidat l’avait dit, cela ne reflétait pas sa pensée.
On se dit que le gag est fini. A tort.
Episode 4. Sarkozy répète en meeting que, oui, il veut bien supprimer 30% des profs
Le 15 octobre, dans les dernières minutes du meeting de Saint-Cyr-sur-Loire, Sarkozy prend un ton martial – et Darmanin à revers – en affirmant : «Il faudra accepter la réduction très sensible du nombre de fonctionnaires. Si je prends comme seul exemple les enseignants, pour qui j’ai beaucoup de respect. Je le dis, nous n’avons pas les moyens d’entretenir un million d’enseignants. Il faut augmenter de 30% le temps de travail, de 30% leur rémunération, et diminuer leur nombre de 30%. Ainsi, vous aurez le meilleur pour vos enfants.»
Episode 5. Darmanin dit que finalement, Sarkozy veut bien supprimer 30% des profs
L’infortuné Darmanin doit à nouveau se coltiner le service après-vente. Interrogé par les médias sur cette nouvelle volte-face, le porte-parole affirme à l’AFP que la vraie fausse proposition est en fait une… vraie proposition. Il précise même qu’il s’agira «peu à peu de ne pas remplacer les départs à la retraite, ce ne sera pas des suppressions pures».
Cette précision a pour but évident de clore ce chapitre, elle ne fait pourtant qu’en souligner l’absurdité.
Sachant que le rythme des départs dans l’éducation nationale (en baisse) était de quelque 20 000 en 2013, il faudra à Nicolas Sarkozy entre dix et quinze ans pour atteindre son objectif, en ne remplaçant aucun prof partant à la retraite. Bref, l’assurance d’une augmentation vertigineuse de l’âge des enseignants en France.
Ce qui est cocasse si l’on se souvient que le même Nicolas Sarkozy, pour torpiller la proposition de François Fillon de supprimer 600 000 postes de fonctionnaires, avait juré ses grands dieux qu’il ne fallait pas aller plus loin que le remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Dans le Figaro, le 2 octobre, il disait : «Aller plus loin serait prendre le risque de stériliser la pyramide des âges.»
Bref, pour ne pas «stériliser la pyramide des âges» des enseignants, il faudrait donc en rester au non-remplacement d’un départ sur deux, ce qui exigerait d’attendre cinq ou six quinquennats pour atteindre l’objectif d’une réduction de 30% des enseignants. Nicolas Sarkozy aura environ 100 ans.
Evidemment, tout ceci n’est pas sérieux.
Episode 6 : Sarkozy essaye de ne plus trop donner de détails
C’est sans doute pour cela que depuis trois meetings, Sarkozy s’est arrêté de donner des précisions. A Toulon et Marseille, il s’est borné à déclarer que le nombre de professeurs devait être réduit. Et ce lundi, à Nancy, si on doit en croire le live tweet sur son compte officiel (le meeting n’était pas retransmis), le candidat a simplement proposé «que les enseignants puissent travailler 30% de plus et être payés 30% de plus».
On attend quand même la suite (le grand meeting parisien de vendredi) avec impatience.
- Source : Cédric MATHIOT