Valls et le renoncement
Le nouveau gouvernement « Valls-2 » inquiète, et pour plusieurs raisons. La première est que, loin de mettre fin à la crise politique rampante qui dure depuis plusieurs mois, il va, au contraire l’exacerber. Ce n’est pas en changeant des ministres que l’on résout les problèmes de l’heure. La « Valls-e » des ministères, si elle permet – peut être – une meilleure cohérence politique, réduit l’assise de ce gouvernement à une tête d’épingle. Certes, c’est cohérent, une tête d’épingle, mais comme assise politique on fait mieux…À moins que Valls n’espère des ralliements sur sa droite. Il risque fort, sur ce point, d’être déçu. A moins de trois ans des prochaines échéances électorales, on ne voit pas pourquoi des députés UMP ou UDI prendrait le risque de s’allier à un gouvernement nécessairement impopulaire, même si certains peuvent en apprécier les politiques. De plus, cette hypothétique alliance validerait les discours qui disent qu’il n’y a plus de différence entre PS et UMP. En fait, le choix était simple : changer de politique ou retourner aux urnes, afin d’obtenir un mandat populaire clair sur les orientations du gouvernement qui, à l’évidence, ne sont plus celles de 2012. Le Président et son Premier-Ministre n’ont voulu faire ni l’un ni l’autre. Et l’on appelle cela une décision, et l’on veut voire dans ce gouvernement un exemple de courage politique ? On imagine que Clémenceau, auquel Manuel Valls aime bien se comparer, s’est retourné dans sa tombe.
Car, derrière les postures et les coups de mâchoire de Manuel Valls, c’est en réalité et comme toujours, la volonté d’allier la chèvre et le chou. Sauf que l’on sait bien qui mangera l’autre. En fait, c’est une politique profondément anti-démocratique qui est mise en œuvre aujourd’hui. C’est cette politique que Manuel Valls est allé faire applaudir à l’Université d’été du MEDEF ce mercredi 27 août. Les Français le ressentent ; on peut s’attendre à ce qu’ils ne la tolèrent pas. Ce gouvernement risque donc de s’enferrer dans des batailles parlementaires continuelles, qui pourraient rendre inévitable une dissolution à la fin de l’hiver. A ce compte, mieux aurait valu une clarification immédiate. Les déclarations faites mardi à 20h dans le journal de France 2 par Manuel Valls sont un autre motif d’inquiétude. Visiblement, ce monsieur n’a qu’une connaissance limitée de l’économie, et une connaissance encore plus courte de la politique étrangère.
La dette publique et l’austérité.
Commençons tout d’abord par la question de l’évolution de la dette publique. Le rapport qui sert de base à la discussion est Dette/PIB. Les grandeurs sont données en Euro courants. L’accroissement de ce rapport (vulgo : sa dérivée…) s’écrit Δ Dette – Δ PIB. Le premier terme, Δ Dette, c’est le déficit budgétaire en réalité. Le second terme correspond à l’accroissement du PIB nominal, autrement dit à la croissance réelle que multiplie le taux d’inflation. Le problème c’est qu’il y a une relation entre le montant du déficit et le taux de croissance. Si vous réduisez le déficit dans la situation actuelle, que ce soit par une réduction nette des dépenses publiques ou par une augmentation des impôts, vous réduisez la croissance. On a longtemps cru que la réduction de la croissance était inférieure à celle du déficit (vulgo : un multiplicateur des dépenses publiques inférieur à 1). Ainsi, vous pouviez réduire de 40 milliards votre déficit (soit 2% du PIB) et n’avoir, si les multiplicateur était de 0,5 qu’une réduction de 20 milliards de votre croissance potentielle (soit environ 1% du PIB). Tout allait bien, en somme. C’était douloureux (pour les autres) certes, mais jouable. Or, on s’est rendu compte que le multiplicateur était TRES supérieur à 1 (de 1,7 à 2,2 suivant les pays). Il est estimé, aujourd’hui, à 1,5 en France. Donc, si vous réduisez de 40 milliards votre déficit, vous réduisez votre croissance potentielle de 60 milliards. Ce n’est plus, du tout, la même chose. On comprend, alors, pourquoi les politiques d’austérité CREUSENT la dette au lieu de la réduire.
Monsieur Valls a ensuite prétendu que la politique française n’était pas une politique d’austérité. C’est de la mauvaise foi pure et simple. D’une part, comme on l’a montré, l’austérité peut conduire à des déficits et une dette en constante progression. On l’a vu en Grèce, en Espagne et en Italie. D’autre part, l’argument donné par le Premier Ministre a été : on n’est pas dans une politique d’austérité car on va créer 60 000 emplois dans l’éducation (en 5 ans…). Cette argumentation est grotesque. Le chômage augmente de 180 000 personnes par an environ (et sans doute plus) et l’on nous oppose 60 000 emplois créé en 5 ans ? Cela ferait rire si on avait le cœur à cela.
Nous avons ensuite le taux d’inflation. Si nous étions dans les années 1960, avec 3,5% d’inflation, même avec une croissance de 0,5%, un déficit de 4% ne creuserait pas la dette publique. Sauf que, à la suite de la politique de la BCE, nous sommes au bord de la déflation, avec une taux d’inflation de 0,5%, voire moins. On comprend tout de suite le problème. J’entends déjà certains dire : « Euréka, il suffit que la BCE change sa politique ». Sauf que, les choses se compliquent encore. En fait, l’inflation dépend de plusieurs facteurs (sauf cas d’une économie surréaliste auquel cas elle dépend du facteur Cheval). En fait, la relation de la croissance à l’inflation dépend du taux d’inflation dit « structurel », soit de l’inflation que vous avez si votre politique monétaire est dite « neutre » et que vous êtes au plein emploi des facteurs de production (donc, avec un chômage de l’ordre de 3%…). Ce taux structurel n’est pas le même dans différents pays, ce qui est parfaitement compréhensible. Il dépend de votre taux d’investissement, de l’âge moyen du capital productif, des conditions de formation de la main d’œuvre et de votre dynamique démographique (j’en passe et des meilleurs, PCC Victor Hugo). Donc, quand vous imposez un taux d’inflation identique à plusieurs pays, mais pour certains il correspondra, plus ou moins, au « taux structurel » tandis que pour d’autre il sera trop faible, ou trop fort. Donc, quel taux devrait viser la BCE ? Admettons qu’elle décide pour 4% (et que les représentants allemands et finlandais – entre autres – se suicident sur la place publique) ; ceci va convenir à la France et à l’Italie, mais certes pas à l’Allemagne. En fait, on ne peut pas avoir un taux d’inflation harmonisé entre des pays aux structures économiques très différentes, sauf à imaginer des transferts financiers importants entre eux. Pour l’Allemagne, ce serait au minimum de 8% du PIB par an. Oublions donc cela, il est clair que c’est impossible.
Mais, il y a un piège dans le piège. La question de l’inflation détermine AUSSI en bonne partie la compétitivité relative entre les pays. De fait, de 2000 à 2008, les taux d’inflations ont été très différents dans la zone Euro. Ce que l’on gagnait, pour certains, en croissance, on le perdait au bout de quelques années par accumulation de la différence des taux d’inflation se traduisant en écarts importants de compétitivité si l’on est dans une Union Monétaire comme l’est la zone Euro. Donc, si on laisse les inflations se caler, peu ou prou, sur les taux structurels, se pose un problème de compétitivité, et si tout le monde cherche à faire la même inflation, les pays ayant un taux structurel élevé sont terriblement pénalisés. IL N’Y A PAS DE SOLUTION dans le cadre d’une monnaie unique. Seule la dépréciation des monnaies, en fonction des taux d’inflations réciproques, mais aussi des gains de productivité, offre une solution. Mais, cela implique que chaque pays ait recouvré sa souveraineté monétaire.
La question de l’Euro.
Nous y voilà donc : la question de l’Euro est au cœur du débat. Manuel Valls l’a reconnu, mais pour dénier immédiatement la moindre crédibilité à une politique de rupture avec la zone Euro. Remarquons d’emblée que si cette question avait été REELLEMENT insignifiante, il n’aurait par éprouvé le besoin de s’appesantir dessus avec cette violence, et cette mauvaise foi. Quel est le fond de son argumentation ? Si la France sort de l’Euro, elle cesse d’exister et de compter en Europe. On reste ébahi devant l’impudence du propos. Pour autant que l’on sache la monnaie, qu’il s’agisse de l’Euro ou du Franc, ne fait pas le prestige et la force internationale de la France. C’est le dynamisme de son économie, c’est la clarté de sa politique, c’est pour tout dire la capacité de la France d’être une force de proposition, qui déterminent cette force et ce prestige. Or, l’Euro condamne la France à une longue et douloureuse agonie économique, à la perte de son potentiel industriel aujourd’hui et à celle de ses capacités scientifiques demain. On le mesure désormais dans le traitement des crises internationales. Quel est donc le poids de la France au Moyen-Orient ? Quel est notre rôle dans la crise ukrainienne ? L’Euro nous met à la remorque de l’Allemagne, nous prive de notre souveraineté, nous conduit à un effacement inéluctable. D’ores et déjà, la politique économique de la France ne se fera plus à Bercy mais à Francfort et Berlin. Nous voici condamnés à « finasser » comme disait le chancelier allemand Stresemann dans les années 1920. Mais, il avait l’excuse du traité de Versailles et du poids de la défaite de 1918.
Manuel Valls a aussi fait allusion au contexte international. Il ne serait donc as sage d’ouvrir une crise européenne en une période lourde de menaces extérieures. Mais, cette crise est DEJA ouverte, ne lui en déplaise. Quant aux « bruits de bottes » qu’il a évoqués, faisant implicitement allusion à la Russie, qui est responsable ? Comment qualifier la position du gouvernement français qui s’aligne sur la position des Etats-Unis et des plus excités des européens alors qu’il n’y a toujours aujourd’hui AUCUNE PREUVE de l’implication de la Russie ou des insurgés du Donbass dans la dramatique destruction de l’avion de la Malaysian Airlines (vol MH17). Notre soutien, plus que douteux, au processus « révolutionnaire » ukrainien nous interdit, désormais, de pouvoir jouer le moindre rôle de médiateur entre la Russie et l’Ukraine, et laisse l’Allemagne libre de déployer ses tropismes (mais aussi ses contradictions). En fait, la situation internationale, qui est aujourd’hui effectivement difficile, porte en elle la condamnation la plus radicale de la «politique étrangère » de l’Union européenne. Alors, oui, si l’on ne veut pas être entrainé dans ce gouffre, il faut faire éclater une crise européenne, faire passer celle-ci du stade larvé au stade ouvert.
Dernier argument, sortir de l’Euro serait faire la politique du Front National. Il est donc clair pour Manuel Valls que si, par jour de grand soleil, Marine le Pen dit qu’il fait beau nous devons immédiatement prétendre qu’il pleut et ouvrit nos parapluies. Comment ne pas être sidéré par la bêtise d’un tel propos? Une politique se juge sur un raisonnement, et sur ses fruits. Ce que nous savons hélas aujourd’hui, c’est que les fruits de la politique menée depuis 2012, et qui est en continuité avec celle conduite par François Fillon à partir de 2011, sont bien amers. Une de mes collègues italiens, Alberto Bagnai, écrivait sur son blog “l’eau mouille et le chômage tue”. Rien n’est plus vrai. Nous avons eu 26 000 nouveaux chômeurs en juillet, chiffre qui fut annoncé ce mercredi. Il faut s’en souvenir.
Le choix de Manuel Valls, ce n’est pas celui du courage, ce n’est pas celui de la volonté, c’est celui du renoncement. C’est peut-être le sien, libre à lui ; cela ne peut-être celui de la France et des français. Nous le lui rappellerons.
- Source : Jacques Sapir