Immolations en série
De Nantes à Saint-Ouen en passant par Beaune : depuis mercredi, trois hommes — deux chômeurs de longue durée et un SDF — ont eu recours à l'immolation par le feu dans notre beau pays. Des sacrifices qui devraient interroger ceux qui ont recours au déni.
A Saint-Ouen et à Beaune, ça s'est passé aujourd'hui. Deux tentatives qui ont échoué.
La première a eu lieu ce matin vers 11 heures : un Audonien de 49 ans a tenté de mettre fin à ses jours en s'immolant pas le feu au pied de son immeuble. Qualifié de «solitaire» et de «perturbé» par une personne de son voisinage qui s'est confiée au Parisien, c'est «un chômeur en fin de droit qui vivrait en état de précarité». A part ça, lit-on un peu partout, «on ignore les raisons précises de son geste»... La préfecture, qui ne manque pas de cynisme, a déclaré qu'«il a expliqué son geste par sa situation» de chômeur en fin de droits, «mais cela doit être précisé», a-t-elle indiqué.
Victime de brûlures aux 1er et 2ème degrés au visage et au thorax, il a été hospitalisé à l'hôpital Saint-Louis à Paris, et ses jours ne sont pas en danger. Outre décrire sa situation de grande pauvreté (il est allocataire de l'ASS : 15,90 €/jour), il a également fait état de «problèmes de nature privée et familiaux» : «sa petite fille qu'il ne voit plus», vivant à Rouen avec sa mère. Logique ! Le chômage détruit les cellules familiales — conflits, divorces… — et isole les individus — tandis que les amis fuient, l'argent manque pour s'offrir un semblant de vie sociale. Mais ça, la préfecture l'ignore.
Autre tentative, autre déni
La seconde a eu lieu vers 15 heures devant un supermarché : un sans abri d'une trentaine d'année «s'était versé un bidon de 5 litres d'essence sur lui et menaçait d'allumer un briquet. Il a été maîtrisé par la police et les pompiers», ont expliqué ces derniers. L'homme a été transporté vers le centre hospitalier de Beaune. La procureure de Dijon a bien évidemment évoqué son état psychologique — il est clair que pour faire ça, il faut ou être fou [1] ou avoir des "problèmes personnels" : ce n'est jamais la faute des autres... Il a voulu protester contre «le fait qu'il était à la rue» — franchement, une broutille ! A part ça, «les motivations de son geste ne sont pas encore connues»...
On rappelle que chaque jour, hiver comme été, un SDF meurt dans la rue, de froid, de maladie ou d'agression physique (tabassé… ou brûlé vif).
Djamal Chaab ne s'est pas loupé
A Nantes, ça s'est passé mercredi et, comme on le sait, l'homme est décédé. Dans cette interview de sa famille, on en sait un peu plus. Autrefois décorateur de théâtre, il subissait déclassement et précarité depuis plusieurs années. Son dernier emploi en date : manutentionnaire en intérim, à temps partiel et de nuit dans une entreprise de transports. Selon son entourage, il était très fatigué.
Une fois sa mission terminée, fort de ses dernières périodes travaillées alors qu'il était en fin de droits, il a cru que Pôle Emploi pourrait lui en rouvrir de nouveaux. Mais, manque de bol, Pôle Emploi a découvert qu'il n'avait pas déclaré son salaire d'août 2012. Un indu de 600 € a donc été généré. Et, «double peine», toute période travaillée non déclarée est systématiquement exclue du calcul de droits ultérieurs. Dans un de ses mails envoyé mardi à Presse Océan, Djamal écrivait : «J'ai travaillé 720 heures et la loi, c'est 610 heures. Et Pôle emploi a refusé mon dossier». Les 110 heures manquantes correspondent visiblement à celles qu'il avait effectuées en août.
Le voici qui se retrouve avec un dossier de demande d'ASS à remplir avec, pour horizon, un revenu de 480 €/mois et un indu de 600 € à rembourser à Pôle Emploi. Il a craqué.
Alors oui, il aurait pu se battre. Avant de s'immoler, il y avait d'autres recours comme la demande de remise gracieuse auprès de l'IPR (instance paritaire régionale), auprès du Médiateur, du Défenseur des droits, de la Direction régionale de Pôle Emploi, appuyée par les associations de défense des chômeurs. Surtout que 600 €, ce n'est pas grand chose : le montant des indus réclamés par Pôle Emploi à des chômeurs — plus souvent à tort (erreurs de calcul) qu'à raison (fraude avérée) — pouvant parfois atteindre des milliers d'euros.
Mais Djamal Chaab n'est pas Gérard Gaudron
Djamal était précaire, pauvre et épuisé. C'était un "chômeur lambda".
Gérard Gaudron, lui, était le fringuant député-maire d'Aulnay — vous savez, là où les ouvriers grévistes de PSA sont accusés de "violence". Pendant huit mois, en 2007, M. Gaudron a cumulé intégralement ses indemnités de parlementaire (6.952 €/mois) avec ses Assedic (1.500 €/mois) en toute illégalité. «J'ai été négligent !», a-t-il concédé. Et l'Assedic, tout aussi négligente, a été plus qu'accommodante avec ce fraudeur en col blanc qu'elle a vite blanchi.
Le 4 janvier 2011 en Tunisie, Mohamed Bouazizi, 26 ans, est mort de ses blessures : il s'était immolé par le feu deux semaines plus tôt devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid. Devenu un symbole, il est à l'origine des émeutes qui ont concouru au déclenchement de la révolution tunisienne et, sans doute par extension, aux protestations et révolutions dans d'autres pays connues sous le nom de Printemps arabe.
Jeudi, suite au décès de Djamal Chaab, un délégué CGT Pôle Emploi craignait «un phénomène de contagion». Il avait raison.