L'échec de Hollande
La conférence sociale des 7 et 8 juillet 2014 s'est donc conclue sur un échec, avec le retrait de 4 des syndicats les plus importants. Cet échec a sonné le glas de la méthode Hollande dans la politique française. Cette méthode qu'elle est elle ? L'idée que des astuces des présentations, quelques compromis venant au moment judicieux, et un peu de pression sur les récalcitrants, permettent de gouverner, cette vision machiavélienne (au petit pied) de la politique, a fait naufrage sur les récifs de la réalité. Le style c'est l'homme, dit-on. Ce style, François Hollande l'a forgé et affiné au Parti Socialiste. Sous quelques maîtres, et non des moindres, comme Jacques Delors ou François Mitterrand. Mais, pour ces deux dirigeants, le style n'était qu'un instrument mis au service d'un projet et d'une vision politique. On peut la contester, on peut considérer que la vision Mitterrandienne de la France est une vision fondamentalement réactionnaire, et que Jacques Delors s'est perdu dans la poursuite d'un rêve. Mais on doit la constater. Le polémiste Henri Rochefort, le directeur de La Lanterne, disait bien qu'être contesté c'était être constaté.
Pourtant, on serait bien en peine de dire quelle est la vision, ou le projet, de François Hollande. Le style a dévoré le projet, la vision s'est dissoute dans la méthode. Certes, Hollande n'est pas le premier de ces libéraux-socialistes à confondre carte et boussole. La phrase fameuse du socialiste allemand, Edouard Bernstein, père du réformisme dans la tradition social-démocrate, de la fin du XIXème et du début du XXème siècle est bien connue : « le but n'est rien, le mouvement est tout ». A la (petite) décharge de Bernstein, on pouvait considérer que la croissance allemande de l'époque offrait des possibilités réelles de partage. Il est certain que pour les ouvriers de la grande industrie allemande (non, la dualité du marché du travail n'est pas une nouveauté en Allemagne), pour les travailleurs de Krupp, de Thyssen, des chantiers navals qui construisent une flotte en pleine expansion, la situation s'améliore rapidement des années 1880 à 1914. On peut aussi remarquer que c'est l'Europe, et la France en particulier, qui paieront l'addition. De ce compromis avec le militarisme prussien que défendra Bernstein sortira une politique aventuriste qui mènera droit à la guerre de 1914. Le réformisme conduit à une perte de la vision historique, et cette dernière est toujours grosse de catastrophe.
Chez François Hollande, on devine que ce furent les années où il dirigea le Parti Socialiste qui forgèrent ce style. Pris dans le lacis des compromis entre les différentes factions, arbitrant entre Lionel, Dominique et Laurent, et sans oublier Martine, englué aussi dans un affrontement personnel tout autant que politique avec celle qui était sa compagne, il fut à rude école. Mais il y a gros à parier que ce furent aussi dans ces années là qu'il perdit tout sens de la vision, tous sens du projet, et en définitive tout sens de l'Histoire. S'il l'avait conservé, il aurait compris que dans la situation actuelle aucun compromis n'est possible entre le travail et le capital. Le rapport de force est par trop inégal. La trésorerie des entreprises empêche qui plus est un effort en faveur de l'emploi. Bien sûr, cette situation est liée à des décisions qui peuvent être changées. Que la France sorte de l'Euro, retrouve sa souveraineté monétaire et dévalue, accompagnée par d'autres pays qui connaissent aujourd'hui des difficultés similaires ou mêmes pires, et l'accroissement de demande provoquera un rapide accroissement de l'emploi. Car, rien dans la situation actuelle n'est irrémédiable. Il faut simplement savoir oser. Mais, pour oser, il faut avoir une vision. On ne comprend rien à la psychologie des hommes si l'on rattache leurs choix d'un moment au simple contexte. Ce n'est pas le 18 juin qui fit De Gaulle, mais De Gaulle qui fit le 18 Juin. C'est parce qu'il avait une vision et une analyse précise des forces en présence qu'il prend la décision de rompre. Le discours du 18 juin est souvent présenté comme le pari fou d'un visionnaire génial, alors qu'il s'agit d'un texte résumant une analyse murie depuis des mois, voire des années. Cela ne donne certes pas le style, et l'on conviendra qu'il y a dans l'appel du 18 juin un souffle qui emporte et qui transcende. Mais, le style est mis au service d'une vision, elle-même articulée à une analyse précise de la situation.
La conférence sociale des 7 et 8 juillet était condamnée d'avance. Le Président et le Premier Ministre ont voulu faire avaliser aux syndicats non des compromis mais des compromissions. Il est heureux que certains aient claqué la porte. Pour les autres, ils n'auront que la honte en partage. Mais, cet échec est aussi la condamnation d'une méthode, et donc d'un homme. Il est assez intelligent pour le savoir, mais peut-être pas assez pour comprendre qu'il lui faut rompre avec le conformisme conservateur et manœuvrier dans lequel il se complait s'il ne veut périr. Dans ce cas, il périra.
- Source : Jacques Sapir