Christine Lagarde à Bruxelles : le coup de maître d'Angela Merkel
La chancelière allemande soutiendrait Christine Lagarde pour remplacer José Manuel Barroso. Un mouvement très politique et très subtil pour mettre toute le monde d'accord en renforçant sa propre influence.
Ainsi donc Angela Merkel a sorti de sa manche, sa carte maîtresse. Selon Reuters, elle aurait demandé à François Hollande s'il souhaitait soutenir la candidature de Christine Lagarde à la présidence de la Commission européenne. Avec cette proposition, qui suit de quelques jours son soutien « officiel » au candidat officiel du parti populaire européen (PPE) Jean-Claude Juncker, elle prouve une nouvelle fois sa supériorité stratégique vis-à-vis de ses « partenaires » européens. Car le coup est subtil. Pour plusieurs raisons.
Désamorcer l'opposition britannique
Avec Christine Lagarde, la chancelière désamorce l'opposition de David Cameron. Le Tory est un vrai fan de l'ancienne ministre française en qui il voit un « cheval de Troie » du libéralisme anglo-américain. Avec elle, il sent la « subsidiarité » protégée et la position de la City renforcée. Aucun risque, à son sens, de voir la directrice générale du FMI tomber dans la tentation « fédéraliste » d'un Jean-Claude Juncker.
Neutraliser la France
Mais Angela Merkel place également François Hollande dans une position délicate. Choisir Christine Lagarde comme représentante de la France à la Commission, c'est perdre sa capacité de choisir « son » propre candidat. C'est accepter le choix de Berlin. Mais comment refuser ce poste si important pour la France ? Comment ne pas se dire que l'ancienne hôte de Bercy ne fera pas preuve de « compréhension » vis-à-vis d'un gouvernement français qui peine toujours autant à atteindre ses 3 % de PIB de déficit public en 2015 ? En fait, un refus est impensable pour l'hôte de l'Elysée. Peut-on imaginer qu'il refuse le poste de présidente à Christine Lagarde pour permettre à Pierre Moscovici de devenir commissaire ? Il serait une nouvelle fois la risée de la France et de l'Europe. Quant à Angela Merkel, elle évite ainsi de voir un « socialiste » français prendre un poste important à la Commission. Le fait n'est pas secondaire, car à Berlin on ne goûte guère les voix « discordantes » à Bruxelles. Les propositions bancaires de Michel Barnier ont beaucoup agacé et l'on redoute qu'avec un commissaire PS, ce genre de mésaventure se reproduise.
Satisfaire Renzi
Christine Lagarde a également un autre avantage : elle n'a pas une réputation de « forcenée de l'austérité. » A la différence de la Commission, le FMI a reconnu ses erreurs dans les calculs effectués en 2011 sur les « multiplicateurs », autrement dit concernant les effets des politiques de consolidation budgétaire sur la croissance. La directrice générale de l'institution ne manque jamais une occasion de rappeler qu'il faut une politique équilibrée, qu'il faut à tout prix éviter la déflation et que le risque bancaire doit être mieux maîtrisé. Bref, c'est un gage donné aux adeptes du « changement » comme Matteo Renzi. C'est une façon pour la chancelière de donner l'impression d'une légère inflexion à sa politique européenne. Angela Merkel peut laisser faire, elle a suffisamment de garanties, notamment institutionnelles pour assurer la poursuite de la politique actuelle. Il lui suffira d'obtenir un « bon » commissaire aux affaires économiques pour en obtenir une de plus. Et comme Berlin aura l'impression de faire une concession immense en acceptant de donner à la France la présidence de la Commission, on ne pourra lui refuser le choix de certains postes centraux.
Consoler les parlementaires européens
Dernier atout maître : Christine Lagarde est le candidat idéal pour le parlement européen. C'est une femme, de centre-droit, assez consensuelle. C'est le portrait craché du parlement européen. La personne idéale pour faire oublier ce vieux barbon un peu ennuyeux de Jean-Claude Juncker qui porte certes une certaine légitimité « démocratique », mais qui, après tout, n'a guère convaincu les électeurs puisque le PPE a perdu 60 sièges. La directrice générale du FMI a tout pour faire une « très grande coalition » : Verts et socialistes apprécieront de voir une femme modérément critique de l'austérité à la tête de la Commission, conservateurs et libéraux applaudiront au profil anglo-saxon de la Française. Bref, Christine Lagarde pourrait emporter une plus large majorité que l'ancien premier ministre luxembourgeois. Angela Merkel pourrait ainsi avoir nommé « son » président de la Commission tout en se cachant derrière un grand consensus parlementaire ! Elle aura réussi ce tour de force de renforcer son pouvoir (car Christine Lagarde ne pourra oublier de qui elle tient son poste) tout en donnant à chacun des façons de se réjouir. De la grande politique !
Tester l'opinion allemande
Evidemment, sa nomination est loin d'être acquise. Il faudra d'abord convaincre Christine Lagarde elle-même de quitter Washington. Mais on peut imaginer que les discussions ont débuté. Surtout, les députés européens se sont trop avancé dans leur engagement autour des Spitzenkandidaten, les candidats nommés pendant la campagne par les partis européens. Et Jean-Claude Juncker a, de ce point de vue, une certaine légitimité. Sauf que, en réalité, personne n'est vraiment enthousiasmé par l'arrivée à Bruxelles de l'ancien chef du gouvernement grand-ducal. Angela Merkel qui a « fait » le candidat Juncker pourrait, si elle voit que la « sauce » autour de Christine Lagarde prend, notamment en Allemagne, lui demander de se retirer. La grande affaire pour la chancelière est de mettre fin au mouvement d'opinion outre-Rhin en faveur des Spitzenkandidaten. On comprend alors mieux la « fuite » qui a permis à Reuters de publier cette information.
- Source : Romaric Godin