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EBOLA : Halte au marketing de la peur !

Auteur : Momar Seyni Ndiaye | Editeur : Walt | Mercredi, 17 Sept. 2014 - 23h41

Selon le dernier bilan de l'OMS du 12 septembre, Ebola a touché 4 784 personnes, parmi lesquelles 2 400 sont décédées. Pourtant, cela suscite une réaction excessive, qui désoriente les politiques publiques de santé, dénonce cet éditorialiste.

La psychose du virus Ebola est en passe de devenir un psychodrame planétaire. Il ne se passe pas un jour sans que des mesures de restrictions de circulation, reconduction, fermeture de frontière, isolement et même bannissement ne soient prises à l’encontre de personnes ou groupes de personnes de provenance suspecte.

Partout dans le monde, et particulièrement en Afrique, dans les aéroports et aux frontières terrestres ou maritimes, il suffit d’être ressortissant de la Sierra Leone, du Liberia, de la Guinée et du Sénégal pour susciter une méfiance ou s’exposer à des mesures coercitives. La crainte d’une probable contamination ou d’une propagation de cette maladie tropicale n’en finit de sacquer les valeurs les plus élémentaires de solidarité et d’humanisme, entre les proches voisins.

Protectionnisme contre solidarité

Il ne s’agit pas de se dénantir des mesures préventives et de protection, comme les cordons sanitaires et les campagnes de sensibilisation. Mais à trop surestimer les effets de la pandémie, l’obsédante propension au protectionnisme passe en overdose et installe la paranoïa. L’absence de traitement préventif et d’antidote d’efficacité optimale conduit souvent à un surdimensionnement d’une gravité avérée, certes. Mais sans plus.

Et pas plus que plusieurs endémies encore en éruption ou en veilleuse. Le paludisme touche plus de 4 % de la population mondiale et tue plus de 3 millions de personnes par an. La sévérité de ses effets sur la vie économique et sociale des pays touchés est, cependant, sans commune mesure avec l’impact de la fièvre Ebola. On dénombre quelque 2 400 morts sur un peu moins de 5 000 cas recensés dans trois pays où le virus s’est installé (Guinée, Sierra Leone et Liberia). Et quatre si l’on y ajoute la république démocratique du Congo (RDC) qui connaît depuis plusieurs décennies un autre virus Ebola.

Le Sénégal n’ayant connu qu’un seul cas avéré et 67 suspects étroitement surveillés. Que dirait-on du sida, avec ses 30 millions de victimes, ou du chikungunya, qui fait rage aux Antilles ? Il y a quelques années la fièvre chinoise avait plongé le monde dans l’émoi et obligé des millions de citoyens à se munir de cache-nez, de se garder de serrer des mains et de se laver les mains au savon.

Mais jamais, l’Afrique, principale victime de la pandémie du sida, les Antilles, terre d’élection du chikungunya, ou la Chine, où la seule pollution fait 2,2 millions de morts par an, ne sont devenues des destinations interdites, des citadelles isolées du monde. Et pourtant, il a suffi d’une "bagatelle" de 2 000 morts d’Ebola – autant que les bombardements israéliens sur Gaza –, pour mettre le monde en émoi. Pour que des chercheurs engloutis dans leurs interminables prospections retrouvent de la vigueur et de la voix et crier "Eurêka !" Une manière inique de vivre du malheur des malades, car aucun traitement proposé ne constitue pour l’heure la solution miracle. Au plus, un effet placebo. Et encore !

Surenchère des laboratoires

Avec une probabilité de 50 % de décès et une incubation de vingt et un jours à six mois, on est loin d’en avoir fini avec cette maladie à traiter comme un problème de santé publique, sans plus. A cette surenchère des laboratoires s’ajoute celle des pharmaciens, pressés d’écouler les stocks de flacons de désinfection en instance depuis des lustres. Comment qualifier cette subite solidarité internationale des "partenaires au développement", empressés de saisir cette occasion et faire montre de générosité, en débloquant des fonds urgents pour encourager la prévention !

Au même moment où des projets de développements touchant la santé et les services sociaux de base sont au ralenti et même à l’arrêt. Pour cause, des conditions draconiennes et procédures administratives bureaucratiques imposées pour accéder aux financements. Certains gouvernements n’hésitent même plus à crier à la menace d’Ebola pour susciter la compassion internationale et aspirer des fonds destinés à la prévention (sic). Des compagnies aériennes, en mal de clients sur des lignes largement déficitaires mais politiquement stratégiques, suspendent leurs vols dans les pays touchés et accentuent l’isolement de ces pauvres pays ainsi sanctuarisés. Des ONG en mal de stratégie retrouvent en la maladie Ebola une nouvelle source d’inspiration et de nouveaux thèmes de mobilisation de fonds, pour ré-émerger, après plusieurs années d’hibernation. Le Charity Business reprend des couleurs.

L’émotion désoriente les politiques publiques de santé

Des artistes en mal d’inspiration signent de nouvelles partitions pour se rappeler aux bons souvenirs de leurs fans en manque de nouvelles sensations. L’émotion chasse la raison et désoriente les politiques publiques de santé de leurs vraies priorités dans ce domaine. La haine se développe et les rancœurs s’accumulent entre les peuples de voisinage séculaire. La chasse aux sorcières prend de l’ampleur et le crime au faciès empeste les relations sociales entre populations vivant jusqu’ici en bonne intelligence. La seule évocation du nom d’un pays où est apparu le virus même à des niveaux confidentiels suffit à créer la stupeur et la peur.

Aujourd’hui des milliers de Guinéens, Sierra-Léonais et Libériens sont interdits de pèlerinage dans les lieux saints de l’islam. Ils ne pourront même pas prier pour leurs morts. Des rencontres sportives sont annulées. Des écoles sont fermées. L’économie touristique subit de plein fouet les restrictions de déplacements et de transactions de toute nature. Et bientôt, pourquoi pas, une coalition mondiale de lutte contre Ebola vient couronner cette bêtise internationale encadrée par le marketing de la peur et du business.

Ebola ne tue pas seulement les hommes. Elle affecte et infecte leurs âmes, assassine leurs valeurs. Et c’est probablement cela le vrai danger de sa logique mortifère.


- Source : Momar Seyni Ndiaye

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