Amende BNP Paribas : l'Europe peut-elle défendre ses banques ?
La BNP va payer une amende américaine pour des faits qui n'ont pas eu lieu aux Etats-Unis. D'autres banques européennes vont passer à la caisse. L'Europe est-elle impuissante face à la justice américaine ?
L'amende record de 8,9 milliards de dollars infligée à BNP Paribas par la justice américaine pour avoir réalisé des transactions en dollar avec des pays sous embargo américain est une première. Par son importance, et aussi parce que d'autres banques européennes sont maintenant dans le viseur de la justice américaine. Les françaises Société générale et Crédit agricole, les allemandes Deutsche Bank et Commerzbank et la suisse UniCredit sont d'ores et déjà entrées en discussion avec les autorités américaines qui examinent les transactions en dollar qu'elles ont fait pour des clients établis dans des pays sous embargo américain. Rien ne dit que leur sanction sera aussi sévère, d'autant plus que l'exemple de BNP Paribas les aura convaincu de collaborer avec les Américains.
Les politiques ont admis la sanction
Toujours est-il que la France n'a pas pu faire grand chose pour défendre sa banque, alors qu'elle n'a rien fait de répréhensible selon le droit français, comme le rappelait le mois dernier le gouverneur de la Banque de France Christian Noyer. Un embargo décidé unilatéralement par un pays ne devrait concerner que les entreprises relevant de sa juridiction. "Mais les Etats-Unis donnent une interprétation extraterritoriale de leur loi, contrairement à un grand principe du droit", rappelle à L'Expansion l'économiste Jacques Sapir. C'est en effet seulement parce qu'elle ont eu lieu en dollar que ces transactions ont pu être incriminées par la justice américaine.
Pourtant, les politiques français ont tout de suite admis le caractère inévitable de la sanction. François Hollande a bien tenté d'intercéder auprès de Barack Obama lors des cérémonies de commémoration du Débarquement. Laurent Fabius a mis en garde les Etats-Unis sur un durcissement des négociations du traité de libre-échange TAFTA en cas d'un traitement qui ne serait pas "proportionné". La justice américaine a tout de même fait plier la première banque française, la forçant à plaider coupable et à payer une année de bénéfice. Grâce non négligeable, elle conserve sa licence bancaire aux Etats-Unis, et le droit de faire des transactions en dollar. Mais sinon, c'était la "peine de mort", selon l'expression d'Arnaud Montebourg.
Une rebellion de l'euro contre le dollar ?
La tentation de se rebeller contre l'hégémonie du dollar, devise dans laquelle se font plus de 80% des transactions financières mondiales, existe pourtant. Le ministre de l'Economie Arnaud Montebourg voudrait ainsi répliquer sur TAFTA. Mais sa consoeur au Commerce extérieur Fleur Pellerin, depuis Washington, lui répond qu'il est hors-sujet. Le ministre des Finances Michel Sapin, pour sa part, suggère de "conduire l'Europe à se mobiliser pour faire progresser l'usage de l'euro comme monnaie d'échange internationale." Les transactions en euro permettraient en effet de ne pas être soumis aux embargos unilatéraux américains.
"Tout dépend du degré d'affrontement que nous sommes prêts à accepter avec les Etats-Unis", résume Jacques Sapir. "Si nos partenaires européens se couchent, nous n'avons aucune chance". Peu confiant envers l'Europe, l'économiste assure que la France aurait dû porter plainte contre les Etats-Unis devant la Cour internationale de Justice de La Haye pour le traitement fait à Paribas : "Il ne fallait pas protester contre le montant de l'amende mais contre son principe même". Quant à TAFTA, "ce serait une très bonne occasion pour que la France se retire des négociations, mais c'est très peu probable compte-tenu de l'applatissement de nos dirigeants". L'économiste se dit favorable à un rapprochement avec la Russie pour contester l'hégémonie américaine.
Le yuan en sortirait gagnant
L'affaire BNP Paribas inspire justement Vladimir Poutine, qui voit la sanction infligée à la banque française comme un "chantage" pour que la France renonce à la livraison à la Russie des navires de guerre Mistral qu'elle lui a vendu. Par ailleurs, le président russe veut intensifier ses relations économiques avec la Chine. Peut-il convaincre les européens qu'il est leur véritable allié ? "Les Américains se sont tirés une balle dans le pied", assure Jacques Sapir. "L'affaire Paribas va précipiter l'abandon du dollar comme monnaie de transaction internationale". Si cette bascule a lieu, ce n'est pas à l'euro qu'elle profitera, mais au yuan chinois, qui vient de le devancer comme deuxième monnaie pour les transactions internationales. "De nombreuses banques des pays émergents m'assurent qu'elles ne veulent plus travailler en dollar. Dans les six mois qui viennent, toute une série de transactions dans les pays du Golfe basculeront dans le système russo-chinois", conclut Jacques Sapir.
- Source : Laurent Martinet