Quand les libéraux dénoncent l'euro
En 2000, Charles Gave, actuel président de l'Institut des Libertés, disait : « L'euro amènera trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d'usines en Allemagne ». On peut reconnaître qu'il a vu juste pour le 1er et le 3ème point. Avant les élections européennes, son cercle de pensée a publié un dossier intéressant sur l'euro.
Un Frankenstein monétaire
Bien sûr, l’Institut des Libertés est un cercle de pensée très libéral, avec toutes les limites que cela implique, mais il faut reconnaître que la critique la plus articulée de la monnaie unique européenne est assez souvent venue de ce camp, même si d’autres ont apporté des contributions fortes depuis, notamment Jacques Sapir. On peut rappeler ici le rôle joué par Maurice Allais dans les débats de 1992 ou encore ceux de Gérard Lafay, Philippe Villin, Alain Cotta ou Jean-Jacques Rosa, ces deux derniers ayant publié de bons livres sur l’euro ces dernières années. On peut également évoquer l’opposition de Milton Friedmann, rappelée dans le livre « Casser l’euro pour sauver l’Europe ». La contribution de l’Institut des Libertés est une pièce de plus à l’édifice d’intérêt général du démontage de ce monstre monétaire qu’est la monnaie unique européenne.
Naturellement, l’argumentation de l’Institut des Libertés a des limites, un biais néolibéral marqué. C’est ainsi qu’il fait de l’Allemagne un modèle avec ses réformes Harz. On aimerait que Charles Gave note que la compression des salaires est une voie sans issue si elle était pratiquée à l’échelle du continent ou qu’il rappelle l’appauvrissement important des classes populaires depuis 10 ans en Allemagne, qui fait que le taux de pauvreté y a augmenté plus vite qu’en France, au point de nous dépasser sur ce sinistre indicateur. De même, il vante les programmes de baisse des dépenses publiques sans noter suffisamment l’effet que cela a sur l’ensemble de l’économie. Enfin, vanter la baisse du poids de l’Etat au Canada depuis les années 1990 sans même rappeler le rôle majeur des exportations de matières premières dans la croissance du pays est un travestissement de la réalité.
L’euro : boulet monétaire
Malgré tout, Charles Gave et ses acolytes apportent de l’euro au moulin de ceux qui critiquent la monnaie unique. Alors que quelques eurobéats parviennent encore à écrire que l’euro nous aurait protégé dans la crise, l’Institut des Libertés, par quelques chiffres et un graphique parlant démonte cette fadaise. Bien au contraire, depuis 2008, la zone euro a la plus faible croissance de l’ensemble des pays développés, ce qui montre que l’euro, loin d’être le bouclier annoncé est en réalité un boulet accroché aux pieds des économies européennes. Il montre également à quel point il provoque une divergence de ses économies et un effondrement industriel en dehors de l’Allemagne (où la production a cru de plus de 20% depuis 2000, quand elle a baissé de plus de 20% en Italie et en Espagne et de plus de 10% en France, pour une moyenne de la zone euro stable).
La raison de cet échec est simple : l’euro n’est qu’un mark bis, qui, s’il convient bien à l’Allemagne, n’est absolument pas adapté à des pays aussi différents. Il rappelle qu’aucune expérience de monnaie transnationale n’a duré et que la période de croissance ne s’expliquait que par une envolée temporaire de l’endettement, suite à la convergence des taux d’intérêt, que les pays ont payé cher ensuite. En fait, l’euro fait diverger les pays membres. Il dénonce le cumul de l’austérité et des changes fixes, quand la dévaluation permet de donner une bouffée d’oxygène économique. Ils soulignent l’impossibilité d’une fédéralisation, du fait des coûts astronomiques que cela représenterait pour l’Allemagne (entre 7 et 12% de son PIB tous les ans). Ils dénoncent également la mise en commun des dettes, qui représenterait également un sérieux aléa moral.
Comme dans « Casser l’euro pour sauver l’Europe », ils tempèrent les conséquences de la fin de la monnaie unique sur l’inflation et la dette publique pour appeler à un démontage concerté de ce monstre pour permettre « la renaissance de l’Europe ».
- Source : Laurent Pinsolle